Publié par Dreuz Info le 18 décembre 2008

Un article exclusif proposé par drzz.info et son consultant en matière de renseignement, Michael Ross, ex-agent des services secrets israéliens.

Ross travaillait au quartier-général du Mossad en 1997, au sein de la TEVEL, la division du Mossad de laquelle est parti le scandale “Mega”. Il nous fait ici des révélations inédites.

 

Michael Ross est un vétéran des services de renseignement extérieur israéliens. Il a servi dans le MOSSAD pendant 13 ans, entre 1988 et 2001. En 2007, ses mémoires publiées au Canada sont devenues un best-seller national (The Volunteer, Skyhorse publishing, 2007). Selon le quotidien israélien Haaretz, Ross servait son pays d’adoption sous le nom de code “Rick”. En novembre dernier, Ross nous a accordé sa première interview en français.
 

Editorialiste pour le National Post canadien, Ross a accepté de devenir consultant pour www.drzz.info sur les questions de renseignement, contre-espionnage et contre-prolifération.

 

 

© Michael Ross 

L’AFFAIRE “MEGA” 
WASHINGTON, 1997
 

 Grande-Bretagne, 1940. Les forces britanniques lancent les premiers radars de l’histoire humaine. Ils permettent de repérer les appareils allemands venus bombarder la Grande-Bretagne. Appuyé par ces nouveaux systèmes de détection, la défense antiaérienne et l’aviation britanniques font un carton. Mais l’invention du radar doit rester secrète. Afin d’intoxiquer les Allemands, le gouvernement anglais organise des campagnes nationales vantant ses soldats. Sur tous les murs, dans les colonnes des journaux et à la radio, les experts en désinformation du SOE, le Chiffre britannique, répandent la nouvelle : les Anglais descendent les avions allemands avec une terrible efficacité, non pas parce qu’ils diposent de nouvelles armes de détection, mais parce qu’ils ont une bonne vue en mangeant… des carottes. Pure désinformation, répétée depuis bientôt soixante-dix ans ! Qu’on se le dise : ce légume n’a absolument aucune incidence sur vos yeux, mais il a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis la nuit des temps, une habile opération d’intoxication est capable de transformer un inoffensif légume en arme redoutée. Telle est l’histoire de « Mega », la fameuse taupe israélienne en poste à Washington. Souvenez-vous…  

Etats-Unis, 1997. « Irit », agente des services secrets israéliens, vient d’arriver aux Etats-Unis. Jeune trentenaire de la section nord-américaine de la division TEVEL, elle gère les relations entre le Mossad et ses homologues américains depuis l’ambassade israélienne de Washington. Pour « Irit », il s’agit du premier poste à l’étranger, elle est donc très inexpérimentée. Ce détail sera crucial pour la suite.

A cette période, les Etats-Unis chapeautent les discussions entre Israël et l’Autorité palestinienne. Pour faire avancer le processus, le chef de la diplomatie américaine écrit une lettre à Yasser Arafat. Immédiatement, l’ambassadeur israélien à Washington, l’Honorable Ben-Elissar, demande à la lire. Il en exige une copie  à la station du Mossad de Washington. Une mission de routine.

En Israël, l’Institut possède des filières d’informateurs palestiniens très performants qui obtiendront le document avant même qu’Arafat puisse le lire – il suffit de relayer l’exigence de l’ambassadeur au quartier-général, à Tel Aviv. Mais la jeune « Irit », peu au fait du système, prend une surprenante initiative. Elle téléphone à son chef d’antenne, « Yoram » (photo), un vétéran éduqué en Grande-Bretagne. Erreur suprême, elle l’appelle sans utiliser une ligne cryptée, à son domicile de Chevy Chase !

Durant une conversation devenue célèbre, la jeune femme répète la demande de l’ambassadeur et ajoute, ingénument : « doit-on contacter Mega à ce sujet ? » « Yoram », répond sans détour, et agacé : « nous n’utilisons pas Mega pour ce genre d’informations ».

Cet échange, en apparence très banal, va se transformer en scandale planétaire. La ligne de « Yoram » est sur écoute, et la National Security Agency, l’agence de renseignement électronique américaine, a enregistré la conversation. Les paroles d’ « Irit »  et de « Yoram » terminent en une du Washington Post, le 7 mai 1997. La rumeur se répand : Israël a une nouvelle fois infiltré l’Amérique.


Encore aujourd’hui, beaucoup parlent de la mystérieuse taupe israélienne qui hanterait les couloirs de la Maison-Blanche. Mais Michael Ross, agent du Mossad et membre de la division TEVEL à l’époque, a expliqué à « drzz.info » que la vérité n’avait pas été dévoilée sur cette affaire.

L’une de ses remarques, en particulier, est accablante : si le renseignement américain avait réellement cherché une taupe, jamais le Washington Post n’en aurait eu vent. En effet, l’exposition médiatique ruinait l’enquête avant même qu’elle puisse débuter. Pourquoi alerter « Mega » si celui-ci est un agent infiltré au plus haut niveau du gouvernement américain ?

D’autant que la NSA, rebaptisée « No Such Agency » (« l’agence qui n’existe pas ») pour son culte du secret quasi sectaire, déteste les journalistes. L’agence électronique est réputée imperméable : les fuites médiatiques la concernant ont été rarissimes durant le demi-siècle écoulé. Pourquoi faillirait-elle précisément à cette occasion, alors que « Mega » révèle une brèche sécuritaire de tout premier ordre aux Etats-Unis ? Quelle légèreté stupéfiante ! Grave erreur… ou opération voulue ?

C’est ici que nous passons en mode « carotte anglaise », made in USA. En 1984-1985, Israël a espionné son allié américain. Jeune analyste, ancien du NSCIS passé au renseignement naval, Jonathan Pollard a livré à l’Etat juif des informations collectées par la NSA. Depuis, celle-ci cherche à se venger. « Mega » tombe à point nommé : grâce aux spéculations des journalistes, l’affaire va terminer en procès médiatique contre lequel ne Jérusalem peut rien faire. Le renseignement américain connaît très bien l’identité de « Mega », mais le public l’ignore. 

Instiller la méfiance envers Israël, tel est le but de l’opération initiée par le Washington Post

La vérité, comme souvent dans ce genre de controverses, est d’une banalité à pleurer. Au sein du Mossad, comme dans beaucoup de services, tout le monde a droit à son surnom, du simple agent au directeur, et même les différents départements. Ross, source de drzz.info, était « Ridley », un pseudonyme datant de ses premiers jours au centre de formation. Le « service de renseignement sur l’évolution du Jihad mondial » a changé en « club des affreux Ahmeds. » Et les territoires palestiniens ? « Le pays des bandits ».

L’étranger y a droit lui aussi. Le Mossad a rebaptisé le directeur de la CIA, George Tenet, « la boule de graisse » ! On lui trouve un air de parrain mafieux lorsqu’il se déplace en visite en Israël, entouré de ses vingt-trois assistants et armé de son incontournable cigare.

Quel rapport avec « Mega » ? A Washington, la station du Mossad entretient des contacts réguliers avec son agent de liaison de la CIA, un certain « Harry », spécialisé dans l’étude du Hezbollah. Plusieurs fois par semaine, celui-ci fait la navette entre Langley, le bureau de la CIA en ville et l’ambassade israélienne. Immanquablement, « Harry » a lui aussi a été épinglé.

Un officier israélien, amusé de voir son fils renommer ses interlocuteurs en référence à sa série préférée, les « Power Rangers », a lancé une idée : pour les Israéliens, l’agent de liaison de la CIA devient connu nous le nom de « Mega », diminutif de « Megazord », l’abominable monstre de la série japonaise. Hilares, les employés du Mossad à Washington ont adopté le pseudonyme.


Toute « l’affaire Mega » est là….!

Durant cette fameuse discussion enregistrée entre « Yoram » et « Irit », la jeune agente questionne son supérieur : doit-elle contacter l’agent de liaison de la CIA pour obtenir la lettre américaine destinée à Arafat ? « Yoram », le chef de station, lui répond par la négative et s’énerve de la naïveté de sa subordonnée : la CIA ne partage pas d’informations d’ordre diplomatique avec le Mossad. L’ambassadeur devra attendre la copie réalisée en Israël par les taupes palestiniennes du service.  

Au sein du «  Bureau »  (tel que le Mossad est nommé par ses employés), « l’affaire Mega » fait sourire autant que son ampleur agace. On pense que le lynchage médiatique qui a suivi la parution de l’enregistrement était préparé. Plusieurs cadres israéliens estiment que quelqu’un, au coeur des services secrets américains, a voulu qu’Israël paie pour la trahison de Pollard. La vengeance est un plat qui se manque froid, même aux Etats-Unis. 

Le vrai « Mega », lui, travaille toujours pour la CIA. Loin des spéculations médiatiques, « Harry » sait qu’il a été victime de la passion sans limites d’un enfant israélien pour les séries télévisées japonaises.

L’affaire « Mega », ou quand une plaisanterie de potache devient une affaire d’Etat !


  • Article réalisé par drzz.info  d’après les renseignements fournis par Michael Ross , le vétéran du Mossad. Qu’il en soit remercié. 

© drzz.info

 

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