Publié par Guy Millière le 18 juin 2010

 

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Guy Millière écrivain, Guy Millière universitaire, Guy Millière rédacteur pour plusieurs sites internet dont drzz.info. Et Guy Millière conférencier : “un Guy Millière peut en cacher un autre”.


J’ai hésité, un moment, à faire précéder le titre de cet article du mot “Attention”, en clin d’oeil au message des wagons SNCF. Puis j’ai renoncé. Avec Guy Millière, même pour un clin d’oeil, on n’est pas en danger, il n’y a aucune raison de faire attention, mais il y a tout à gagner à prêter attention.


Nous sommes honoré, à drzz.info, de compter dans notre équipe de rédaction une personnalité aussi riche et généreuse que Guy Millière.


Et c’est le Guy Millière conférencier que j’ai souhaité interviewer, afin que nos lecteurs connaissent mieux cet aspect de votre vie professionnelle, mais aussi qu’ils connaissent mieux l’homme Guy Millière, et je vous remercie d’avoir accepté de vous prêter à cet interrogatoire rapproché. 
 

Jean-Patrick Grumberg : Guy Millière, vous revenez d’un voyage aux Etats Unis, et vous n’étiez pas sitôt descendu de l’avion, sans récupérer le décalage horaire de neuf heures avec la Californie, que vous êtes allé donner une conférence à Pau. Combien donnez-vous de conférences, dans une année ?

 

Guy Millière : Autant qu’on m’en propose. Disons entre quinze et vingt. J’apprécie les rencontres directes avec un public. Je constate une réelle soif d’informations et de connaissance que je ne rencontre pas toujours auprès des étudiants qui suivent mes cours à l’université. Mes étudiants étant plus jeunes que ceux qui assistent à mes conférences, j’en déduis que les gens jeunes se sentent moins concernés par l’avenir du monde. Je crains de penser qu’ils sont aussi plus malléables et plus à même d’être manipulés par les tenants de la pensée unique.  

 

JPG : Guy Millière, vous êtes un grand timide. Donner une conférence, c’est vous frotter à votre public, aux gens qui vous aiment et vous admirent, mais n’est ce pas vous faire violence, justement du fait de votre timidité ?

 

GM : Les choses sur ce point sont paradoxales. Je suis plutôt timide dans la vie quotidienne, effectivement. Mais parler en public est une activité que j’exerce depuis plus de trente ans, et quand je parle en public, j’ai un statut, et je n’ai aucun problème pour m’adresser à un auditoire, aussi nombreux soit-il. En ce cas, je fais mon travail. Celui-ci est de transmettre des informations, des analyses et de la connaissance, et de le faire d’une  manière aussi efficace que possible, ce qui signifie : sans ennuyer le public. Une bonne conférence, à mes yeux, implique l’éloquence, une relation affective autant qu’intellectuelle avec ceux qui font partie du public. J’ai, a priori, beaucoup d’amour pour mes semblables. Je conçois mes conférences comme devant être imprégnées d’amour et de respect pour ceux à qui je m’adresse. J’étends cet amour et ce respect à ceux qui peuvent émettre des objections lors des questions d’après conférence. La limite est l’agressivité : en ce cas là, je pratique la légitime défense, et je dispose d’armes verbales très efficaces. Je suis, d’une même façon très humble, mais je me situe sur le terrain de la connaissance, et ma tolérance pour la cuistrerie est très limitée.

 

GM : J’étais timide lorsque j’étais enfant. Je me suis forcé à faire un métier public, et cela a changé bien des choses. Mais c’est exact, je m’aime pas demander. Je n’aime pas avoir la sensation que je peux déranger. J’ai travaillé dans le théâtre et la chanson, et nombre de ceux que j’ai fréquenté étaient eux-mêmes timides dans leur vie quotidienne.  J’ai plus de mal à m’adresser à une seule personne qu’à deux cents dans une situation où on attend que je parle.  
 

 

JPG : Comment ces conférences arrivent elles à vous ? C’est vous qui prenez la décision d’en donner un certain nombre dans des villes que vous choisissez, ou vous êtes sollicité ? Et si c’est le second cas, acceptez vous toutes les conférences qui vous sont proposées, et selon quels critères ?

 

GM : Il m’arrive de demander à faire une conférence. Mais le plus souvent, on me propose. J’ai tendance à accepter toutes les propositions. C’est mon épouse qui se charge de prendre les décisions finales et qui me dit « tu devrais accepter celle-là », « n’accepte pas celle là ». Ses conseils sont toujours judicieux et clairvoyants. Sur un plan humain, elle est beaucoup plus lucide que moi. Elle sait être plus ferme aussi. Nous nous complétons harmonieusement. Lorsqu’il s’agit d’intervenir pour des institutions juives, j’accepte systématiquement. J’aime mêler l’utile à l’agréable, et, quand je me rends quelque part où j’aime me rendre, je fais mon possible pour que soit organisé une conférence. J’aimerais me rendre en Israël prochainement, mais je sais, par expérience, que les conférences que je pourrais donner seraient utiles et attendues par de nombreuses personnes, et j’entends donc faire coïncider voyage et conférences.  

 

JPG : Qu’est ce qui vous pousse à en accepter autant ? Qu’est ce que vous aimez (et n’aimez pas) dans le fait de prendre le train ou l’avion, d’arriver dans une ville qui n’est pas la votre, de dormir à l’hôtel, de rencontrer les organisateurs – que vous ne connaissez pas, puis de rencontrer les gens qui sont venus vous voir et vous écouter ?

 

GM : J’aime voyager. Je parcours plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par an en avion. Je suis toujours heureux de découvrir des lieux et de rencontrer des gens. L’activité d’écrire, à laquelle je consacre l’essentiel de mon temps quand je suis à Paris, est une activité solitaire qui demande beaucoup d’opiniâtreté, et qui implique une discipline de vie assez stricte : le moindre écart se paie. Les périodes de l’année où je donne des conférences sont assez délimitées, car je ne peux ni ne veux me disperser, et en ce cas elles me donnent l’opportunité de découvrir, de rencontrer et de faire mon second métier. C’est parfait. Ce que je n’aime pas, ce qui m’est, même, insupportable, est de ne rien faire. Je ne sais pas ce que c’est que prendre des vacances. Je ne pourrais passer ne serait-ce qu’une journée au bord d’une plage ou d’une piscine. J’apprécie une ville comme Los Angeles, car je peux aller à la plage pendant une heure, à Venice par exemple, me rendre dans des librairies ou des lieux de spectacle, rencontrer des amis tels David Horowitz un peu plus tard.  

 

JPG : Lors d’une conférence récente, vous me disiez que la salle était comble et que vous étiez peiné qu’il ait fallu refuser du monde pour des questions de sécurité. Avez-vous, à l’inverse, le trac de trouver une salle à moitié vide, comme le chanteur qui monte sur scène et regarde par la fente du rideau combien de personnes sont dans la salle ? Et vous est il arrivé qu’une conférence, pour des raisons diverses, j’imagine techniques ou de timing, fasse un flop et qu’il n’y ait presque personne ? En étiez vous contrarié, ou acceptiez vous la chose comme un accident vite oublié ?

 

GM : J’oublie assez vite ce genre d’incident, ou j’en tire les leçons. Si une salle est à moitié vide, j’en déduis que l’événement n’a pas été annoncé correctement et que je prendrai mes précautions la fois suivante. Il ne m’est jamais arrivé qu’il n’y ait presque personne

Le pire souvenir de conférence qui me vienne à l’esprit est une conférence qui avait lieu un jour de grève générale des transports à Paris. La circulation était quasiment paralysée. Je suis arrivé en retard. Il y avait une vingtaine de personnes seulement. C’était d’autant plus pénible et affligeant que c’était dans une salle proche du palais des Congrès porte Maillot et que, ce jour là, étaient avec moi à la tribune Alain Madelin et André Glucksmann, deux hommes pour qui j’ai beaucoup d’estime. Depuis, je me méfie beaucoup des grèves. Tout particulièrement à Paris. La mairie de Paris fait déjà tout son possible pour démultiplier les embouteillages, ce qui ne semble choquer personne (Note de JPG : j’ai toujours été scandalisé par la stupide politique de la ville de Paris concernant la circulation. S’il y avait eu des bras cassés comme ceux qui ont pris ces décisions dignes des pieds Nickelés, dans mon entreprise, je les aurai viré du service où ils travaillaient : améliorer la circulation est une nécessité, mais on ne met pas la charrue avant les boeufs. D’abord on améliore les services de transport alternatifs à la voiture – et le vélib est une excellente et sympathique idée, mais elle est très loin de régler le problème. Il fallait ensuite libéraliser les taxis pour qu’ils soient enfin partout et pas cher, et pour cela, il fallait briser leur immoral monopole dont les parisiens sont victimes, et il fallait mettre en place le système israélien des Sherout. Bref, donner des opportunités, de la souplesse et de la liberté, libérer la créativité d’entrepreneurs astucieux qui auraient créé de la richesse et du service, au lieu de punir les automobilistes et plomber l’emploi du temps de millions de personnes – dont le coût pour la collectivité est monumental) mais lorsque les grèves s’ajoutent à la démultiplication des embouteillages, il vaut mieux renoncer.

Cela dit, je suis peiné effectivement, lorsqu’on refuse des gens à l’entrée : je veux satisfaire ceux qui se sont déplacés. Ils sont venus pour écouter une conférence. S’ils doivent rentrer chez eux sans avoir pu entrer, j’imagine leur déception, et je la partage.  

 

JPG : Est-ce que les conférences se ressemblent toutes un peu – je veux dire, la réaction, les questions du public sont elles à peu près toujours dans le même registre, ou observez vous des différences notables ?

 

GM : J’essaie de ne jamais faire deux fois la même conférence. Et pour en être sûr, je n’écris jamais davantage que quelques mots sur une feuille de papier, que parfois je ne consulte même pas. Quant au public, il est à chaque fois différent. Chaque être humain est infiniment précieux parce qu’il est singulier, distinct de tous les autres. Je ne cesse de le vérifier. Selon l’auditoire, des sujets semblent plus importants que d’autres ; quand je parle pour des membres de la communauté juive ou pour France-Israël, l’actualité du Proche-Orient et l’antisémitisme sont des thèmes récurrents. Quand je parle dans des milieux libéraux, on me parlera davantage d’économie ou de finance. Je peux aussi constater des évolutions : quand Barack Obama a été élu, on me disait que j’étais excessivement pessimiste. Je répondais que je m’appuyais sur les faits. Aujourd’hui, je croise très rarement des gens qui m’accusent de pessimisme en me parlant d’Obama, car les faits s’ajoutent aux faits et mes analyses se vérifient. Je préférerais qu’il en soit autrement, car ces faits peuvent conduire à l’inquiétude. Je vois aussi que, lorsque je parle d’Obama, je fais œuvre utile : les informations, en France, ne circulent pas. C’est ce constat qui m’a conduit à écrire un livre sur Obama, qui sortira fin août. Ne pas être informé, c’est se trouver dépourvu de repères.   

 

JPG : Vous arrive t-il de rencontrer de l’hostilité, des contestations, des critiques, d’avoir à gérer des gens venus là pour régler des comptes ou déverser leurs mesquines difficultés à affronter les vérités que vous assenez ?

 

GM : Si les gens sont honnêtes, de bonne foi, et se situent sur le terrain de la connaissance, un dialogue est en général toujours possible. Si des gens parlent comme s’ils avaient la science infuse, je leur réponds que moi, je n’ai pas leur chance, je n’ai pas la science infuse, et je dois beaucoup étudier avant de parler d’un sujet. S’ils parlent en cuistres, je les renvoie à leur cuistrerie. S’ils ont des raisonnements hâtifs, j’essaie de les pousser à davantage de scrupules : des gens catapultent ainsi aisément des périodes politiques les unes dans les autres, reprennent des rumeurs sans fondements ou simplifient à l’excès ce qui est complexe. Si des gens sont hermétiques, je n’ai rien à leur dire. Je ne convaincrai jamais un adepte du shiisme duodécimain que le Mahdi ne reviendra pas un jour d’apocalypse : si cela l’aide à vivre et s’il n’impose pas sa conviction aux autres, s’il ne recourt pas à la violence, cela ne me pose en soi aucun problème. Il m’arrive d’avoir des imbéciles venus réciter les slogans qu’ils ont trouvé sur un tract de cafétéria, des militants « pro-palestiniens », par exemple : je n’ai rien à leur dire, car ils ne se situent pas dans l’univers de la logique et de la rationalité. Je me méfie d’eux, car je crains, souvent à juste titre, qu’ils ne soient tentés de  compenser la débilité de leur discours par un recours à la violence. Il y a eu des gens comme eux dans d’autres époques : sous Hitler, ils portaient une chemise brune ou noire. Aujourd’hui, ils portent souvent un keffieh. Le fascisme et le nazisme changent de peau, mais font appel aux mêmes bas instincts.

 

JPG : Sur les plans humain et intellectuel, que vous apportent ces conférences ? Les questions qui vous sont posées vous apportent elles quelques fois un regard nouveau ou différent sur un sujet que vous avez traité ?

 

GM : Sur un plan humain, tout contact avec d’autres êtres humains est un enrichissement. Sur un plan intellectuel, le dialogue peut m’aider à préciser ma pensée, à affiner mes arguments. Il m’arrive de rencontrer des gens qui ont une expérience vécue que je n’ai pas, et leur témoignage m’est toujours précieux. Des gens, parfois, enrichissent ma connaissance, attirent mon attention sur un fait, un détail ou un texte qui m’avait échappé. J’avance l’esprit ouvert. Je pense que nul n’est omniscient et que la connaissance est, selon l’expression de Karl Popper, une quête sans cesse inachevée.  

 

JPG : Lors de ces conférences, vous arrive t-il de tester des idées que vous envisagez d’approfondir dans un prochain livre, et si oui, ces conférences vous servent elles de laboratoire ?

 

GM : Mes conférences traitent de livres que j’ai déjà publiés en général, de sujets abordés dans des articles. Mais elles peuvent effectivement traiter de sujets sur lesquels je travaille et, en ce cas, elles enrichissent mes réflexions. Cela dit, l’écriture d’un livre demande une continuité, et, lorsque je passe à l’écriture, je ne sors plus et je ne donne plus de conférences jusqu’à ce que le livre soit achevé.  

 

JPG : Avez-vous noué des amitiés ou des relations qui se sont installées dans le temps, par le biais de ces conférences, que ce soit avec leurs organisateurs ou des personnes dans le public ?

 

GM : J’ai effectivement noué des relations amicales avec des gens rencontrés à l’occasion de conférences. Je n’ai malheureusement, pas toujours le temps de me consacrer à entretenir des liens amicaux. Vingt quatre heures en une journée passent très vite. Parfois, je vois qu’une année s’est écoulée sans que j’aie parlé à des gens qui me sont chers. Je fais tout pour qu’ils sachent qu’ils me sont chers, même s’il m’arrive de peu communiquer  Je lis quatre ou cinq livres par semaine, deux cent pages d’articles tous les jours. J’écris. Je crée. C’est un travail difficile. Je puis, je l’ai dit, très difficilement concevoir de vivre sans travailler.  

 

JPG : Quel est le calendrier de vos prochaines conférences ?

 

GM : Je n’ai, pour l’heure, pas de calendrier précis. Je sais que quelques dates sont retenues en septembre, l’une à Lyon, une autre sans doute à Los Angeles. J’entends que d’autres conférences aient lieu en septembre. En octobre et novembre, je compte écrire et peu sortir. Début décembre, j’espère que les projets de conférence en Israël se concrétiseront. Fin décembre, je sais que j’irai à Miami. Je n’ai pas d’autres précisions.  


Merci de vos réponses, mon cher Guy Millière.

 

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