Publié par Jean-Pierre Lledo le 9 juin 2010

 

 

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On est toujours sûr de tomber, au hasard des journées, sur un Français, souvent intelligent par ailleurs, et qui vous dit que les Juifs exagèrent vraiment. Naturellement, ce Français a un ami juif qui, lui, du moins… Quant aux millions de Juifs qui ont été torturés et brûlés, l’interlocuteur n’approuve pas ces façons, loin de là. Simplement, il trouve que les Juifs exagèrent….” (Albert Camus, 1947) 


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L’antisémite n’a qu’une seule passion, le Juif. L’antisioniste, Israël. Mais puisque Mohamed Akbar proteste respecter le premier et le second, alors heureusement il lui reste encore un os à ronger, Netanyahou. Il serait petit, petit chef, petit artiste, petit chanteur, petit politicien, petit gardien de prison. **


A moins que l’on ne se range à l’avis du psy qui aura vite fait diagnostiquer une projection, (petit journaliste, petit réalisateur, petit caricaturiste, petit orateur, petit intellectuel, etc…) on se dit que l’auteur d’une telle virulence ne peut être que grand, même très grand, sans doute le plus grand (Akbar en arabe). 


Drumont qui accabla les Juifs de mille plaies, ne se tut-il pas le jour où des perfides  lui conseillèrent…. de se regarder dans une glace ?  Je ne le lui conseillerai donc pas, puisqu’alors, dans les meetings parisiens, il n’y aurait plus un seul intellectuel arabo-musulman pour dire du bien du Juif ou d’Israël. 


Qui, en pleine époque de délire antijuif ou antisioniste ou antiisraélien, serait à ce point sadique pour priver BHL du seul voisin de tribune arabo-musulman vers qui se pencher, surtout s’il est Akbar ? Un Akbar, antiislamiste, anti Madani, anti Qaradaoui, anti Ben Laden, de surcroît.


Les derniers propos du très prolifique Akbar ont surpris voire choqué ses amis juifs. Pas moi. Pour lui avoir transmis en Mars dernier, comme à d’autres, l’interview-vidéo que je venais de recevoir, je reçus une bordée d’injures, dont j’épargnerai le lecteur, allant même jusqu’à me dénier mon algérianité ! 

 

 

 

 


Pourquoi Mosab Hassan Yousef avait-il mis Akbar dans cette fureur ?


Etait-ce parce que le fils du Sheikh Hassan Yousef, l’un des fondateurs du Hamas, venait de révéler avoir collaboré avec les services de sécurité israéliens ? Ou parce que palestinien, il avait dit : “Le dieu du coran hait les juifs de toute manière, qu’il y ait occupation ou pas. Alors les juifs ont un problème avec le dieu de l’islam, pas avec les musulmans.” ? Ou bien parce que nouvellement converti au catholicisme, et réfugié aux USA, il se sentait suffisamment en sécurité pour oser dire : “C’est une grosse erreur de distinguer entre l’islam modéré et l’islam radical… Je compare l’islam à une échelle : sur le premier échelon se trouve le musulman traditionnel et sur le plus haut, il y a la guerre sainte qui est le plus haut et le plus sacré des devoirs envers le dieu du coran… Les musulmans ont plus de moralité, plus de logique et sont plus responsables, que leur dieu…..’’ ?


Affronter sa propre communauté sur le terrain de l’Islam, n’est pas donné à tout le monde, même au plus grand. Tout le monde n’est pas Wafa Sultan ou Taslima Nasreen. Et il faut bien constater qu’après ‘’Mon point de vue sur le fond de la controverse Sifaoui-Riposte Laïque’’ ( Riposte laïque, 11 septembre 2009), Akbar alias Sifaoui préféra l’esquive, se gardant bien de me répondre, publiquement ou même en privé.


Se déclarer anti-islamiste, aujourd‘hui, surtout quand on habite Paris, et qu’on bénéficie d’une protection policière, n’est plus à proprement parler un acte courageux, comme ça pouvait l’être il y a 20 ans, en Algérie (mais à ce moment, Akbar brilla par son absence, invisible au bataillon des démocrates, de ces femmes et hommes, intellectuels et ouvriers, qui payaient de leurs personnes pour tenter de s’opposer à la déferlante islamiste soutenue par les démocraties européenne et américaine).


Quand on appartient au monde musulman, aller au-delà de la bien-pensance parisianiste, et que l’on prétend assumer la fonction d’interrogation de l’intellectuel, aller plus loin n’est-ce pas au moins se demander si l’extraordinaire degré de violence qui endeuille à chaque seconde le monde musulman – violence des bombes et des symboles, violence contre les femmes, contre les penseurs, et toutes les minorités, des bahaïs aux homosexuels – n’a pas une relation avec ce qui le structure en profondeur, c’est-à-dire l’islam lui-même ? 


Et comme il n’est jamais trop tard pour mériter son nom, quand donc Akbar daignera-t-il se demander en quoi devrait consister l’aggiornamento pour qu’un Musulman, quel qu’il soit, ne puisse plus appeler à la soumission et au meurtre de l’Autre en se réclamant légitimement de Oum El Kitab (la Mère du Livre), ce « texte du 7e siècle », comme il l’écrivit dans un éclair de lucidité, alors que nous nous dirigeons à toute vitesse vers le 22ème siècle ?


Ceci pour l’interrogation a minima. Car a maxima, c’est s’interroger sur ce qui dans le monde musulman, est encore plus tabou que le Coran, je veux dire le fait juif et sa manifestation étatique, Israël. 


Lorsque j’essayai de tirer la sonnette d’alarme suite à l’hystérie antijuive qui se déclencha dans les médias du monde arabe et d’Algérie après la guerre de Gaza début 2009, dans une adresse à un demi-millier de concitoyens intellectuels, la plupart vivant pourtant en exil, les réponses positives se comptèrent sur les doigts d’une main. Les négatives sur deux. Parmi ces dernières, celle d’un ami, Bachir Hadjadj, prix Séligman-2008  pour sa sincère saga familiale ‘’Voleur de Rêves’’ me demanda tout simplement : ‘’Pour qui tu roules ?’’.


L’agressivité de ces intellectuels pourtant ‘’anti-islamistes’’, même ‘’progressistes’’, ne s’expliquerait-elle pas au fond par leur impuissance à signaler que la source de cette hystérie récurrente, se trouve dans l’écrit coranique lui-même, lorsque par exemple l’on accuse les Juifs d’avoir falsifié la Torah (au détriment des Musulmans, en dissimulant le nom de leur Prophète): « Mais ceux qui étaient injustes substituèrent une autre parole à la parole qui leur avait été dite » (II, 59) ? 


Ceci pour m’en tenir à un des versets les moins violents….


Quand donc, on est un intellectuel progressiste et anti-islamiste du monde musulman, qu’on ne saurait donc être anti-juif, qu’on pourrait être antisioniste comme il est bon ton de l’être, mais qu’on se paie le luxe (à Paris) de ne pas l’être, et qu’on va jusqu’à admettre le droit d’Israël à exister (je n’ai pas écrit ‘’la légitimité’’), eh bien, que reste-t-il donc à se mettre sous la dent ? Netanyahou. Et comme l’os est vraiment coriace, plein de calcium, on s’acharne au risque de se casser des dents.


Israël, oui, à la rigueur, mais pas ses dirigeants.


Ce raisonnement tout à fait légitime dans le cas de tous les pays autoritaires, non-démocratiques, ou fascistes, dont notamment le monde arabo-musulman a toute la gamme, ne peut absolument pas s’appliquer à Israël, pas plus qu’à toute autre démocratie, et à Israël encore moins, qui fonctionne sur le modèle de la proportionnelle intégrale : les Israéliens, comme les Français, les Italiens, les Américains, ont bien les gouvernants qu’ils méritent. 


Et si par conséquent la politique de l’Etat d’Israël ne plait pas, ce qui est parfaitement légitime, que l’on soit israélien ou non, il faut avoir le courage de s’en prendre aux vrais fautifs, les Israéliens, et non lâchement à leurs dirigeants.


Ce courage, Akbar, ne l’a pas. 


Mais ne le rapetissons pas plus qu’il ne l’est. A sa décharge, constatons que c’est la tarte à la crème de la bien-pensance. Pas seulement d’une certaine gauche d’origine européenne (dont l’imaginaire chrétien vis-à-vis des Juifs, n’a rien à envier à celui des musulmans), mais aussi juive et pas seulement de la diaspora, mais aussi en Israël. 


Ces Juifs ou ces Israéliens, au moins ont-ils, eux, la circonstance atténuante de vivre la condition de tous les minoritaires du monde, et d’être prêt à tout pour se faire aimer de leur environnement immédiat, y compris à changer d’identité ou à risquer de la perdre… 

 

Jean-Pierre Lledo, cinéaste, algérien.

 

 

*  Akbar signifie en arabe ‘’le plus grand’’, et non ‘’le grand’’ comme souvent traduit.

** Blog de Mohamed Sifaoui. 

 

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