Publié par Abbé Alain René Arbez le 5 juillet 2012

C’est avec dignité et habileté que Jésus se sort du piège qui lui a été tendu par ses adversaires, avec leur question directe : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César ? »

Qui sont ces interlocuteurs aux aguets ? Principalement des Hérodiens, c’est à dire – avec les Sadducéens – des collaborateurs de l’occupant romain, ceux-là même qui le conduiront finalement devant le Procurateur de Rome, seul habilité à prononcer la peine de mort.

Ils s’adressent à Jésus en soulignant ses compétences, parce qu’il est l’un de ces rabbis connaisseurs de l’Ecriture que l’on va consulter sur des questions ordinaires ou sur des problèmes d’ordre éthique. On le remarque dans la façon particulière de lui poser la question, ils lui demandent : est-il permis ?

Mais le cas de conscience est particulièrement délicat, car l’impôt que l’on paye à l’occupant, c’est l’aveu même que le peuple d’Israël n’est plus maître chez lui, en Eretz Israël, sur ses terres ancestrales. Et cette terre, elle est la Terre des promesses, celle qui a été confiée pour toujours par D.ieu à son peuple, et certainement pas attribuée à César ! Le règne de César et de ses clones occupants successifs passera, mais les promesses de Dieu sur sa terre bénie demeurent à jamais.

C’est justement sous cet angle que la réponse de Jésus est étonnante de finesse et d’authenticité. Sans faire d’ironie, Jésus renvoie chacun à sa conscience et à sa liberté, mais en fonction d’une seule et unique logique : celle de l’Alliance avec D.ieu et des responsabilités que cela induit pour chaque croyant…

Malheureusement, les interprétations courantes du “rendez à César” vont souvent à l’inverse de ce que Jésus a exprimé. Ce qui est compris la plupart du temps, c’est : “chacun son domaine!” D.ieu dans son ciel, César sur ses terres.

Certains milieux affectionnent particulièrement cette interprétation réductrice, qui sépare définitivement le spirituel et le temporel… car quand on est allergique à la visibilité chrétienne, on veut restreindre le plus possible le rayonnement de la tradition judéo-chrétienne à la sphère privée.

Rendez à César ce qui est à César et à D.ieu ce qui est à D.ieu!

Ce verset a fait couler beaucoup d’encre. Depuis le 19ème siècle et son effervescence politique, la laïcité « à la française » issue de 1789 a voulu voir dans cette répartie non seulement une séparation mais un cloisonnement étanche des pouvoirs, valable pour tous les temps. Avec cette idée impérative simpliste: chacun chez soi.

Ce qui revient par le fait à donner carte blanche au politique et à bâillonner définitivement toute expression publique des Eglises et tout témoignage quelque peu critique envers le pouvoir en place.

Et si Jésus en tant que rabbi expert de la liberté inviolable avait justement voulu exprimer autre chose, en conformité avec la Tradition biblique dont le souci principal est que chaque réalité humaine sur terre – individuelle et collective – puisse sanctifier HaShem, le Saint Nom, irréductible à nos catégories philosophiques ?

Si Jésus répond qu’il faut payer l’impôt à César, il apparaît comme une girouette soumise aux Romains dont la présence est sacrilège. S’il affirme qu’il faut refuser de payer, il entre ouvertement en révolte contre l’occupant, et ne sera crédible que s’il encourage à la résistance armée.

Par tous les contacts quotidiens qu’il a avec la population, Jésus sait à quel point l’impôt romain opprime et fait souffrir le peuple, il sait que la présence en terre d’Israël de l’armée d’un empire idolâtrique et sanguinaire est une humiliation pour les croyants et une offense envers D.ieu. L’épisode antérieur tragique d’Antiochus Epiphane, au temps des Maccabîm, est encore dans tous les esprits, avec sa féroce répression et le massacre de toute la jeunesse résistante.

Lorsque les juifs ne parviennent pas à payer la taxe du Temple, ils ne risquent pas leur vie. Tandis que s’ils sont dans l’impossibilité de payer l’impôt à César, la troupe arrête toute la famille, le père est envoyé aux galères, les enfants sont expédiés à Rome comme esclaves.

Mais pour Jésus, le Royaume des cieux n’est pas assimilable aux empires de ce monde. Son projet ne consiste pas à faire retour à l’époque du roi David et à apparaître ainsi comme un messie triomphal, héros parmi d’autres de l’unité nationale. Jésus désire apparemment bien plus qu’un changement provisoire de gouvernement, il veut le changement durable des gouvernants et des gouvernés ; et cela, par une force intérieure qui est celle de l’Esprit, la Ruah HaKadosh, il veut donc une rédemption venue d’en-Haut qui ne fasse violence à personne, mais qui libère tout être humain par le Souffle de l’amour, dans la justice et la paix. Jésus a dénoncé à diverses reprises les grands de ce monde qui font sentir leur pouvoir et se proclament bienfaiteurs de l’humanité.

Voilà pourquoi Jésus remet ses débatteurs en face de leurs propres responsabilités. S’ils veulent profiter de la présence de César, qu’ils lui rendent son dû. S’ils sont contre lui, qu’ils n’en retirent pas des avantages et des bénéfices. (Or on sait que les Sadducéens s’enrichissent considérablement à travers les officines du Temple qui changent la monnaie de César – impie – en shekels, lors de l’achat d’animaux de sacrifice par les fidèles. C’est précisément ce système qui a exaspéré Jésus et l’a amené à renverser les tables des changeurs et à chasser les marchands en revendiquant la pureté du lieu saint).

Face à la question qui lui a été posée, Jésus a pris du recul ; c’est d’ailleurs pour cela qu’il demande à ceux qui veulent jouer au plus fin avec lui : et l’effigie sur la pièce, de qui est-elle ?

L’effigie, c’est l’image. Et l’image, cela renvoie aux origines, à la Genèse, lorsqu’il est dit que D.ieu a voulu l’homme à son image. S’il est vrai que cette pièce d’argent appartient à César puisqu’elle montre son portrait, il est vrai aussi que les habitants d’Eretz Israel appartiennent à D.ieu.

Ce qui doit revenir à D.ieu, c’est l’homme tout entier, avec tout ce qu’il est, individuellement, mais aussi socialement. Le prophète Isaïe évoque cette réalité : “celui-ci dira j’appartiens au Seigneur… celui-là inscrira sur la paume de sa main : je suis à Dieu.” (Is 48.4)

La réponse de Jésus est centrée à la fois sur la Parole de Dieu et sur la condition humaine. C’est exactement la logique de l’alliance que Jésus incarne jusqu’au bout, dans sa propre personne, jusqu’à la crucifixion. Par son engagement, Jésus restaure l’image de D.ieu en l’homme. Mais il n’y a ni fuite de l’humain vers un monde idéalisé et merveilleux, ni mise à distance de D.ieu pour que s’exerce une liberté humaine en errance.

L’effigie de la pièce romaine est illustrée d’une légende : « Tibère, fils du divin Auguste César ». Dangereuse sacralisation à partir de laquelle toutes les dérives sont possibles ! L’empereur de Rome exige d’être reconnu comme « dieu sur terre ». De nombreux juifs et chrétiens sont morts au premier siècle pour avoir refusé de brûler l’encens devant l’effigie divinisée du pouvoir romain : D.ieu seul est D.ieu !

Il en reste une trace significative dans la messe, avec le Kyrie eleison, car les premiers disciples à Rome, accusés d’athéisme en raison de leur refus de reconnaître la divinité impériale et de sacraliser une politique terrestre, proclamaient que Jésus ressuscité seul – assis à la droite du Père – mérite d’être appelé Kyrios, (Seigneur), car son pouvoir respecte l’homme et le grandit. C’est un vestige de leur objection de conscience.

A partir de là nous pouvons nous aussi nous interroger : à l’effigie de qui ou de quoi sont nos existences à nous ? A l’image des pouvoirs dominants qui resserrent chaque jour leur influence, à l’image des mentalités paganisantes qui imprègnent de plus en plus les comportements ? A l’image de nos convictions qui refusent l’aliénation sous toutes ses formes ?

Nous aussi nous payons des impôts, mais qu’attendons-nous de l’état, en contrepartie, qui soit dans la ligne de nos convictions ?

Aujourd’hui, nombreux sont les citoyens qui, dans l’esprit de Jésus, refusent de sacraliser l’argent et ses images aliénantes dans les marchandises, nombreux aussi ceux qui n’acceptent pas cette soumission à des pouvoirs idolâtriques ou à des divinités modernes ; toutes ces formes de violence vont à l’encontre des exigences d’un D.ieu garant de la dignité de l’homme.

Rendez à D.ieu ce qui est à D.ieu, s’il est affirmé que tout appartient à D.ieu, ce n’est évidemment pas pour déposséder l’humanité de ses initiatives, mais au contraire, pour préserver l’espace de liberté inviolable de l’homme, afin de rendre ce monde habitable. Ce qui implique de ne pas laisser César le défigurer en le déshumanisant par l’arbitraire de ses pouvoirs multiformes, idéologiques, économiques, politiques, ou même religieux.

Aucun César ne peut se prétendre le maître de la destinée des hommes. En rappelant l’image de D.ieu inaliénable en chacun, Jésus ramène le pouvoir à sa dimension de fragilité et d’ambiguïté. Il ne cherche pas pour autant à substituer son autorité au pouvoir politique, il ne pose pas les bases d’une théocratie à la manière de Mahomet six siècles plus tard.

Par le tsimtsoum (retrait), le D.ieu de la Bible laisse en effet aux hommes l’espace de leur gestion des affaires personnelles et collectives, la création leur a été confiée, à eux d’exercer leurs responsabilités, c’est-à-dire de répondre de leurs actes devant une justice transcendante.

Mais c’est une autonomie qui a des comptes à rendre ! Contrairement à ce que croient encore certains, des règles sont nécessaires, tant pour la vie individuelle que pour la vie en société, des critères sont indispensables pour évaluer la qualité des systèmes. Si les dix commandements ont été donnés au peuple de D.ieu, ce n’est pas pour restreindre la liberté, mais pour la construire et l’épanouir ; cette règle de vie reçue du judaïsme par les chrétiens est reconnue comme source de lumière, puisque St Jean, l’évangéliste qui parle le plus d’amour, est aussi celui qui parle le plus de commandements !

Tout ce qui touche au domaine de César ne peut donc rester cloisonné comme une chasse gardée entre les mains de quelques spécialistes du pouvoir, autoproclamés intouchables sous prétexte de laïcité, mais c’est, au contraire, l’affaire de tous ; et les croyants en l’Alliance, juifs et chrétiens, ont en tant que citoyens et en tant que porteurs de valeurs, une mission commune à assumer ensemble.

Nous pouvons unir nos forces de toute urgence au service d’un humanisme original, vers la rédemption de ce qu’il y a de meilleur en l’homme, en ce qui concerne la qualité de vie des personnes, des familles, des groupes et des peuples. Les défis de l’avenir proche sont là pour le rappeler à temps et à contretemps!

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© Abbé Alain René Arbez pour www.Dreuz.info

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