Publié par Guy Millière le 5 juin 2011

« Je me pose de nombreuses questions concernant la guerre en Libye. Mais la question qui me perturbe le plus est que je n’ai aucune idée de qui sont les rebelles libyens que les Etats-Unis et l’Otan  soutiennent et que des troupes américaines au sol pourraient bien devoir bientôt entraîner au combat. Il me semble que nos dirigeants élus n’ont pas de réponse ferme à cette question non plus ».  Les propos que je viens de retranscrire sont ceux du colonel Allen West, un homme pour qui j’ai un profond respect, et je les partage. Avec, juste, une différence : je sais qui sont ces « rebelles », ou tout au moins, je le sais pour partie, et je pense que les dirigeants américains et français le savent aussi. Les « rebelles » libyens sont une cohorte hétéroclite qui comprend d’anciens dignitaires du régime Kadhafi, dont tout indique qu’ils veulent devenir dictateurs à la place du dictateur, des islamistes, et des gens d’al Qaida au Maghreb islamique.  

Si vous vous demandez quel sens cela a de vouloir remplacer Kadhafi par ces gens, vous vous posez, vous dirai-je, la bonne question : cela n’a aucun sens, et c’est ce que j’ai écrit dans drzz dès le départ, en disant qu’il s’agissait de remplacer la peste par le choléra. A force d’acharnement, Kadhafi pourrait bien finir par tomber, et encore n’est-ce pas certain. Mais si Kadhafi tombe, ce sera le début des vraies difficultés : les infrastructures du pays auront été totalement détruites, l’économie sera dans un chaos total, tous les immigrants qui la faisaient fonctionner sont partis et ne reviendront que très difficilement, ne serait-ce que parce qu’il n’y aura plus un immeuble debout, des massacres auront lieu car le conflit a été et reste essentiellement un conflit entre tribus. Sans intervention occidentale massive au sol, aucune reconstruction ne sera envisageable. Seuls des efforts immenses pourront éviter que voie le jour un Etat voyou et en faillite qui aura des allures de Somalie sur la Méditerranée.  

Si vous vous demandez comment le monde en est arrivé là en Libye, vous pouvez vous reporter à mes articles précédents sur le sujet. Le maître d’œuvre de cette entreprise ubuesque est Bernard Henri Lévy qui a trouvé un taxi pour Tobrouk et pour Benghazi, et qui s’est exalté jusqu’à appeler Nicolas Sarkozy sur son téléphone portable. Nicolas Sarkozy s’est exalté à son tour et a reconnu immédiatement un gouvernement composé de gens qu’il ne connaissait pas. Il a passé avec eux des contrats pour acheter du pétrole qu’ils n’avaient pas, mais qu’ils auraient s’ils prenaient le pouvoir et si on les aidait. Nicolas Sarkozy a embarqué dans l’aventure David Cameron, et Barack Obama, qui n’y tenait pas spécialement.

Deux mois plus tard, nous en sommes là. La France et le Royaume-Uni ont épuisé tous leurs stocks de bombes et dépensé énormément d’argent, pour le résultat qu’on voit. Barack Obama a apporté un vague soutien et se trouve critiqué férocement aux Etats-Unis, sur sa gauche comme sur sa droite, car aux Etats-Unis, le Président ne peut pas engager le pays dans une guerre sans avoir obtenu l’aval du Congrès : or, Obama n’a pas du tout consulté le Congrès. S’il l’avait fait, on lui aurait demandé des explications, et il aurait eu beaucoup de mal à en trouver.  

La réalité est qu’il y a là un immense gâchis matériel, financier et humain. La réalité est que Kadhafi coopérait avec les services occidentaux depuis 2003, et que le remplacer par la cohorte de Benghazi ne permet pas de voir en quoi le monde occidental peut y gagner au change. La réalité est que les gens de Benghazi semblent être pires que Kadhafi, qu’ils massacrent les Africains noirs qui leur tombent entre les mains et qu’ils sont férocement antisémites et anti-israéliens. La réalité est que c’est la guerre la plus grotesque et la plus inepte depuis longtemps, et qu’en créant un abcès de fixation en Libye, le monde occidental s’est désintéressé de dangers bien réels et infiniment plus importants : le basculement de l’Egypte vers l’islamisme et le camp iranien, le basculement du Yemen dans la même direction, les massacres perpétrés par Bachar al Assad en Syrie, l’avancée de l’Iran vers la bombe atomique et vers l’hégémonie régionale.

La réalité est qu’en menant une guerre contre-productive contre un régime qui ne représentait aucun danger pour le monde, la France et le Royaume Uni ont pris le risque d’installer à sa place un régime plus dangereux, et ont contribué à laisser s’appesantir l’ombre de l’islam radical s’étendre sur tout le Proche-Orient. Les risques d’une guerre régionale, qui pourrait être catastrophique pour le monde occidental, s’en sont trouvés exacerbés : je ne pense pas que c’était le but de Bernard Henri Lévy et de son ami Nicolas, mais c’est le résultat.

Si la guerre régionale n’éclate pas, ce sera parce que les protagonistes potentiels de celle-ci craindront la réaction d’Israël pour peu qu’Israël soit agressé, et ce ne sera pour rien d’autre. Mais on peut se demander si des fanatiques adeptes de la fuite en avant sont à même d’être dissuadés par quelque chose.

Sans doute involontairement, Bernard Henri Lévy et son ami Nicolas ont accentué la pression qui pèse sur Israël, mis en danger le peuple israélien, laissé les mains libres à Assad, au Hezbollah, aux dirigeants iraniens, aux Frères musulmans, au Hamas, aux organisateurs de flottilles anti-israéliennes.

En réaction, l’Arabie Saoudite a organisé un bloc de monarchies, avec les émirats du Golfe, la Jordanie et le Maroc, et tous ces pays aujourd’hui se défient de l’Occident. C’est un résultat absolument lamentable. Qu’Obama trempe à divers degrés dans tout cela ne me surprend pas du tout. Que Bernard Henri Lévy et Nicolas Sarkozy aient enclenché des engrenages sans savoir ce qu’ils faisaient dépasse l’entendement.

Et Alain Juppé voudrait persuader les dirigeants israéliens de venir négocier avec les dirigeants palestiniens à Paris ? Un seul mot peut convenir pour qualifier ce genre de proposition : ridicule.  

L’Autorité palestinienne est passée sous la coupe du Hamas, qui n’entend rien négocier. Les dirigeants israéliens savent qu’ils doivent se préparer au pire s’ils veulent éviter que le pire survienne. Ils savent qu’il n’y a plus ni négociations ni simulacre de processus de paix, mais juste la nécessité de gagner ou de dissuader, car Israël ne peut pas se permettre de perdre.

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© Guy Millière pour Dreuz.info

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