Publié par Ftouh Souhail le 5 octobre 2011

Le barreau de Paris reconnaît enfin la « faute » de l'Ordre des avocats de Paris à l'égard de leurs confrères juifs sous Vichy.
 
A l'occasion du 71e anniversaire de la loi de Vichy ayant notamment interdit aux juifs l'exercice de la profession d'avocat, le bâtonnier de Paris a reconnu « la faute » de l'Ordre des avocats de Paris, selon un communiqué diffusé aujourd'hui par le barreau.
 
« En abandonnant à leur sort nos confrères juifs, notre Ordre a commis une faute dont il répond devant l'Histoire et (…) a manqué aux principes fondamentaux sur lesquels il repose. Il fait ici et aujourd'hui amende honorable par ma voix », a déclaré le bâtonnier Jean Castelain.
 
Le bâtonnier de Paris, accompagné des membres du Conseil de l’ordre, s’est rendu ce lundi au Mémorial de la Shoah.
 
À cette occasion, le bâtonnier Jean Castelain, revenant sur l’attitude du Conseil de l’ordre sous l’occupation, a déclaré : « On n’échappe pas à ses responsabilités par quelque artifice de langage. Je souhaite aujourd’hui dire clairement, afin qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit de quiconque, qu’en abandonnant à leur sort nos confrères juifs, notre Ordre a commis une faute dont il répond devant l’Histoire, et qu’il a manqué aux principes fondamentaux sur lesquels il repose. Il fait ici et aujourd’hui amende honorable par ma voix ».
 
Ce discours marque un moment très important dans l’Histoire de l’Ordre des avocats de Paris par la reconnaissance politique de son abstention au moment où des avocats étaient exclus de la profession sur la seule base de leur religion.
 
Un siècle et demi après l'émancipation des Juifs par la Révolution française, le régime de Vichy promulguait une législation qui faisait d'eux des parias dans leur patrie. Par décret du 16 juillet 1941, le nombre de juifs autorisés à pratiquer la profession d’avocat a été limité à 2% dans chaque barreau, ce qui a entraîné, pour le seul barreau de Paris, 217 radiations. C’est ainsi que des avocats, illustres ou pas, se sont retrouvés exclus de leur profession, souvent une vocation, avant d’être internés puis déportés, puis exterminés.
 
C’est le cas de Maitre Pierre Masse, docteur en droit, et premier secrétaire de la Conférence des avocats, en 1906. Il était, à l’époque, une des plus grandes figures du barreau, ancien héros de la guerre 14-18, ancien député, homme politique de premier plan, maintes fois décoré, modèle d’éthique et grande conscience de son temps. Ce personnage a été remarquablement évoqué par Robert Badinter dans son ouvrage « Un Antisémitisme ordinaire – Vichy et les avocats juifs » (1).
 
En février 1941, Pierre Masse reçoit une circulaire adressée à tous les parlementaires, leur demandant de préciser s'ils sont d'ascendance juive. Dans une lettre adressée au maréchal Pétain, il exprime avec vigueur son refus d'être traité en « Français de la deuxième catégorie ». Arrêté en août 1941, il est interné à Drancy, puis à Compiègne. Le 30 septembre 1942, il est déporté à Auschwitz où il disparaît au cours du mois d'octobre.
 
Malheureusement, les lois raciales de Vichy étaient valables aussi en Tunisie. Les juifs tunisiens subissaient les mêmes lois antijuives que celles appliquées à leurs frères de l’Hexagone : interdictions pour les médecins juifs de traiter des patients non juifs, dissolution des institutions juives, etc…. Et en octobre 1940, suite à la défaite française, lorsque le Maréchal Pétain édicte les premières mesures discriminatoires, il n’oublie pas, dans l’article 9 du décret, de les étendre à tout le protectorat français. 
 
Malheureusement donc, les évictions professionnelles sous Vichy étaient valables aussi en Tunisie. Claude Nataf, titulaire d’un DEA d’histoire du XXe siècle (IEP Paris) et Président de la Société d’histoire des Juifs de Tunisie, a publié un ouvrage, préfacé et annoté par ses soins, du témoignage de Robert Borgel sur la Tunisie sous la botte allemande (2).
 
Les avocats juifs, parce qu'ils ont été nombreux, et qu’ils avaient la majorité dans le Conseil de l'Association des avocats tunisiens, ont été exposés à la condamnation du premier commissaire général pour les questions juives, Xavier Vallat. Il ouvrit lui-même une unité de la Commission à Tunis en août 1941, qui s'efforça sans cesse d'obtenir l'exclusion de tous les avocats du Conseil.
 
L’archive nationale de Tunisie refuse de mettre à la disposition des chercheurs les documents de cette période qui retrace les différentes étapes, et qui met en lumière ce qui était à l'œuvre derrière l'exclusion des avocats juifs dans les barreaux de Tunis et de Sousse.
 
La rare documentation disponible indique que ces mesures ont été abrogées en Juin 1943, de sorte qu'ils ont été appliqués pour un court laps de temps.
 
Reproduction vivement encouragée, avec la mention suivante et le lien ci dessous :
© Ftouh Souhail, avocat au barreau de Tunis, pour www.Dreuz.info
 
(1) Voir dans ce sens le livre « Un antisémitisme ordinaire. Vichy et les avocats juifs (1940-1944)* » de Robert Badinter aux éditions Fayard 1997, 256 p., 16.8 euros
 
(2) Etoile Jaune et Croix Gammée* (FMS/Ed. Le Manuscrit, 2007).
 
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