Publié par Michel Garroté le 10 mai 2011

Dans L’Orient-le-Jour, notre ami libano-américain Walid Pharès, Conseiller auprès du Groupe parlementaire sur le Terrorisme au Congrès américain et Professeur à la National Defense University de Washington, fait le point sur les possibles retombées sur le Liban et le monde, de la liquidation de Ben Laden, évoquant, par la même occasion, les tenants et les aboutissants de l'opération américaine qui a décapité el-Qaëda. Walid Pharès indique notamment qu'une bonne partie du réseau salafiste implanté au Liban a été récupérée par le régime syrien par le biais d'officiers sunnites syriens totalement acquis au pouvoir en place à Damas. Cette entreprise de récupération, précise-t-il, s'est faite avec le soutien, voire à l'instigation, de la République islamique iranienne et du Hezbollah libanais qui ne peuvent se livrer à une telle démarche pour des raisons communautaires évidentes. Walid Pharès souligne à cet égard que parallèlement à cette faction salafiste encadrée et récupérée par le régime syrien, il existe au Liban un autre courant salafiste, beaucoup moins important au niveau des effectifs, relié directement au commandement d'el-Qaëda (et qui était donc en relation avec Ben Laden), échappant au contrôle du régime syrien. Cette branche est implantée principalement à Saïda, dans certains secteurs de Beyrouth, ainsi qu'au Akkar, alors que la faction « proche » de Damas se trouve principalement à Tripoli.

Dans le contexte présent marqué par le soulèvement populaire auquel est confronté le régime de Bachar el-Assad, principal soutien stratégique de Téhéran dans la région, M. Pharès exprime la crainte que l'axe syro-iranien exploite la liquidation de Ben Laden pour inciter les salafistes manipulés par le pouvoir syrien à mener au Liban des opérations terroristes contre les intérêts américains et occidentaux, en général. L'objectif sur ce plan serait double : détourner l'attention des troubles en Syrie, ce qui permettrait à l'appareil de répression syrien de poursuivre et de mener à bien son action répressive contre les opposants ; et tenter de « marchander » avec les États-Unis et l'Occident un contrôle, par Damas, des groupes salafistes…contrôlés par Damas ! « Nous avons déjà été témoins d'une telle attitude par le passé (de la part du régime syrien), déclare Walid Pharès. Et aujourd'hui, le pouvoir de Bachar el-Assad étant en difficulté, il pourrait tenter de saisir cette opportunité qui s'offre à lui pour pousser Washington à relâcher sa pression contre Damas et Téhéran ». Une telle manœuvre, qui s'inscrit parfaitement dans le sillage de la traditionnelle politique syrienne de pyromane-pompier, n'exclut pas dans le même temps que la faction salafiste non inféodée à Damas tente aussi de se livrer à des actions terroristes anti-occidentales au Liban, relève Walid Pharès qui souligne que la menace est donc double : celle émanant d'une possible manipulation syrienne, et celle du courant relié au commandement d'el-Qaëda.

Et dans ce cadre, indique aussi Walid Pharès, le régime syrien pourrait également se livrer à un autre jeu tout aussi cynique et traditionnel, qu'il a déjà pratiqué : transmettre aux services de renseignements américains et occidentaux des informations sur des éléments salafistes…mais ceux relevant de la faction échappant à son contrôle. D'une manière plus générale, quelles pourraient être les retombées de la liquidation de Ben Laden sur les mouvements de soulèvement dans les pays arabes ? Walid Pharès estime à ce sujet que l'opération ayant décapité el-Qaëda ne devrait pas influer négativement sur le cours de l'insurrection populaire arabe, d'autant, précise Walid Pharès, que ces insurrections sont en grande partie l'œuvre « des forces de la société civile, lesquelles, par essence, sont hostiles aux méthodes et à l'idéologie d'el-Qaëda ». « Quant aux islamistes, et plus particulièrement les Frères musulmans, qui sont partie prenante dans les mouvements de soulèvement arabes, ils pourraient sans doute être entraînés dans des débats internes au sujet de l'attitude qui devrait être adoptée après la liquidation de Ben Laden », déclare Walid Pharès qui relève toutefois à cet égard que c'est surtout pour des « raisons d'ordre idéologique » que les Frères musulmans ont condamné l'opération contre Ben Laden. « Mais dans le même temps, souligne-t-il, les Frères musulmans pourraient faire parvenir discrètement des messages aux États-Unis pour souligner qu'ils n'ont pas l'intention de réagir à la liquidation de Ben Laden.

L'objectif des Frères musulmans actuellement, indique Walid Pharès, est de grignoter le pouvoir et non pas de soutenir el-Qaëda ». En tout état de cause, M. Pharès souligne que dans le contexte présent, les factions démocratiques et les forces de la société civile dans les pays arabes ont tout intérêt à accentuer l'insurrection populaire afin de ne pas laisser le champ libre aux courants radicaux, de manière à pousser les pays occidentaux à soutenir davantage les soulèvements populaires, notamment en Syrie, et à s'opposer à la répression sanglante à laquelle continuent de se livrer certains régimes arabes. En ce qui concerne les retombées de la liquidation de Ben Laden sur la situation d'el-Qaëda, M. Pharès a prédit un éclatement de l'organisation terroriste. « L'organisation centrale traditionnelle, a-t-il notamment déclaré dans ce cadre, sera vraisemblablement dirigée pour un certain temps par Ayman Zawahiri, mais sans doute pas pour un long laps de temps. L'organisation centrale a été affaiblie et la liquidation de Ben Laden ne lui permettra pas de regagner la place qu'elle occupait par le passé. Le gros d'el-Qaëda se situera au niveau des commandements régionaux, notamment au Yémen avec al-Awlaki, en Somalie avec les "shabab", au Maghreb, au Sahel, en Irak, en Indonésie, et évidemment en Afghanistan et au Pakistan avec les talibans. Ces réseaux continueront à être opérationnels et un leader pourrait émerger éventuellement ».

Pour Walid Pharès, ce sont ces commandements régionaux qui pourraient principalement se livrer à des opérations terroristes de représailles pour venger la liquidation de Ben Laden. Parallèlement, des groupuscules plus ou moins proches d'el-Qaëda pourraient également tenter de mener des attaques de représailles. En tout état de cause, précise Walid Pharès, les responsables américains concernés disent s'attendre effectivement à des actes de vengeance. Abordant ensuite la conjoncture globale dans la région, Walid Pharès note que le timing de l'opération qui a abouti à la décapitation d'el-Qaëda a été dans une large mesure choisi à la lumière des bouleversements qui ébranlent l'ensemble de la région à la faveur des soulèvements populaires. Les principaux pays arabes sont en effet tous préoccupés par les crises internes qui les secouent, de l'Égypte à la Libye, en passant par la Tunisie, la Syrie, Bahreïn, la Jordanie, l'Arabie saoudite, le Yémen, sans compter l'Iran, souligne M. Pharès. De ce fait, le timing n'aurait pas pu être plus favorable. L'important dans une telle conjoncture reste que la liquidation du symbole et du leader emblématique d'el-Qaëda n'aboutisse pas à une relance d'un cycle terroriste qui aurait pour fâcheuse conséquence d'occulter les mouvements d'insurrection populaire susceptibles de donner naissance à un nouveau Moyen-Orient.

Michel Garroté

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