Publié par Dreuz Info le 28 juin 2010

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Eric Cunat  est historien, journaliste et photographe,
et il publie notamment dans le magazine d’actualités militaires ASSAUT


 

 

© 2010 Éric Cunat 


En ce début d’été 2010 de nombreuses informations apparaissent laissant penser que les frappes aériennes prévues depuis plusieurs années sur l’Iran et ses installations nucléaires pourraient avoir lieu prochainement. Dans cet article, différentes informations sont données, et plusieurs hypothèses crédibles sont énoncées, destinées à replacer les informations dans leur contexte et à analyser les conséquences qui peuvent découler.


Le postulat initial est la volonté de la communauté internationale d’aboutir : cette volonté ne semble faire aucun doute, même si un accord reste toujours possible. La question de l’intensité des frappes et de savoir si elles impliqueront le recours à des troupes au sol reste posée. La question de savoir si le régime iranien sera renversé, et par qui, l’est aussi. Y aura-t-il engagement massif des troupes alliées au sol comme en Irak en 2003, ou simple soutien à une coalition anti-gouvernementale comme en Afghanistan en 2001 ?

 

Les données dont nous disposons nous laissent croire, en tout cas, que le temps de l’action se rapproche à grands pas.   

 

1) Petraeus : 

  • David Petraeus est le militaire américain qui a le mieux compris la guerre pour la démocratie menée au Moyen-Orient. La justesse de ses choix et ses qualités de commandement ont permis la mise en place d’un Irak démocratique qui s’appuie sur les puissantes forces de sécurité qu’il a contribué à créer en tant que commandant du MNSTC-I1 de juin 2004 à septembre 2005.

 

  • Dans le combat en cours, l’objectif n’est pas militaire, il est politique. Il n’est pas seulement de faire tomber des régimes totalitaires ou de conquérir des territoires, il est de changer la vie de millions de personnes en les libérant et en leur permettant d’accéder à des institutions démocratiques. Le combat va-t-il se poursuivre en Iran ?

 

  • 23 juin 2010, nomination de David Petraeus comme commandant direct en Afghanistan, en supplément de la direction du Central Command. Petraeus est présentement le plus apte à mener une guerre victorieuse contre l’Iran. On peut noter que l’article2 de Rolling Stone, officiellement cause de la démission de McChrystal, est surprenant, ainsi que ses conséquences… On peut se demander jusqu’à quel point tout ça n’est pas un montage destiné à cacher l’unification du commandement sous les ordres de Petraeus pour mener la guerre en Iran. 

 

  • Le 16 mars 2010, Petraeus a désigné l’Iran comme « un État représentant un niveau de menace de premier ordre » au Proche-Orient. Il a dit au comité des forces armées du Sénat américain que l’Iran par ses efforts pour se doter d’armes nucléaires, menace la sécurité dans toute la région, suscite une large course aux armements, et utilise ses forces paramilitaires (services spéciaux) pour déstabiliser l’Irak, le Liban, la Syrie, Gaza, l’Afghanistan et la région du Golfe et soutenir des organisations terroristes. Il a confirmé que l’idée d’une intervention militaire contre l’Iran n’était pas écartée. «Personne ne peut dire que l’Iran n’a pas eu toutes les occasions possibles […] Nous lui avons tendu la main et il ne l’a pas saisie ».

 

2) Consensus international : 

  • Le consensus international est large. L’Europe, Israël, les États-Unis, les pays du Golfe derrière l’Arabie saoudite, les voisins directs de l’Iran (Azerbaïdjan, Arménie, Irak, Afghanistan), la Russie, tous ces pays se sentent menacés par les volontés expansionnistes de la révolution islamique : la volonté iranienne de fabriquer la bombe atomique n’étant que l’aboutissement d’une politique d’exportation de la révolution islamique commencée dès 1979 par Khomeiny.

 

  • La résolution 1929 du Conseil de sécurité des Nations unies montre l’adhésion de la communauté internationale à la volonté d’agir et lui permet d’engager une action militaire.

 

  • Le contentieux franco-iranien sur le nucléaire, et la campagne d’attentats terroristes iraniens des années 80 qui en a découlé, renforcent la coalition. Il n’y a pas de risque que la France se désolidarise des autres pays occidentaux comme en 2003 face à l’Irak.

 

  • Selon plusieurs indices, Américains, Israéliens, Britanniques et Français3 s’entraînent actuellement en commun pour réaliser des frappes aériennes.

 

3) Indices factuels : 

  • Concentration de forces navales alliées au large de l’Iran. L’exercice Rimpac 20104 a permis la concentration de forces très importantes sans éveiller les soupçons. Il y a quelques jours, la traversée du canal de Suez par des forces importantes américano-israéliennes5 a été interprétée par certains comme un renforcement face à l’Iran. Selon d’autres, ces bâtiments font route vers le Pacifique pour participer à l’exercice Rimpac. De toute façon, les porte-avions américains participant à Rimpac doivent officiellement relever fin août la Cinquième flotte dans le Golfe. En comptant les portes–avions anglais et français positionnés face au Pakistan, une dizaine de groupes aéronavals alliés devraient alors être à proximité de la Mer d’Oman. Le site internet de l’exercice Rimpac ne mentionne pas de participation israélienne, il est donc possible de supposer que le convoi du canal de Suez n’est pas prévu pour Rimpac : va-t-il directement se placer face à l’Iran ? On peut également se poser des questions sur la durée de l’exercice Rimpac : se termina-t-il en août, ou avant ?

 

  • Possibilité de déploiement des avions israéliens en Arabie saoudite. Plusieurs sources font mention de discussions entre Saoudiens et Israéliens, de l’accord des Saoudiens pour l’utilisation de leur espace aérien par les avions israéliens, et de déploiement de matériel israélien sur des bases saoudiennes (base de Tabouk au nord-ouest de l’Arabie saoudite6). Sur cette question, de nombreux avis se font entendre pour dire qu’une coopération israélo-saoudienne est impossible, notamment au nom de la religion. Il faut se souvenir qu’un des alliés principaux de l’Iran islamique pendant la guerre Iran-Irak était Israël. On peut dire également que permettre aux avions israéliens de se servir des bases saoudiennes ne serait pas pire que de permettre aux milliers de soldats « infidèles » de stationner en Arabie lors de la guerre du Golfe de 1991. Enfin, il faut être réaliste, toutes les guerres dites de religion, comme celles qu’a connues la France au XVIe siècle, ne sont que des guerres basées sur des intérêts nationaux. Et dans le cas présent, les Saoudiens ont besoin des Israéliens pour arrêter le programme nucléaire iranien.   

 

  • Possibilité de déploiement israélien en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan7. Il est probable qu’il s’agisse de forces spéciales en nombre limité, leur mission peut être de soutenir des forces de la résistance anti-gouvernementale iranienne et/ou de guider des raids aériens, et aussi de secourir d’éventuels équipages éjectés.

 

  • Probabilité de déploiement israélien au Kurdistan irakien. Il existe des liens forts entre Israël et les Kurdes, PDK, UPK, organisations nationalistes kurdes en Iran et PKK : ce qui expliquerait d’ailleurs en partie l’attitude turque, car la Turquie se sent menacée par la montée en puissance des Kurdes.

 

4) Hypothèse sur la rupture entre la Turquie et Israël : 


  • L’alliance entre la Turquie et Israël est ancienne et importante. Le rapprochement entre Ankara et Téhéran ne va pas de soi : malgré une tendance à la radicalisation, la Turquie a peu de chose à voir avec la République islamique d’Iran. L’armée turque, qui a encore un grand pouvoir, ne s’est néanmoins pas vraiment opposée à la politique actuelle anti-israélienne. Pourquoi ?

 

  • On peut émettre une hypothèse : l’invasion de l’Irak et sa stabilisation ont fortement reposé sur les Kurdes (voir notamment mon article sur les peshmergas dans le magazine ASSAUT n°49). Il est probable que les Américains et les Israéliens s’appuient sur les Kurdes iraniens aux fins de favoriser une révolution démocratique en Iran. La Turquie voit sûrement cela d’un très mauvais œil, car des Kurdes dotés de larges pouvoirs en Irak et en Iran soutiendraient d’autant plus l’émancipation de leurs frères syriens et turcs. Or, en Turquie, environ 25 % de la population est kurde, et tout l’Est montagneux du pays est revendiqué par les Kurdes de Turquie. L’armée turque est aux premières loges du combat contre le séparatisme kurde (mené par le PKK en Turquie), ce qui pourrait être une explication de son attitude, à savoir son consentement à l’abandon de l’alliance israélienne et au rapprochement avec les mollahs iraniens.

 

5) Contexte mondial : 


  • La crise économique bat son plein en Europe et aux Etats-Unis : les gouvernements européens et celui des États-Unis peuvent trouver très intéressant de détourner l’attention de l’opinion publique de la crise et de leurs responsabilités dans ses causes et dans sa gestion désastreuse.

 

  • Dans le cas particulier des États-Unis, Obama est dans une impasse : sa politique économique est un échec, son ouverture aux régimes antiaméricains a été perçue, ce qui était prévisible, comme une faiblesse. Et les militaires américains, comme l’a montré la polémique qui a abouti au limogeage du général McChrystal8, critiquent de plus en plus ouvertement le manque de détermination de l’administration Obama.      

 

Ceci est une analyse des faits actuels. L’imminence de la guerre avec n’est pas une certitude. En rapprochant les discours des pays occidentaux, le fait que l’armée américaine à présent retirée d’Irak dispose de nouveau d’une grande liberté d’action, le fait que la population iranienne soutient moins que jamais le régime de Téhéran, et le fait que le risque de voir l’Iran doté de l’arme atomique se renforce chaque jour un peu plus, on obtient un faisceau de présomptions digne d’intérêt.


 

Eric Cunat

  

Voir l’article de Wikipedia sur le MNSTC-I 

Lire l’article de Rolling Stone                                   

Voir le site de l’exercice

5 Voir l’article : Une armée de navires américains et israéliens se dirigent vers l’Iran

7 Voir l’article : Iran on war alert over “US and Israeli concentrations” in Azerbaijan

 

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