Nous vivons dans un environnement où subsistent, en raison de l’histoire, (est-ce encore pour longtemps) des fêtes issues de la tradition judéo-chrétienne qui a marqué culturellement nos pays occidentaux depuis des siècles.
Ces fêtes ont rythmé la vie des familles et des peuples, et la nouvelle configuration liée à l’immigration islamique et à ses exigences grandissantes, accélère visiblement l’érosion de ces repères multiséculaires.
Il y a évidemment plusieurs manières d’interpréter la laïcité, et il est affligeant de constater que pour certains politiciens, il s’agit trop souvent de niveler et d’uniformiser par le bas. Cependant, viser le plus petit dénominateur commun en matière de spiritualité est en fin de compte une insulte aux générations à venir.
Des décideurs promeuvent les arts et la culture non européenne par des expositions ou par la réalisation dispendieuse de musées, tout en n’accordant aucun intérêt à ce qui a forgé l’âme des cultures non seulement d’Occident mais aussi d’Orient, leur terreau d’origine. Pourtant, ces traditions festives, comme supports spirituels collectifs, ont encadré durant des siècles un humanisme créatif dans de nombreux domaines (et que beaucoup d’intellectuels osent encore présenter comme des symboles de l’obscurantisme et de la régression).
La Bible reste un best-seller mondial, mais est-elle vraiment lue, et comprise ?
En Occident, en tout cas, la culture religieuse de base s’est effondrée. L’homme de la rue ne sait pas grand-chose des personnages bibliques, et encore moins des fêtes religieuses juives ou chrétiennes qui scandent le calendrier de ses congés annuels. A une fillette à qui l’institutrice demande ce qu’est le carême, celle-ci répond : « c’est le ramadan pour les chrétiens ! ».
La Bible et les fêtes religieuses qui en découlent ne sont pas que des particularismes juifs ou chrétiens. Véhiculés au cours des siècles par les Communautés israélites et les Eglises, ce sont des instruments mémoriels de l’histoire humaine et des vecteurs essentiels pour le développement personnel et pour le vivre-ensemble.
Par exemple, la Bible hébraïque offre un puissant écho aux découvertes et aux avancées de nos lointains ancêtres.
Lorsque dans l’Orient ancien les groupes humains dits primitifs ont passé de la cueillette à l’agriculture, et de la chasse à l’élevage, des étapes de civilisation décisives ont été franchies. Le nomadisme et la sédentarisation ne se sont pas annulés et ont évolué vers une nouvelle organisation. Les pratiques religieuses de sacrifice (avec les premières gerbes de blé ou les premiers agneaux dans l’Israël antique), témoignent du passage d’un culte de la nature à la prise de conscience d’une histoire. Et cette humanisation s’est opérée dans l’approfondissement de la présence d’un Dieu qui appelle à une relation d’alliance exigeante. Un Dieu « ami des hommes », au contraire des divinités en vogue à l’époque, et qui offre des règles de vie commune à un peuple pouvant s’identifier par une charte interactive. L’éthique des dix paroles incite à honorer Dieu en respectant le prochain, mais surtout les plus faibles, la veuve et l’orphelin, et l’étranger de passage.
La Pentecôte juive (shavouot) est l’expression, remaniée après le retour d’exil, de ces très anciennes traditions, réactivées par une connexion à la Pâque (sortie d’Egypte) et à la Torah. Pentecôte (du grec pentekostè) veut dire cinquante. Parce que précisément le Deutéronome dit : « Tu compteras sept semaines à partir du commencement de la moisson…Tu célébreras la fête des Semaines pour le Seigneur ton Dieu… »
Le rabbi Yeshua (Jésus) a célébré en famille puis avec ses disciples ce pèlerinage de Shavouot à Jérusalem, qui rassemblait des foules venues de toute la diaspora. La fête célébrait en Yahvé le Dieu créateur qui bénit son peuple par les moissons et les agneaux, mais aussi celui qui libère des servitudes et offre les mitsvot, les commandements, pour guider la nation sacerdotale vers la sainteté. La notion d’histoire naît de cette responsabilisation étrangère à tout fatalisme.
Ce lien entre les moissons et la Torah était très présent dans l’enseignement de Jésus. Il a souvent invité ses coéquipiers à « prier le Maître de la Moisson d’envoyer des ouvriers pour y travailler… ». La « moisson » en question semblait urgente, car elle avait pris peu à peu, vu les difficiles circonstances historiques en Eretz Israël, un sens symbolique et apocalyptique, une évocation des derniers temps où tout devait changer par l’intervention de Dieu ou de son Messie.
Le « Maître de la Moisson » suggère donc le jugement dernier, où Dieu recueille avec soin toutes les belles actions des hommes dans le monde pour en faire des gerbes de lumière à engranger dans ses greniers éternels. « Shema, Israël ! Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est l’Unique ». Il est vrai que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi d’une Parole de vie. Jésus croyait à ces germinations spirituelles de la sagesse biblique dans la conscience des hommes sincèrement en recherche de vérité. On comprend pourquoi, avec cette perspective d’une moisson généreuse, il comparait sa propre destinée à celle du grain de blé mort en terre pour donner cent fois plus de fruit.
L’ensemencement des cœurs par la Torah et les béatitudes du rabbi ont continué jusqu’à nos jours. Dieu est invisible, il est Esprit, mais il est présence agissante. C’est la Ruah HaKodesh dont nulle institution humaine ne saurait limiter la liberté d’inspiration.
Les premières communautés de juifs ralliés à Jésus n’ont pas eu de difficulté à faire le lien entre la Pentecôte de leurs ancêtres – fête des moissons et accueil de la Torah – avec le message pascal de mort et résurrection du Maître. Victoire de l’amour sur l’injustice, don de l’Esprit au-delà des clivages.
Ezekiel avait annoncé aux juifs de retour à Jérusalem le projet de Dieu: « Je mettrai ma Loi dans vos cœurs ». La relation à la Torah ne serait pas extérieure mais intérieure à chaque croyant. C’est ce que les apôtres de Jésus ont expérimenté, dans l’Esprit, lors d’une Pentecôte où tous les participants qui entendaient le message évangélique le comprenaient dans leur propre langage et leur culture spécifique.
Si Jésus avait préparé ses disciples à son départ de ce monde, c’était pour les initier au fait que sa présence ne serait plus perceptible ; mais que tout ce qui le reliait au Père serait toujours agissant en eux.
Il y a dans l’Ecriture d’autres exemples de ce passage de relais. Ainsi après la mort de Moïse, Josué prend la responsabilité de conduire le peuple vers la Terre promise. Lorsque Elie est enlevé au ciel dans un char de feu, Elisée son disciple reçoit son esprit pour assurer la suite. Dans l’évangile de Jean, nous voyons Jean le Baptiste désigner celui qui poursuivra son action de sensibilisation aux temps nouveaux en précisant qu’il est plus grand que lui…
Dans le même évangile de Jean, compilation de réflexions théologiques déjà élaborées, on peut lire que le même Jean Baptiste s’écrie lors du baptême de Jésus dans le Jourdain : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe ».
Il est vrai que dans l’iconographie, la colombe est souvent la représentation de l’Esprit Saint. Cela n’est pas dû au hasard, puisque dans le livre de la Genèse, c’est la colombe qui vient annoncer la fin du déluge et le départ d’une nouvelle création. Ce message de paix universelle est symbolisé par le rameau d’olivier. Mais la colombe exprime aussi le fait que l’Esprit de Dieu est discret. Il murmure au coeur de chaque être humain, il ne s’impose pas, il n’entre pas par effraction. C’est la douceur et la paix de la relation intime avec Dieu.
La Pentecôte juive et la Pentecôte chrétienne ont chacune – dans leur parenté différenciée – des valeurs de vie intérieure et de prise de conscience à transmettre. Tout comme Yom Kippour, Hanoukka, Pessah, Shavouot, ainsi que Noël, Pâques et Pentecôte.
Alors que la réalité des racines judéo-chrétiennes de l’Europe est officiellement niée et parfois dénigrée, les débats sur la laïcité et sur la place des traditions religieuses ancestrales dans nos sociétés, doivent prendre en compte cette dimension de la spiritualité, car c’est bien souvent la seule réserve d’oxygène pour affronter les innombrables défis qui nous attendent.
Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et impérativement le lien html ci dessous :
© Abbé Alain René Arbez pour www.Dreuz.info
Très beau texte M. l’Abbé. Votre explication nous démontre un peu plus la qualité des liens entre le christianisme et le judaïsme.
Avec toute mon affection et ma considération Mr l’Abbé Arbez.
Une église attaquee par 4 jeunes voyous qui sont rentrés au moment où le prêtre célébrait la Messe de Pentecôte et ont envoyé des cailloux sur le fidèles : ceci se passait hier à Carcassonne, dans un quartier pauvre, à l’église Saint-Joseph.
Qui en parle ?
“Surtout,” dit le porte-parole de l’évéché, ne faisons pas d’amalgame..”
Etre faible et lache, la dernière trouvaille en matière de résistance ? Autant adjurer sa foi, tant qu’on y est, non ?
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Je sais que mon commentaire n’a rien à voir avec l’article ci dessus, et dont je remercie monsieur l’abbé Arbez.
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Très intéressant rappel, tout à fait utile !
Merci pour ce très beau texte M. l’abbé Arbez.
Quel bonheur de vous lire.
Texte passionnant. Un bémol: ce n’est pas l’islamisation, le problème. Il y a islamisation à cause d’un problème tellement plus profond: la perte et même le rejet de la Foi et du mystère de la Foi. Les sociétés occidentales ne s’islamisent pas au sens où les autotochnes ne deviennent pas musulmans. Il y a de plus en plus de musulmans, c’est vrai, mais ce sont les politiques immigrationnistes qui en sont la cause. Un des grands problèmes, c’est le manque de prêtres et donc de visibilité du prêtre et du religieux. Ceci n’est pas dû à la laïcité. En face d’une Eglise forte de ses représentants, la laïcité (idéologie de la lâcheté – j’entends bien entendu la laïcité à la française et non la neutralité absolue qui permet la recherche et l’épanouissement à travers la curiosité intellectuelle), ne fait pas le poids, car l’Eglise est un engagement, tandis que la laïcité à la française est un désengagement. La mariage des prêtres dans le siècle eût été une solution. Je ne suis pas pour l’ordination des femmes cependant, même si je suis proche des Anglicans. Mon pseudo “Mandrake”, c’est le surnom qu’on avait donné à notre curé. Nous étions 3 lecteurs: un punk, moi et lui, toujours habillé en noir, fumant une pipe au tabac bien particulier. Mais quel génie. Il m’a initié à la géologie et bien entendu au catéchisme. C’est lui qui a construit la part de religieux dans ma personnalité. Je l’en remercierai toujours. Il était fils de mineur communiste, mais il avait voyagé beaucoup notamment en Israël. Il critiquait beaucoup les gens en face, mais les respectait. Les gens le savaient et le respectaient aussi. Quant il est décédé en 1991, j’ai ressenti et ressens toujours un vide énorme. C’est pourquoi j’aime vous lire. Je vous le dis encore: rien ne remplacera la présence d’un prêtre.
Je suis assez d”accord avec ce que vous dites, jusqu’à: “Le mariage des prêtres eut été une solution”, croyez-vous qu’ils engendreraient des prêtres? croyez vous qu’en se mariant, ils deviendraient soudain plus visibles? Ils se mettront à clignoter?
Et s’ils tombent sur un phénomène comme Valérie T ou pis comme Ségolène R, vous voulez la multiplication des problèmes?
Parce que rien qu’en pensant à nos finances de façon prosaïque, le denier du culte ouille ouille ouille!
Sans compter qu’épouser un prêtre ne doit pas être non plus, pour une femme une sinécure!
@julio: oui, le mariage des prêtres eut été une solution. Ceci dit, celui-ci n’est pas obligatoire. Il n’y a pas toujours besoin d’avoir une épouse pour se mettre au niveau des personnes que vous citez. Vous avez cependant raison dans votre mise en garde, car les épouses ont souvent une influence néfaste sur leurs maris. Mais les voeux de chasteté en ont tout de même détourné plus d’un du sacerdoce, ce qui dans notre société très permissive et hédoniste, a amené à la raréfaction des séminaristes. Et donc si le Message n’a rien perdu de son intérêt et interpelle toujours (normal, vu sa richesse et sa constante modernité), le célibat (avec voeux de chasteté) ne correspond pas aux attentes qu’un jeune homme se fait de la vie. Certains prêtres vivent cela très bien, mais une majorité aussi faible soit-elle ne doit pas rigoler tous les jours. Je ne pense pas qu’au sexe: il y a la solitude, par exemple. Ou bien le doute. Ce sont là des choses qu’il est plus facile de vivre à deux. C’est un sujet complexe.
C’est effectivement un sujet très complexe, où se mêlent très certainement considérations doctrinales et culturelles. Autrefois les prêtres étaient mariés. Aujourd’hui ils ne le sont plus. je ne suis pas certain que le rétablir serait une bonne idée, mais ce qui est sûr c’est que toute évolution en la matière doit être le fruit d’une réflexion sereine et dégagée des circonstances…et je ne suis pas sûr que le contexte actuel se prête à la sérénité.
Jean Jacques Rousseau né protestant, citoyen de Genève, a été un temps attiré par le catholicisme. Voici ce qu’il écrit dans “La nouvelle Héloïse”:
“Quand bien même le célibat des prêtres aurois des inconvéniens, (sic) leur mariage n’auroit-il pas les siens? le célibat a moins d’inconveniens que leur mariage, il est plus analogue à la sainteté de leur ministère”.
J’ai dîné avec un pasteur méthodiste du centre de Londres récemment. Il m’a confié que selon lui l’Eglise anglicane continue de voir ses fidèles se raréfier, malgré les prêtres mariés, malgré l’ordination de femmes qui a été un flop. La crise est aileurs, elle est générale en Europe. Il ajoute qu’en Grande Bretagne la dynamique de redressement est plus évidente dans l’Eglise méthodiste et dans l’Eglise catholique.
@RP Arbez: c’est exact: la crise morale de l’Europe est sans précédent. C’est très grave. Mais vous abordez là un autre problème, celui du béni-oui-oui racoleur de pas mal de pasteurs anglicans, ce qui est un phénomène rencontré aussi chez pas mal de prêtres catholiques croyant bien faire. Imaginez (sans référence à Lennon) une Eglise avec rien que des Gaillot: c’est la faillite morale, religieuse et financière dans les huit jours. Des Gaillot, cela ne fait que contribuer au problème.
Pour en revenir au texte, évidemment s’il n’y a plus de Foi et s’il y a moins de représentants de l’Eglise catholique dans notre société, comment l’Eglise pourra-t-elle transmettre efficacement que judaïsme et christianisme ont un tronc commun et que c’est très important de le comprendre et de ne jamais le perdre de vue. Car il ne suffit pas de le dire ou de le lire dans un livre. Il faut des témoins qui mettent la “machine” en route. Qui mieux que les religieux juifs et chrétiens pour le faire?
Vous avez parfaitement raison. Mais il est vrai que l’explosion post-soixante-huitarde de l’individualisme jouisseur, conjuguée à une application suicidaire des textes du Concile Vatican II, ont réduit quasiment à néant deux à trois générations de prêtres. Ils reviennent, les jeunes prêtres, mais il faudra encore un peu de temps…
Pour le retour des jeunes prêtres, je souhaite de tout coeur que vous ayez raison, parce que le désert spirituel commence à devenir lourd. Quant à mai 68, je parlerais plutôt du “collectivisme jouisseur”. Ces 68-ards étaient bien naïfs. Ils parlaient de société égalitariste et de monde à l’envers sans trop savoir ce à quoi leurs idoles avaient mené les peuples qu’ils dirigeaient d’une main de fer. Ce qui est tout à fait étonnant, c’est qu’il y ait encore des gens qui prônent les non-valeurs de mai-68. C’est ringard et surtout ça ne mène vraiment nulle part.
Pour les jeunes prêtres je n’ai pas de statistique, juste une impression fondée sur mon témoignage personnel. Je pense également que l’apport de jeunes prêtres africains ne sera pas négligeable. Cependant la crise reste grave, et ce d’autant que le rôle accru donné aux laïcs par Vatican II ne peut pallier la pénurie : le rôle du prêtre dans la communauté est irremplaçable.
Et sur mai 68, malheureusement nous avons encore, aux postes de commande, beaucoup de personnes qui étaient de jeunes idéalistes de cette époque, ou leurs héritiers directs. Il faudra encore un peu de temps…
@ Mandrake et Julio”
A mon sens, ce n’est pas tant le manque que la qualité de nos bons prêtres qui pose problème. «La force et la joie» que beaucoup d’entre nous attendent d’un prêtre se font parfois désirer.
On a envie de leur dire “de grâce, mon Père, parlez-nous de Dieu, enseignez-nous !” Les séminaires d’étude de la Bible auxquels j’ai participé étaient tous dirigés par des laïcs et l’enseignement du catéchisme aux enfants, dans ma paroisse, est également effectué par des laïcs.
Quant au mariage des prêtres et – pourquoi pas – son corollaire le divorce, qui frappe plus de la moitié des couples mariés, non, cent fois non ! Même s’il était possible canoniquement, il ne réglerait rien, bien au contraire.
Il ne suffit pas pour être prêtre d’avoir la foi, d’accumuler les connaissances et d’être un bon administrateur ; il faut avoir tout donné au Christ. Les joies et les soucis, financiers et autres, associés à la vie familiale sont incompatibles avec ce don total de soi-même.
Lorsque s’est posée la question de protéger et d’améliorer de sort des lépreux de l’île Molokaï, tous les Pasteurs potestants d’Hawaï se sont récusés en invoquant leurs responsabilités familiales, qui primaient en effet toute autre considération. Seul le Père Damien a pu se charger de cette terrible tâche qui lui a finalement coûté la vie. Et Mother Teresa n’aurait certes pas pu mener à bien son œuvre si elle avait dû donner la seconde place à sa famille spirituelle.