Publié par Abbé Alain René Arbez le 30 août 2011

A l’heure des grands engagements œcuméniques, le culte marial constitue encore un obstacle pour un grand nombre de chrétiens non catholiques. Il est vrai qu’au cours des siècles, la figure de la Vierge Marie s’est chargée de fonctions qu’elle n’avait sans doute pas lors de la proclamation de son statut de Theotokos au Concile d’Ephèse (431). Toutefois, les protestants qui ont de la considération pour Marie sont plus nombreux qu’on ne l’imagine; ils la respectent comme mère du Sauveur et comme modèle de vie spirituelle. Ce qui peut faire problème pour tout chrétien authentique, c’est une mariologie exacerbée et un culte marial déconnecté de l’Ecriture Sainte, car cela traduit un manque évident d’enracinement biblique. Le culte marial de la dévotion populaire, avec ses apparitions privées et leurs messages au contenu discutable, peut en effet donner l’impression d’une excroissance à tendance idolâtrique. Il s’agit donc de clarifier le débat et d’en discerner les enjeux spirituels. Rappelons avant tout que la Révélation est close à la mort du dernier apôtre, et que tout message prétendu surnaturel n’a aucun droit à entrer en concurrence avec le dépôt de la foi, tel qu’il est résumé en Eglise à la fin du 1er siècle.

Il y a effectivement problème lorsque la dévotion mariale prétend insérer Marie au cœur de la foi et usurper ainsi la place du Christ. Dans certains sanctuaires, la mise en valeur inadéquate de statues de la Vierge, parfois de mauvais goût, entretient ce sentiment de déviation dans la piété. Il y a réellement problème lorsqu’il y a excès de langage et débordement dans la vénération mariale. Certains « prient » Marie comme on prie Dieu, ce qui constitue en soi une offense à la transcendance de Dieu. Dieu seul est source de vie et de grâce. Marie est là pour conduire humblement au Christ qui lui-même s’efface toujours devant le Père. On peut légitimement demander à Marie d’intercéder, on peut sincèrement l’invoquer. Mais au sens strictement évangélique, on ne prie que Dieu seul, par le Christ et dans l’Esprit. En effet, Marie est celle qui prie pour nous. Or, certains chrétiens demandent à Marie de jouer un rôle totalement surestimé et étranger au sien : ils attendent d’elle qu’elle fasse pression sur son Fils afin d’obtenir de lui des faveurs qu’il n’avait pas envisagé de nous accorder…Cette attitude résulte d’une conception païenne de Dieu. Car si Jésus Christ est le Fils unique, il n’est pas nécessaire d’avoir d’autre médiateur auprès du Père. Ainsi, Marie n’est pas une co-rédemptrice venant réparer les insuffisances de son fils, elle est cette jeune femme juive qui a donné naissance au Rédempteur et l’a accompagné discrètement jusqu’au don total de lui-même.

Luther honorait la Vierge Marie scripturaire dès lors qu’il réagissait à juste titre contre les abus du culte marial. Dans son commentaire du Magnificat, le Réformateur montre qu’il s’en prend non pas à la légitime vénération de Marie, mais aux excès et aux déviations. Le pape Paul VI réactualise le même débat en 1974, quand il écrit dans son exhortation apostolique « Marialis cultus » : « La volonté de l’Eglise catholique, sans atténuer le caractère propre du culte marial, est d’éviter avec soin toute exagération susceptible d’induire en erreur les autres frères chrétiens sur la doctrine authentique de l’Eglise ».

Pourquoi invoquer Marie ?

Si le 4ème évangile présente Jésus comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14.6), pourquoi se tourner vers Marie ? Les Ecritures sont d’une étonnante discrétion sur la Vierge Marie. Dans l’enseignement de Jésus ou des apôtres, son rôle est mis en retrait. Jésus a confié sa mère non pas à tous ses disciples mais à un seul. (Jn19.25). Si l’on se fie au texte, le chrétien n’est pas invité à donner à Marie une fonction particulière dans la prière. Mais le rôle de Marie n’est pas sans doute pas à comprendre à côté ou en plus du Christ. Tout disciple est appelé à faire les mêmes œuvres que le Christ (Jn 14.12) Si nous sommes membres du Christ (1 Cor 12.12), il nous associe à son œuvre de salut, nous sommes ses collaborateurs. Nous sommes de ce fait appelés à être pères ou mères spirituellement pour nos frères, en les « engendrant dans le Christ » (1 Cor 4.15). Cette maternité spirituelle s’applique tout spécialement à Marie : l’évangile la présente debout au pied de la croix (Jn 19.25), elle s’associe à la passion de son fils et collabore de tout son être à son œuvre de salut. A l’image de l’Eglise, elle est la « femme dans les douleurs de l’enfantement » (Apoc 12.1). Comme Paul, elle complète en sa chair ce qui manque aux épreuves du Christ ; volontairement en communion avec lui dans sa Pâque, elle est matrice spirituelle de l’Eglise ainsi que des croyants qui cheminent vers la Jérusalem céleste.

Une piété mariale friande de merveilleux et échafaudée sur des substituts théologiques éloignerait de la foi au vrai Dieu ; tandis qu’une dévotion mariale équilibrée fondée sur la spiritualité évangélique et biblique fortifie la foi et rapproche ainsi du Dieu d’Abraham, de Moïse et des prophètes d’Israël, dont Jésus récapitule l’alliance. Marie peut être l’accompagnatrice dont nous avons besoin sur ce chemin biblique de la foi.

MYRIAM, FILLE D’ISRAEL

Pour rendre à Marie la place qui lui revient dans notre spiritualité judéo-chrétienne, il faut reprendre conscience de son enracinement dans la culture hébraïque des saintes Ecritures d’Israël. La réflexion théologique sur Marie, mère du Christ et mère de l’Eglise est à situer à l’intérieur de la christologie qui ne prend elle-même sens qu’avec l’histoire biblique du salut. Marie ne correspond évidemment pas à la quasi divinité imaginée par le Coran (qui voit en elle la troisième personne de la trinité des chrétiens !). Même si sa vocation est unique, Marie est humaine, elle est membre du peuple juif et elle nous dit que tout lui vient de Dieu. Fille de Sion, Marie réalise dans sa vie l’essentiel de la destinée du Peuple croyant, provisoirement divisé entre Peuple d’Israël et Eglise des nations, jusqu’à la grande unification de la fin des temps avec le triomphe du Messie. Marie connaît l’histoire de son peuple. Ses parents, Anne et Joachim, lui ont donné le nom de la sœur de Moïse et ils l’ont instruite dans la spiritualité des « anawim », les pauvres de Yahvé. Marie s’inscrit dans la lignée des Matriarches d’Israël : Sara, Rébecca, Rachel et Léa. Chacune d’elle enfante de manière providentielle le fils de la promesse.

Sara, mère du peuple élu. « Abraham, écoute la voix de Sara, la voix de l’Esprit en elle » (1 S 15.1).

Pierre, dans sa 1ère épître, en fait la mère des croyants.

Rebecca, « vierge, aucun homme ne l’ayant approchée » (Gn 24.16).

Rachel, bénie parce qu’elle a nourri Joseph de son sein (Gn 49.25). On en retrouve l’écho en Lc 11.27 : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et le sein que tu as tété ».

Léa, dont le dernier fils, Juda, (Yehouda) porte un nom qui signifie louange de Dieu, et en raison de quoi elle n’engendra plus après lui. L’écrivain spirituel juif Philon d’Alexandrie en donne un commentaire qui peut s’appliquer à Marie, mère de Jésus : « sa matrice avait terminé son œuvre puisqu’en elle avait fleuri le fruit parfait ».

D’autres mères citées dans la Bible hébraïque nous parlent aussi de Marie.

Yokeved, (gloire de Dieu) mère de Moïse le libérateur. Reprise comme épouse par son mari Amram qui voulait la délaisser par désespoir, elle est revirginisée.

En tant que « Bat Levi », vierge et fille de Levi, elle se redonne en mariage à son mari pour devenir la mère de Moïse, sur le conseil de Miriam sa fille, sœur d’Aaron.

La femme de Manoah, mère de Samson : « L’ange du Seigneur luiapparut et lui dit : Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; ce garçon sera consacré à Dieu dès le sein maternel et c’est lui qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins ». (Jg 13.5) Cette femme eut totale confiance en la parole agissante de Dieu.

Anne, mère de Samuel. Après avoir connu la souffrance de la stérilité, elle chante une action de grâces à la suite de la naissance d’un fils (2 S 16.10). « Quant au petit Samuel, il grandissait en taille et en beauté devant Dieu et devant les hommes ». (1 S 2.26) Luc reprend la même expression pour Jésus. (Lc 2.52).

La mère des jeunes Maccabîm qui assiste au martyre des ses 7 fils, en les soutenant jusqu’au bout dans leur choix de rester fidèles au vrai Dieu (2 Ma 7.27) malgré la persécution païenne d’Antiochus Epiphane.

D’autres femmes de la Bible hébraïque reçoivent le titre de prophétesse. Elles font preuve de responsabilité en accueillant l’appel de Dieu et en chantant sa louange.

Myriam, sœur de Moïse, exprime le courage et la résistance. Lors du passage de la mer des Roseaux (Ex 15.20), elle célèbre le Dieu libérateur en prenant le tambourin et en chantant le salut du peuple.

Déborah, prophétesse à la tête d’une troupe résistant contre l’envahisseur philistin (Jg 4.4), mène à la victoire alors que les hommes se découragent. Son cantique chante le Dieu unique (Jg 5.1) et l’espérance qu’il faut garder en lui quoi qu’il arrive.

Ruth, une étrangère qui se marie à Booz et reconnaît dans le Dieu de son époux le seul vrai Dieu. « Où tu iras, j’irai. Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu mon Dieu. » (Rt 1.16).

Ruth et Booz symbolisent aussi par leur union celle de Dieu avec son peuple Israël. « Etends l’aile de ton manteau sur ta servante » (Rt3.9). L’aile qui s’étend est le symbole des épousailles. Jésus priant au temple s’enveloppe du tallit, châle de prière qui représente l’union de Dieu avec son peuple.

A l’annonciation, l’ange avait dit à Marie : « Le Très-Haut te prendrasous son ombre » (Lc 1.35).

Judith, femme juive intelligente et belle, s’imposant des exigences pour vivre selon la loi de Dieu, va au devant d’Holopherne, incarnation des puissances du mal, et elle le tue pour sauver les siens. Son cantique d’action de grâces  (Jdt 16.1) est repris dans la liturgie de la Vierge Marie.

Esther, face à l’hostilité antijuive, elle parvient à éviter l’extermination des siens en prenant des risques et en tuant Amman, mandaté par le roi perse Xerxès.

Par son cantique du magnificat, Marie reprend tous les cantiques de ces femmes d’Israël. Avec Anne, mère de Samuel, elle chante les bienfaits de Dieu pour le peuple de la promesse.

« Saint est son Nom ! » (Lc 1.48). Barukh Ha Shem !

Jean a reçu de Jésus Marie pour mère. Nous pouvons également l’accueillir dans notre demeure intérieure et elle nous suggérera comment vivre dans la bénédiction de Dieu. N’oublions pas que lorsque Marie est saluée par l’ange, Gabriel ne lui dit pas « Shalom ! ».  Il lui dit : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ». Ce qui rappelle pratiquement les mots du prophète Sophonie : « Simhi, Bath Tsion, melekh Israel, Adonai beqirbekh », c'est-à-dire : « Réjouis-toi, Fille de Sion, le Seigneur est en toi » (So 3.14). Marie est saluée comme la Fille de Sion, un visage lumineux du peuple d’Israël. La population d’Israël devient en elle épouse, servante, fille de Dieu. Mystère de l’alliance qui prend chair et se poursuit à travers nous. Marie nous aide à intérioriser cette histoire sainte et à rester conscients de notre enracinement dans le peuple juif à qui Dieu ne reprend pas sa promesse.

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