Publié par Guy Millière le 13 octobre 2010

 

Rentrer en ce pays en venant des Etats-Unis est toujours l’assurance d’une douche froide.  Pendant une dizaine de jours, je n’ai pas eu à conduire une voiture au milieu de parpaings et d’obstacles divers destinés à entraver la circulation et à transformer une société ouverte en une société fermée, cloisonnée, bétonnée, grillagée. Pendant une dizaine de jours, je n’ai pas eu l’occasion de regarder des journaux télévisés débordant de non informations. Pendant une dizaine de jours, j’ai échappé, pour l’essentiel, à l’imbécillité mortifère du socialisme.  

Non seulement, je dois conduire à  nouveau au milieu de parpaings, non seulement je dois regarder des journaux télévisés au degré de crétinisme absolu, mais je suis contraint de regarder le socialisme en face. Ce fut la grève, donc, ce mardi. Ce sera la grève ce mercredi, puis samedi, et davantage si affinités. Les adultes déployant les banderoles des beaux syndicats ne suffisant pas, on invite les étudiants et les lycéens à rejoindre le cortège. Les enfants des écoles primaires suivront sans doute dans quelques jours. Il n’est jamais trop tôt pour aller au défilé.  

L’objet de la grève et de la « colère » téléguidée ? La réforme des retraites. C’est une réforme très insuffisante. Un simple rafistolage qui tiendra à peine quelques années. Le système de retraites français est un système de cavalerie financière digne des plus grands escrocs : on dit aux gens qu’ils cotisent pour « leur » retraite alors qu’ils paient la retraite de ceux qui sont retraités aujourd’hui et que demain il n’y aura sans doute plus grand monde pour payer pour eux. Mais une grande majorité de la population est attachée à ce système. Une grande majorité de la population ne cherche pas à comprendre comment cela marche, et comment on pourrait verser indéfiniment les mêmes sommes, dans un contexte où il reste deux actifs pour un retraité, alors que, voici quelques années, le ratio était de cinq pour un. Cette même grande majorité ne cherche pas même à savoir comment cela pourrait marcher s’il restait un actif pour un retraité. Pour ces gens, l’argent est une sorte de manne céleste déversée d’en haut par un magicien appelé l’Etat, qui peut sans doute imprimer des billets de banque à volonté.  

Surtout, la grande majorité des gens est attachée à un chiffre : soixante, comme soixante ans. Leur objectif est de partir à la retraite le plus vite possible, et les interruptions de travail que constitue la grève sont une forme de petit trot d’entraînement. Si vous leur dîtes le chiffre soixante, ils sont contents. Le travail pour eux est une pénitence. Un châtiment dont ils espèrent être délivrés.  

Comme d’habitude depuis trois ans, le gouvernement a très mal expliqué les choses, et, à force de prendre des décisions éparpillées en toutes les directions, semble ne pas avoir de ligne directrice. Si bien qu’une action minuscule suscite aussitôt le tollé. Si, voici trois ans, Nicolas Sarkozy avait expliqué la situation réelle, le déclin qui se profilait, le désastre constitué par l’endettement du pays, la perte générale de compétitivité, un redressement aurait peut-être été possible. Mais trois ans plus tard… après tant de changements de cap et de gesticulations.  

Le gouvernement, cela dit, n’est pas seul responsable. Le discours des dirigeants syndicaux est, en lui-même, une insulte à l’intelligence la plus rudimentaire. Celui de l’extrême gauche reste un discours d’extrême gauche, autrement dit un discours de gens qui ont laissé leur cerveau au vestiaire, et l’ont remplacé par un magnétophone débitant les œuvres complètes de Marx et de Lénine.  

Le Parti socialiste, lui, montre qu’il est absolument indigne de gouverner. Il brandit le chiffre magique qui fait plaisir : soixante. Mais lorsqu’il s’agit d’expliquer comment payer une retraite par répartition à soixante ans pour tous, les propos atteignent un degré de délire qui impliquerait une consultation psychiatrique, s’il ne s’agissait pas de mensonge ou d’analphabétisme économique.  L’argent devra être pris aux riches, suggèrent-ils, par le biais des profits des entreprises et de la finance. Voilà des gens qui ont compris que nous étions à l’ère d’internet, de la monnaie dématérialisée, et des flux financiers planétaires ! Si c’est ce parti qui doit succéder à l’UMP, la faillite se rapprochera plus vite encore.  

Le gouvernement n’est pas seul responsable, non. Les syndicalistes sont encore plus pitoyables que lui. L’opposition est plus pitoyable encore.  

J’ai parcouru la presse et tenté de regarder des débats, ceux qui viennent en deuxième partie de soirée, bien après le journal télévisé : j’ai trouvé ce que j’attendais. Je pourrais parler de bouillie pour les chats, mais j’ai trop de respect envers les chats pour penser qu’ils voudraient de cette bouillie-là. Quelques intervenants comprenaient les rudiments de l’économie, mais leurs propos étaient noyés dans l’indigence générale.  
 

On me demandera peut-être comment envisager un redressement. Pour le moment je vois un naufrage généralisé qui s’accélère. Je vois un pays agonisant, et des gens qui s’agitent en tous sens sur le corps malade. Je vais prendre cela comme un spectacle faute de pouvoir agir : ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir un pays se suicider en direct. Finalement, je vais rallumer mon téléviseur. 

Guy Millière

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