Publié par Guy Millière le 17 février 2012
 
 
Les Français voteront dans moins de trois mois pour élire leur Président de la République. 
 
Suivront des élections parlementaires. Des programmes sont présentés. Une campagne électorale est en cours. Ce qui ne sera pas dit est que l’essentiel des décisions en Europe est désormais pris à un niveau auquel les électeurs n’ont pas accès.
 
L’Union Européenne telle qu’elle s’est construite est porteuse depuis très longtemps d’un grave déficit démocratique, et tend à fonctionner comme un absolutisme technocratique. Cet absolutisme est aujourd’hui en train de se renforcer dans des proportions alarmantes. 
Le cadre de ce renforcement est la crise de l’euro, très prévisible depuis l’entrée en vigueur de cette monnaie. Tous les dysfonctionnements anticipés voici dix ans par de nombreux économistes sont en train de se produire. Toutes les conséquences de ces dysfonctionnements sont en train d’apparaître. Tous les pays de la zone euro sont concernés, mais aussi, au delà, tous les pays de l’Union, à l’exception de deux, le Royaume Uni et la Tchéquie, qui se sont placés en retrait par rapport à ce qui prend des allures de machine infernale.
 
Pour l’heure, le pays sacrifié est la Grèce. Mais d’autres pays suivront. Et les Portugais, les Espagnols, les Italiens, pour commencer, devront être très attentif. 
 
Les manifestants et les émeutiers d’Athènes pourront brûler des bâtiments, énoncer leur rage, leur désespoir. Ils pourront, quand Lucas Papademos, le dirigeant dépêché depuis Bruxelles qu’on leur a imposé, sera rentré chez lui, le remplacer par qui ils veulent, un homme de gauche, de droite, du centre ou d’ailleurs, cet homme sera prisonnier d’un pacte déjà signé par Lucas Papademos, et qui pose des conditions très strictes au gouvernement grec, conditions qui entraînent tout le pays vers une spirale de déflation et de récession sans fin, sinon, sans doute, un dépôt de bilan, et une expulsion non seulement de la zone euro, mais de l’Union elle-même. 
 
Ce que se voit demander la Grèce est, de fait, la quadrature du cercle.
 
Il s’agit d’augmenter fortement les impôts dans un contexte de récession, ce qui ne peut qu’accroître la récession, conduire des entreprises au dépôt de bilan, faire monter le chômage, et, dès lors, diminuer les rentrées fiscales, et il s’agit en même temps de procéder à des coupes drastiques dans le budget de l’Etat (près de vingt pour cent en une seule année). Procéder à des coupes drastiques dans le budget d’un Etat est, en soi, une démarche pleinement légitime, demander une baisse voire une suppression d’allocations de redistribution est une démarche légitime aussi : à condition que soient rétablies en parallèle les conditions d’une croissance créatrice d’emplois. Mais procéder à ces démarches, tout en aggravant une récession déjà très grave, équivaut à assassiner un pays. 
 
Le taux de chômage en Grèce aujourd’hui est officiellement de vingt pour cent. Chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans, il dépasse cinquante pour cent. Le Produit intérieur brut grec a baissé de près de vingt-trois pour cent en deux ans, et il continue à baisser. Soixante mille petites et moyennes entreprises ont déposé leur bilan au cours des six derniers mois. Des instituts d’étude conjoncturelle aux Etats-Unis s’attendent à ce que cinquante mille petites et moyennes entreprises ferment leur porte entre ce mois de février et le mois de juin.
 
La Grèce a, certes, présenté des chiffres maquillés pour rentrer dans l’Europe. Elle connaît, certes, des déficits budgétaires depuis longtemps, et a atteint depuis longtemps des chiffres d’endettement élevés. Elle est malade du socialisme, comme nombre de pays d’Europe. Mais le remède imposé n’est pas un remède. Il est plutôt à même de tuer le malade.
 
C’est un fait : la Grèce connaît des gains de productivité moindres que des pays comme l’Allemagne ou les Pays Bas. Et ce ne sont pas les mesures demandées à la Grèce qui remédieront à cela. 
 
C’est un fait : ce qu’on entend imposer à la Grèce ne rendra pas celle-ci plus compétitive, mais détruira son économie et réduira sa population à la misère généralisée. 
 
Sans dévaluation de la monnaie, la Grèce ne peut retrouver sa compétitivité, et, dans le cadre de l’euro, une dévaluation est, par définition, impossible.
 
Une dévaluation précédée d’un dépôt de bilan, aurait un effet de choc, mais permettrait à la Grèce de retrouver en quelques mois la croissance, une balance commerciale plus équilibrée, donc des entreprises, donc des emplois. Et il serait possible dès lors de baisser les dépenses du gouvernement dans un contexte assaini et flexible. 
 
Un gouvernement grec souverain devrait avoir le droit de faire sortir son pays de l’euro, de procéder à un dépôt de bilan, et de dévaluer sa monnaie sans risquer de mesures punitives de la part des autres pays de la zone euro. 
 
Présentement, la Grèce subit un diktat aux allures de dictature et se trouve soumise à des pressions intenables et à des chantages ignominieux.
 
La Grèce est traitée ainsi parce que l’Allemagne, et derrière elle, la France, ne veulent pas de l’explosion de la zone euro, et ils veulent l’absolutisme technocratique, et si le peuple grec doit souffrir indéfiniment pour que l’euro dure et que l’absolutisme règne, l’Allemagne, et derrière elle la France, choisiront que le peuple grec souffre indéfiniment. L’Allemagne semble songer à chasser la Grèce de la zone euro et de l’Union, mais à le faire seulement un peu plus tard, en mars ou en avril, quand la Grèce aura été bien humiliée et bien détruite. Il importe de montrer, dit-on à Berlin, que quiconque envisagerait de sortir de l’euro et de contester l’absolutisme s’exposerait à des dommages et à des douleurs infligées.
 
Les mêmes causes et les mêmes effets se constatent au Portugal, en Espagne, et se constateront bientôt en Italie. 
 
Les populations de ces pays doivent êtres très attentives, disais-je. Le sort de la Grèce sera, sans doute, bientôt le leur. Dans quelques mois, quelques années tout au plus. 
 
Tous les pays de la zone euro sont concernés, disais-je. 
 
La France a aujourd’hui un écart de compétitivité avec l’Allemagne et ne peut retrouver la croissance. L’euro est pour la France une monnaie surévaluée, et les déficits commerciaux le montrent. Baisser les impôts et les charges en diminuant en parallèle les dépenses de l’Etat serait un remède transitoire, et aurait un effet positif dans le court terme : c’est impossible dans le cadre européen que la France a ratifié. D’où les non réponses aux allures d’expédients proposées par les candidats à l’élection présidentielle. La France est dans une nasse. 
 
L’Allemagne elle-même peut avoir des excédents commerciaux parce qu’elle a une meilleure productivité que les autres pays de la zone euro, mais les écarts de productivité entre elle et les pays d’Europe vers lesquels elle exporte, et qui sont ses principaux clients, font que ceux-ci sont constamment en déficit, et qu’elle doit combler financièrement ces déficits : elle donne, en somme, de l’argent (par des prêts qui ne seront jamais remboursés) à divers pays, ce qui leur permet d’acheter des produits allemands. La population allemande qui, face au vieillissement du pays, s’inquiète de l’avenir, ne veut plus que l’Allemagne donne de l’argent. Le cercle vicieux risque de se briser assez vite. 
 
Tous les pays de l’Union sont concernés, disais-je, sauf deux. 
 
Au nom de la nécessité d’éviter l’explosion de l’euro, qui se produira tôt ou tard, la technocratie absolutiste et l’Allemagne (avec la France en remorque) usent de la situation pour anéantir davantage ce qui reste de démocratie au sein de l’Union Européenne, et instaurer une technocratie absolue.
 
La Grèce a un dirigeant dépêché depuis Bruxelles, aux ordres de Bruxelles, et qui a signé un pacte qui est censé engager tous les gouvernements grecs à venir, mais l’Italie aussi à sa tête aujourd’hui un dirigeant dépêché depuis Bruxelles. Et le pacte signé au nom de la Grèce prévoit, semble-t-il (tout est opaque), la création d’un Commissaire européen chargé d’approuver chaque année les comptes de tous les pays membres, sans que ses décisions souffrent discussion. Si discussion il y a, elles seront tenues à des niveaux auquel le commun des mortels n’a pas accès et, comme l’a dit récemment Jean-Claude Juncker, dans des pièces « sombres et secrètes » (http://blogs.telegraph.co.uk/finance/matspersson/100014896/democracy-and-transparency-remain-the-biggest-victims-of-the-euro-crisis/). 
 
Le contenu d’ensemble du pacte prôné par Merkel et accepté par Sarkozy n’a pas été révélé et est entouré de secret. (cf. http://openeuropeblog.blogspot.com/2012/01/draft-euro-fiscal-pact-episode-iv.html). 
 
Les activités de la BCE, institution indépendante, sont elles-mêmes entourées de secret : la BCE achète en ce moment massivement de la dette de plusieurs pays de la zone euro, ce qui, à très court terme, rassure les marchés financiers, mais c’est un expédient, une procédure inflationniste normalement interdite par ses statuts. Les coûts seront supportés, à terme, par tous les pays de la zone euro, et par les populations, qui ne sont pas informés. 
 
Mats Persson, dans l’article du Daily Telegraph référencé plus haut, écrit que les élites technocratiques absolutistes européennes « testent les limites de la démocratie », et font courir un « péril grave » à toute l’Europe. 
 
Elles font à mes yeux bien pire que « tester les limites » de la démocratie. Elles l’abolissent et n’en laissent que des simulacres.
 
Elles ont enclenché une machine infernale, disais-je. Le péril est grave, effectivement. Très grave. 
 
Athènes brûle aujourd’hui. Que se passera-t-il demain ? 
 
Quand l’euro a été institué, je prévoyais le pire. J’avais écrit un article intitulé, « alors, euro ? ». Je reposerai la question aujourd’hui. « Alors, euro ? ».
 
Quand la construction européenne a été enclenchée, elle était censée tourner le dos aux errances du passé européen. La construction a très vite pris la tournure de ce que Friedrich Hayek appelle l’erreur constructiviste : la prétention de vouloir remodeler une société depuis le haut, à partir d’idées abstraites et de dogmes. L’erreur constructiviste s’achève en général tragiquement. Nous nous approchons d’une fin tragique.
 
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© Guy Millière pour www.Dreuz.info

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