Publié par Abbé Alain René Arbez le 21 juillet 2012


La facilité des voyages d’aujourd’hui nous ferait presque oublier la complexité de ceux de jadis ! Dans l’antiquité, on voyageait beaucoup plus que ne l’imagine l’homme du XXIème s. Nos performances techniques contemporaines dans la mobilité, telles que les avions, les automobiles, les trains et les bateaux, ne doivent pas nous faire perdre de vue que les Grecs, les Romains, les Orientaux se déplaçaient eux aussi fréquemment, mais avec les moyens de leur époque.

Le monde hellénistique appréciait les sites touristiques (mirabilia), c’est d’ailleurs de là que vient l’idée des « sept merveilles du monde ». On voyageait aussi pour des raisons religieuses : les Grecs qui allaient interroger l’oracle de Delphes rapportaient volontiers des souvenirs de leur passage dans les sites sacrés. Les Juifs de la diaspora se rendaient chaque année à Jérusalem pour célébrer Pessah, Shavouot, Yom Kippour et autres fêtes de rassemblement. Les Romains quant à eux profitaient de la Pax Romana pour voyager dans de vastes régions relativement sécurisées sous administration impériale.

Durant une période d’environ deux siècles, avant et après l’ère chrétienne, les peuples et les frontières furent en effet sous contrôle d’une toute-puissante présence romaine qui s’étalait de la Gaule à l’Egypte en passant par l’Asie mineure. Ce climat de stabilité politique favorisa les voyages et donc les transactions commerciales et les échanges d’idées.

Mais avant ces périodes gréco-romaines structurant la mobilité humaine dans le monde antique, il y avait eu de grands mouvements de populations. Lorsque des rois s’emparaient d’une région, ils emmenaient souvent tout un peuple en esclavage ou ils la repeuplaient avec des immigrants forcés. La Galilée en est un exemple parmi d’autres (am haaretz).

La Bible, best seller mondial, nous raconte les étapes marquantes d’une itinérance porteuse de sens, celle du peuple d’Israël sorti d’Egypte et en quête de la Terre que Dieu lui avait promise au cœur de l’alliance ; puis il y eut le retour d’exil de Babylone, prototype d’une techouva providentielle. Suite aux multiples invasions, déportations et autres malheurs successifs survenus en Eretz Israel, des Israélites avaient dû à plusieurs reprises traverser des distances considérables pour se regrouper en communautés constituant peu à peu la « diaspora », présente à Rome, Alexandrie, Antioche, Persépolis, et en de nombreuses autres villes antiques. On sait que des contacts permanents entre ces communautés ont mis sur les routes un grand nombre de voyageurs, parfois porteurs de messages spirituels de haute importance. La culture des uns stimulait celle des autres.

Dans les premières générations qui ont suivi l’apparition de la foi judéo-chrétienne en terre d’Israël, un homme à la destinée hors du commun a symbolisé cette fantastique mobilité dévouée au service des autres: Saül de Tarse, appelé aussi Paul. Un voyageur au service d’un message.

Car le premier siècle de l’ère courante fut véritablement le siècle des voyageurs : étudiants romains se rendant en Grèce, fonctionnaires impériaux allant inspecter les administrations locales, écrivains et explorateurs, malades en pèlerinage vers les lieux sacrés, artisans, militaires, sportifs en route vers les olympiades, mais aussi maîtres spirituels juifs et missionnaires de l’évangile.

Tous ces voyageurs profitaient du magnifique réseau routier romain, entretenu et surveillé par l’Empire. Pour assurer la centralisation du pouvoir, Agrippa avait en effet mis en place le cursus publicus, ensemble de relais gardés militairement tous les 25 miles, où les voyageurs pouvaient se reposer et se restaurer sans crainte des brigands. L’apôtre Paul, si l’on en juge par ses itinéraires a souvent choisi pour ses déplacements des trajectoires jalonnées de ces relais.

Mais c’est surtout le transport maritime que Paul a privilégié. Il y avait peut-être moins de risques de piraterie sur mer que de brigandage sur les routes. Malgré les dangers de la traversée et la possibilité d’un naufrage, un navire était le moyen de déplacement le plus performant de l’époque. Une journée pour faire 130 km, deux jours pour 200km environ, la Méditerranée était sillonnée d’embarcations chargées de voyageurs.

On connaît l’essentiel des voyages de Paul grâce aux récits rédigés par un certain Luc, auteur du 3ème évangile et des Actes des Apôtres. Son premier voyage se situe autour de 46, suivi par d’autres qui vont s’échelonner jusqu’au dernier, à Rome, vers 60, et où il sera exécuté sur demande du pouvoir.

Paul s’est montré un voyageur infatigable, au service d’une annonce qui avait investi toute sa vie. Les dangers, la fatigue, l’adversité ne lui faisait pas peur. Né dans une famille juive observante originaire de Tarse et bénéficiant du statut de citoyen romain, Saul a reçu une double éducation : grecque et universitaire, juive et rabbinique. Il connaissait les classiques gréco-romains et citait la Bible dans la version hellénisée des septante. A 17 ans, Saul est allé se former auprès du célèbre rabbin Gamaliel, spécialiste renommé de la Torah qui n’acceptait dans son école que les meilleurs élèves. Son ouverture d’esprit aux connaissances hellénistiques ne l’a jamais détourné de l’attachement aux valeurs bibliques fondamentales, même si sa synthèse personnelle a suscité de nombreuses controverses.

Mais Saul avant de devenir Paul après l’expérience du chemin de Damas, a d’abord connu une période de jeunesse quelque peu intégriste. D’origine pharisienne donc plutôt sage et non-violent, il a dérivé vers une dureté fanatisée qui l’amenait avec d’autres à maltraiter les dissidents distanciés du judaïsme officiel. Parmi ceux-ci, des hommes et des femmes disciples du rabbi Jésus, et que Saul entendait bien mettre au pas. Mais sa rencontre mystérieuse avec le Ressuscité sur une route dite de Damas l’a réconcilié avec la foi de ses pères et l’a conduit à porter partout la Bonne Nouvelle du Dieu-Amour manifesté dans le Messie Jésus.

Paul n’agissait pas en témoin isolé. Relié à l’Eglise-mère de Jérusalem, il partageait avec d’autres le même risque : dans un Empire romain attentif aux professions de foi contestant la divinité de l’empereur, une impitoyable persécution menaçait constamment ceux qui refusaient de brûler de l’encens devant l’effigie de César et qui en appelaient à une justice supérieure plus véridique que celles des hommes.

C’est ainsi que Saul devenu Paul s’est transformé, sous l’impulsion de l’Esprit, en un voyageur convaincu, parcourant des distances phénoménales et connectant entre eux des groupes d’hommes et de femmes de tous horizons, israélites et païens, traditionnalistes et craignant-Dieu, personnes pieuses et hédonistes convertis… Il est parvenu à ce que des juifs pharisiens et des néophytes d’origine païenne fassent table eucharistique commune. Ses voyages ont été à la fois géographiques et spirituels, toujours profondément humains et réceptifs à l’autre, et cela, malgré les inévitables conflits de doctrine et de personnes dont les épîtres nous renvoient les échos contrastés.

Paul a contribué ainsi, en payant de sa personne, à relier et rapprocher les hommes à partir d’une foi hébraïque confrontée aux bouleversements d’une époque troublée, pour offrir, selon un Messie d’Israël élargi à l’universel, une perspective de relations égalitaires entre tous.

C’était une véritable démarche de mondialisation de l’Esprit, et les bases de ce qui allait devenir les droits de l’homme et la catholicité étaient ainsi posées.

« Il n’y a plus d’un côté l’esclave, et de l’autre le citoyen avec ses droits ; il n’y a plus d’un côté les Juifs, de l’autre les païens; il n’y a plus d’une part l’homme et de l’autre la femme.

Tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ ! » (Ga.3.28)

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