Publié par Guy Millière le 1 mai 2011

La situation en Egypte ne fait plus les gros titres des journaux. Bashar El Assad continue à massacrer des Syriens par centaines, avec l’aide de gens du Hezbollah, sans grandes conséquences internationales. La guerre civile continue en Libye, avec contributions de la France, du Royaume-Uni, et, de loin, des Etats-Unis. Un changement de régime s’opère dans le tumulte au Yemen. L’Autorité Palestinienne et le Hamas se rapprochent et glissent ensemble vers des positions qui sont celles du Hamas.  

J’ai noté, déjà, que l’avantage, partout, allait aux tenants de l’islam radical, que le pays dominant derrière tout cela apparaissait être l’Iran. Un autre pays a de nettes prétentions à domination : la Turquie. Ces deux pays ne sont pas des pays arabes. Ce sont des pays plus développés économiquement que les pays du monde arabe. Si l’Iran et la Turquie sont les pays les plus dangereux dans l’immédiat, il ne faut pas, pour autant se désintéresser de ce qui se passe dans le monde arabe lui-même en son ensemble. Une Turquie échappant à l’emprise islamiste pourrait renouer avec la modernité. Il en va de même pour l’Iran.  

La situation globale dans laquelle se trouve le monde arabe est plus complexe. Pour l’essentiel, le monde arabe reste extérieur à la modernité.  

Le monde arabe est une zone du monde qui est enlisée depuis des siècles dans une inertie et une décrépitude qui se poursuivent et atteignent en ce moment leur point de rupture.  
 

L’islam est né en terre arabe, mais est passé sous la coupe de musulmans non arabes dès 1055, lorsque le califat Abbasside est pris en main par les Turcs Seldjoukides, auxquels succéderont, un siècle et demi plus tard, les Ottomans. Jusqu’au vingtième siècle, les peuples arabes ne seront plus maîtres de leur destin. On y cultivera la nostalgie d’un âge d’or révolu à faire renaître, un sentiment d’humiliation et de frustration qui s’accentuera encore lorsque les Ottomans seront remplacés par des colonisateurs européens. C’est dans le monde arabe que naîtra l’intégrisme, avec l’enseignement de Muhammad ibn Abd al-Wahhab au dix-huitième siècle. Les autres formes d’intégrisme musulman viendront plus tard.  

Lorsque l’empire ottoman sera démantelé, des pays arabes naîtront, dans des frontières découpées par les puissances européennes. Lorsque la décolonisation s’opèrera, trente à quarante années plus tard, les anciennes colonies deviendront des pays, dans les frontières dessinées par les anciens colonisateurs. Les seuls régimes politiques à avoir pris forme en ces deux phases furent des monarchies et des dictatures.  

Les monarchies ont été, ou sont presque toutes, relativement artificielles. La dynastie au pouvoir en Jordanie était celle au pouvoir en Arabie avant que l’Arabie soit cédée au clan Saoud : la population de Jordanie est à quatre-vingt pour cent arabe palestinienne. Le roi Farouk Premier, en Egypte, renversé en 1952, était en réalité le descendant d’une lignée de wali, dirigeants de province ottomane, née avec Méhémet Ali. La dynastie la plus solide est celle existant au Maroc où le roi vient d’une lignée de sultans en place depuis trois siècles. Les rois arabes tirent leur prétention à légitimité du fait qu’ils sont censés descendre de Mahomet.  

Les dictatures sont toutes issues d’une forme ou une autre du nationalisme arabe, né dans les années 1920-1930, qui fut et reste très imprégné des doctrines fascistes et national socialistes.

Un fonctionnement démocratique n’a existé dans le monde arabe que de façon très brève, ici ou là, et de façon très limitée : la seule exception ayant été le Liban, qui a été une exception surtout parce que la population y était majoritairement chrétienne, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.  

Les dictatures arabes et le nationalisme arabe ayant échoué, toutes les dictatures arabes sont menacées par le virus intégriste.  

Les monarchies elles-mêmes sont en position chancelante et menacées par le même virus.  

L’idée même de démocratie est une idée essentiellement étrangère à la culture arabe, jusqu’à ce jour. L’idée que le peuple peut disposer de la liberté de choisir est une idée qui reste essentiellement absente, comme dans l’ensemble du monde musulman, mais plus encore qu’ailleurs dans le monde musulman, en raison de l’idée d’ "âge d’or" à retrouver, de la nostalgie et de la frustration.  

L’idée que le pouvoir vient d’Allah est toujours omniprésente.  

Elle se trouve ébranlée, dans les monarchies, par la fréquente artificialité de celles-ci. Le monarque doit s’appuyer, en général, sur un clan, et s’il ne parvient plus à rétribuer celui-ci, des fissures et des dissensions apparaissent, et le virus peut se propager.  

Dans les dictatures, l’idée subsiste, mais voit se superposer à elle la résignation au pouvoir d’un homme fort et brutal. Tout en se réclamant d’un nationalisme arabe, cet homme fort et brutal s’appuie lui-même sur un clan, ou sur des tribus ralliées à lui. S’il n’arrive plus à rétribuer efficacement le clan et les tribus ralliées, la contestation peu surgir, et le virus se propager là aussi.  

L’alternative aux monarchies et aux dictatures est l’anarchie, l’émeute, l’islamisme, l’idée de djihad et, parfois, la concrétisation de celle-ci. Pas la démocratie libérale.

Ni les monarchies ni les dictatures n’étant à même d’impulser le moindre dynamisme, ni les unes ni les autres n’étant compatibles avec un plein exercice de la liberté de parole et de la liberté d’entreprendre sans lesquelles le développement est impossible, on peut raisonnablement penser que le pire est à venir.  

Les pays du monde arabe qui sont riches le sont en raison du fait qu’on y produit des matières premières. Ils sont pauvres lorsqu’on n’y produit pas de matières premières. 

Aucun pays arabe ne dispose d’industries de transformation, ou seulement de manière embryonnaire.  

La possibilité de vivre de la rente fournie par les matières premières, là où elles existent, s’épuise et, en raison de la démographie, se trouve face à une situation où les sommes à redistribuer se font, par tête d’habitant, moins importantes.  

Là où les matières premières n’existent pas, la pauvreté s’accroît jusqu’à l’intolérable.  

La substitution d’une perfusion financière occidentale devient de plus en plus difficile à envisager et la perfusion ne peut remplacer le manque d’industries.  

Les émeutes qui ont eu lieu et ont encore lieu n’ont pas été et ne sont pas des révolutions. Elles peuvent déboucher sur des coups d’Etat, sur le maintien du pouvoir en place, au prix du sang. Des élections peuvent être organisées ici ou là : elles déboucheront sur un pouvoir plus islamique ou plus nationaliste radical, mais sur rien d’autre.   

Le fondement du mécontentement, l’étincelle qui partout a mis le feu au poudre, n’a pas été un soudain désir de liberté, comme on l’a dit parfois, mais la hausse des prix de l’alimentation, la faim, le désespoir, la frustration.  

Sans développement économique, les mêmes causes reproduiront tôt ou tard les mêmes effets. Or les possibilités de développement économique sont quasiment nulles.  

Le point de rupture est atteint, disais-je. Le bruit et la fureur ne font très vraisemblablement que commencer.  

Ce qui s’opère est la phase finale d’un effondrement du monde arabe. Cette phase finale pourra durer des décennies.  

Pendant ces décennies, le monde occidental devra être vigilant et lucide : les chances d’une démocratisation conduisant à la liberté de parole et d’entreprise sont absentes. Les réactions de rage sont plus vraisemblables. La volonté de trouver des boucs émissaires restera forte : ceux-ci pourront être le détenteur du pouvoir en place, de nouveau Israël, l’Amérique, l’Occident.  

Les incitations et la dissuasion seront les meilleurs leviers disponibles pour Israël, l’Europe, l’Amérique. Inciter à des attitudes amicales, et, en ce cas, récompenser et assister. Dissuader fermement toute attitude hostile. Renverser un régime très hostile et très dangereux.  

En ce cadre, le changement de régime en Irak faisait sens. L’action menée contre Kadhafi en Libye est, elle, insensée.

Une action en Syrie ferait davantage sens que l’action en Libye, mais serait très risquée, et pourrait embraser toute la région, sauf si elle était rapide et très ciblée.  

La création d’un deuxième Etat palestinien, venant s’ajouter au royaume palestinien de Jordanie, serait bien davantage qu’insensée, et ne pourrait faire sens que pour qui veut détruire Israël.  

Dans le cadre que j’ai dessiné, l’attitude de l’Europe en général est absurde, dangereuse, voire suicidaire. L’Europe ne pratique pas les incitations à l’amitié. Elle ne dissuade pas les attitudes hostiles. Elle n’a ni les moyens ni la volonté de renverser des régimes hostiles et dangereux. Elle apaise servilement ses ennemis, démontre son impuissance en général, n’agit que là où elle a l’approbation du monde islamique, et se révèle prête à sacrifier ses amis.  

L’attitude des Etats-Unis était davantage porteuse de lucidité jusqu’à une période récente : il y avait eu, certes, les calamiteuses années Carter. Aujourd’hui, nous sommes dans les années Obama. Une présidence des Etats-Unis désastreuse coïncide avec la phase finale de l’effondrement du monde arabe. Jamais la situation n’a été plus lourde de périls majeurs.  

Israël, dois-je le dire, ne peut et ne doit, en ce contexte, strictement rien céder.

Guy Millière

Reproduction autorisée avec la mention Dreuz.info et le lien pointant vers l'article original

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