Publié par Michel Garroté le 15 juin 2012

Michel Garroté – Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, affirme aujourd’hui vendredi que des discussions sont en cours avec la Russie pour préparer l’après Bachar al-Assad. « Les Russes eux-mêmes ne sont pas aujourd’hui attachés à la personne de Bachar al-Assad, ils voient bien que c’est un tyran et un assassin et que eux-mêmes en s’enchaînant à ce dictateur vont s’affaiblir », indique Fabius. « Mais ils sont sensibles, si Bachar est chassé du pouvoir, à qui va prendre (sa place) ; la discussion porte là-dessus», ajoute Fabius. L’opposition bien sûr, encore faut-il distinguer quels vont être les responsables de l’opposition et puis il y aura probablement, même si c’est déplorable, un certain nombre de gens qui ont appartenu aux anciennes équipes mais qui ne sont pas en première ligne. C’est cela qu’il faut essayer d’accoucher », poursuit Fabius. « La France envisage de fournir aux rebelles syriens des moyens de communication qui les aideraient à prendre le dessus sur les forces du régime de Bachar al-Assad », déclare Fabius. Outre les efforts diplomatiques, une autre issue au conflit serait, selon Fabius, « une victoire claire et nette de l’opposition ». C’est la première fois que la France envisage publiquement une aide matérielle à la rébellion armée contre le régime d’Assad.

Mon ami Daniel Pipes publie dans le Washington Times un point de vue qui se trouve être également le mien et que j’ai du reste plusieurs fois expliqué sur ce blog : Alors que le gouvernement syrien fait des efforts de plus en plus désespérés et brutaux pour garder le pouvoir, les plaidoyers pour une intervention militaire, plus ou moins sur le modèle libyen, se font plus insistants. Cette solution est, assurément, d’un point de vue moral, séduisante. Mais est-ce que les États occidentaux doivent suivre ce conseil ? Je ne crois pas. Ces appels à agir se rangent dans trois principales catégories: une inquiétude des musulmans sunnites pour leurs coreligionnaires, une préoccupation universelle humanitaire pour arrêter la torture et l’assassinat, et une inquiétude des géopoliticiens concernant le conflit en cours. Les motifs des deux premières catégories peuvent être assez facilement éliminés. Si les gouvernements sunnites, notamment ceux de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar – choisissent d’intervenir au nom de leurs coreligionnaires sunnites contre les alaouites, c’est leur droit, mais les Etats occidentaux n’ont rien à gagner dans cette lutte.

Les préoccupations humanitaires de type généralités sont confrontées à des problèmes de véracité, de faisabilité, et de conséquences. Les insurgés anti-régime gouvernemental qui gagnent sur le champ de bataille, semblent responsables d’au moins quelques atrocités. Les électorats occidentaux peuvent ne pas accepter [de verser] le sang et l’argent nécessaires pour l’intervention humanitaire. Il faut réussir rapidement, disons en moins d’un an. Le gouvernement qui va succéder peut (comme dans le cas libyen) s’avérer encore pire que le totalitarisme existant. Mis ensemble, ces facteurs plaident de manière convaincante contre l’intervention humanitaire. Les intérêts de la politique étrangère devraient avoir la priorité parce que les Occidentaux ne sont pas si forts et si en sécurité qu’ils puissent voir la Syrie uniquement sous l’angle de la sollicitude pour les Syriens ; ils doivent plutôt envisager le pays de façon stratégique, en faisant passer avant tout leur propre sécurité.

Robert Satloff, directeur exécutif du Washington Institute for Near Eastern Policy (Institut Washington pour la Politique au Proche Orient), a fait un résumé bien utile dans The New Republic des raisons pour lesquelles une guerre civile syrienne constitue un danger pour les intérêts américains: le régime d’Assad pourrait perdre le contrôle de son arsenal chimique et biologique ; il pourrait renouveler l’insurrection du PKK contre Ankara ; il pourrait régionaliser le conflit en poussant sa population palestinienne vers la Jordanie, le Liban, et les frontières israéliennes ; il pourrait lutter contre les sunnites du Liban, et rallumer la guerre civile libanaise. Les guerriers djihadistes sunnites, en réponse, pourraient, eux, transformer la Syrie en centre de réseau mondial de terrorisme islamiste violent – en bordure de l’OTAN et Israël. Enfin, il s’inquiète de ce qu’un long conflit donne aux islamistes de meilleures chances que ne leur donne un conflit qui se termine rapidement.

Ce à quoi je réponds ceci : Oui, les armes de destruction massive pourraient aller aux voyous mais je m’inquiète plus au sujet du fait qu’elles pourraient se retrouver entre les mains d’un gouvernement islamiste qui prendrait la succession. Une insurrection renouvelée du PKK contre le gouvernement hostile gouvernant la Turquie, ou des tensions entre sunnites et alévis dans ce pays, pourraient difficilement être considérées comme faisant partie des principales préoccupations de l’Occident. L’expulsion des Palestiniens déstabiliserait à peine la Jordanie ou Israël. Le Liban est déjà dans une situation catastrophique de balkanisation, et, par opposition à la période 1976-1991, le conflit interne en cours n’affecterait que légèrement les intérêts occidentaux. L’effort du jihad mondial dispose de ressources limitées; l’emplacement est peut-être loin d’être idéal, mais quoi de mieux pour le jihad mondial que lutter à mort en Syrie contre les Pasdaran (Gardiens de la Révolution iranienne d’Iran) ?

Sur le fait que la durée du conflit va à l’encontre des intérêts occidentaux: même si le conflit prenait fin immédiatement, je prévois qu’il n’y a pratiquement aucune chance de voir émerger un gouvernement pluriethnique et pluriconfessionnel. Tôt ou tard, une fois que Assad et sa charmante épouse auront décampé, les islamistes vont probablement s’emparer du pouvoir, les sunnites vont se venger, et les tensions régionales se feront jour au sein même de la Syrie. En outre, le renversement du régime Assad ne signifie pas la fin immédiate de la guerre civile en Syrie. Ce qui est le plus probable c’est que la chute d’Assad va conduire les Alaouites et d’autres éléments basés en Iran à s’opposer au nouveau gouvernement. En outre, comme Gary Gambill le souligne, l’engagement militaire de l’Occident pourrait enhardir l’opposition au nouveau gouvernement et prolonger les combats.

Enfin, comme ce fut le cas auparavant en Irak, un conflit prolongé en Syrie offre certains avantages géopolitiques. Il diminue les possibilités qu’à Damas de commencer une guerre avec Israël ou de réoccuper le Liban. Il augmente les chances que les Iraniens, qui vivent sous la férule des mollahs qui sont des alliés essentiels pour Assad, s’inspirent de l’insurrection syrienne et même se rebellent contre leurs dirigeants. Il rend les pays arabes sunnites encore plus furieux contre Téhéran, d’autant plus que la République islamique d’Iran a fourni armes, argent, technologie pour aider à réprimer les Syriens. Il réduit la pression qui pèse sur les non-musulmans: très révélateur cette nouvelle façon de penser est le fait que le leader salafiste Jordanien Abou Mohammed Tahawi ait récemment déclaré que “La coalition chiite et alaouite est actuellement la plus grande menace pour les sunnites, plus encore que les Israéliens”. Il provoque la fureur du Moyen-Orient à Moscou et à Pékin pour le soutien accordé au régime d’Assad. Les intérêts occidentaux suggèrent donc de rester en dehors du bourbier syrien, conclut Daniel Pipes.

Pour ce qui me concerne, la crise syrienne me pose un problème. Je l’ai déjà écrit plusieurs fois. Je déteste le clan Assad. Notamment parce que j’ai vu de mes yeux les monstruosités perpétrées par le clan Assad contre les Chrétiens au Liban dans les années 1980. Cela dit, lorsque quelques années plus tard, dans les années 1990, je me suis rendu en Syrie, j’ai été bien obligé d’admettre que la situation des Chrétiens y était bonne. C’est un paradoxe typiquement levantin. Le clan Assad a voulu chasser les Chrétiens du Liban afin de pouvoir annexer ce pays. Et le même clan Assad, dans son propre pays, la Syrie, a ménagé les minorités, y compris les minorités chrétiennes, du fait que ce clan est lui-même une minorité alaouite dans un pays majoritairement sunnite. Je sais très bien qu’actuellement le clan Assad fait à son propre peuple ce qu’il avait déjà fait pendant plus de quinze ans au peuple libanais. Du reste, à l’époque, j’étais très seul dans ma défense des chrétiens libanais qui semblaient laisser le monde entier indifférent. Et je ne peux donc pas, aujourd’hui, prendre parti contre le clan Assad que je déteste, car si un califat islamique lui succède, les Chrétiens de Syrie n’auront plus qu’à faire leurs valises. Et qui les accueillera ? Personne…

Michel Garroté

Rédacteur en chef

Reproduction autorisée avec mention de ce blog

Sources :

http://www.danielpipes.org/11436/syria-intervention

http://fr.danielpipes.org/11439/bourbier-syrien

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