Publié par Guy Millière le 16 août 2012

On célébrait voici peu le centième anniversaire de la naissance de Milton Friedman.

Tout au moins, dirai-je, on célébrait ce centième anniversaire dans les milieux libéraux, et dès lors qu’en France les milieux libéraux sont désormais infiniment minoritaires et quasiment exclus de tous les grands débats, cette célébration est très largement passée inaperçue.

Milton Friedman n’en est pas moins, avec Friedrich Hayek, Karl Popper, Ludwig von Mises et Leo Strauss, l’un des géants de la pensée au vingtième siècle, et l’un de ceux qui ont le plus amplement contribué à faire avancer la cause de la liberté économique et politique, si menacée aujourd’hui.

Milton Friedman n’est pas simplement le penseur du monétarisme, ce à quoi on le réduit trop souvent : il est le père de multiples idées profondément fécondes, telles le chèque éducation. Son livre Capitalisme et liberté est l’un des grands classiques de la pensée économique et si nos gouvernants le lisaient, ils proféreraient un peu moins d’inepties et de paroles grotesques. Son livre, signé avec Rose, son épouse, La liberté de choix, est basé sur une série d’émissions télévisées qu’il faudrait diffuser en France d’urgence si nous voulons éviter le naufrage qui s’annonce (cette diffusion n’aura pas lieu, je sais) : faute de diffuser les émissions, le livre pourrait être réédité (il est indisponible en France depuis le début des années Mitterrand, comme par hasard).

Milton Friedman est l’auteur d’un livre dont le thème est plus que jamais d’actualité, hélas, La tyrannie du statu quo, publié au début des années Reagan pendant lesquelles cette tyrannie s’est trouvée pour partie brisée avant de revenir en force. Il y écrit ce qui suit : « le statu quo tient à des groupes d’intérêts, des bureaucrates et des politiciens qui, avec l’aide des médias et des milieux universitaires, utilisent le gouvernement pour accroître leur pouvoir aux dépens de la population ». Avec le consentement fabriqué de celle-ci, ajouterai-je.

Milton Friedman a énoncé aussi de manière très claire les raisons pour lesquelles l’euro allait susciter des dysfonctionnements graves, et en un moment où ces dysfonctionnements sont là et s’accentuent (ne croyez surtout pas que la zone euro et la monnaie unique sont sauvées, et ne vous fiez pas aux paroles lénifiantes et aux potions du docteur Draghi), ses propos devraient donner à penser :

un système dans lequel les frontières politiques ne coïncident pas avec les frontières monétaires est condamné à être essentiellement instable… Un taux de change flexible permettrait des ajustements. Dès lors qu’un taux de change flexible n’existe pas, les seuls mécanismes d’ajustement subsistants sont les prix, les salaires, les mouvements de population et de capital. Les mouvements de population et les variations salariales sont limitées par les divergences culturelles et les différences de réglementation et de structure économique de pays à pays. Si de la flexibilité n’est pas réintroduite, les membres de la zone euro connaîtront une série de chocs asymétriques, de graves difficultés économiques émergeront, qui créeront une conflictualité politique.

Les propos de Milton Friedman datent de mai 2001. La flexibilité n’est pas à l’ordre du jour. Les divergences culturelles et les différences de réglementation et de structure économique de pays à pays sont toujours là. Les chocs asymétriques sont en train de se produire. Les graves difficultés économiques sont omniprésentes. La conflictualité politique ressemble présentement à de la braise sous la cendre.

On ne cesse de dire que la zone euro est sauvée.

On parle de « gouvernance économique européenne », pour ne pas dire que le projet européen, constructiviste au sens hayekien du terme, est une grande fuite en avant où de crise en crise, la réponse est toujours « plus de centralisation des pouvoirs ». On parle d’ « austérité », en entendant par là non pas davantage de liberté économique, moins d’omniprésence de l’Etat, mais davantage d’impôts, davantage de contrôles, et un peu plus de dépenses gouvernementales. Ce type d’ « austérité » là ne peut pas conduire à la croissance et à un retour à l’esprit d’entreprise, mais à une prolongation de la stagnation, à une montée du chômage et de la pauvreté.

La France n’est pas encore dans la situation de la Grèce, pas même dans la situation de l’Espagne, mais donnez au présent gouvernement quelques mois encore de mesures suicidaires, et cela pourrait venir.

Des économistes très sérieux disent que la zone euro pourrait être sauvée provisoirement par une cassure en deux, avec d’un côté les pays du Nord, et de l’autre les pays du Sud, la France se situant plutôt dans la deuxième catégorie. D’autres évoquent la nécessité d’émission de monnaie par la Banque centrale européenne, qui a déjà monétisé de la dette en quantités considérables, et, en conséquence, de l’inflation et une dévaluation de l’euro. Celui-ci a déjà perdu en un an quinze pour cent par rapport au dollar : ce n’est pas suffisant, disent-ils. Le recours à l’inflation et à la dévaluation débouchent en général sur des phénomènes analysés par Hayek, stagflation ou slumpflation. L’Allemagne est un pays où l’idée même d’inflation suscite l’épouvante et où on sait que le vieillissement accéléré de la population aura des conséquences qu’il faudra payer.

En cas de mise en place d’une « gouvernance européenne » aux fins de tenter de recoller provisoirement les morceaux d’ores et déjà épars, il se dit que le Royaume Uni pourrait quitter l’Union, et entraîner un mouvement centrifuge : diverses banques asiatiques prennent sérieusement en compte cette option. La Finlande et l’Estonie pourraient alors quitter la zone euro. La zone euro n’est pas sauvée, non. Très loin de là. Vraiment très loin de là. Nous ne sommes qu’au début de la « crise » de l’euro.

Relire Milton Friedman serait une urgence en Europe. On pourrait y ajouter la relecture de ceux que j’ai, plus haut, qualifiés de géants de la pensée du vingtième siècle. Rien de tout cela n’est à l’ordre du jour, non.

Ce qui sera bientôt à l’ordre du jour sera la poursuite du naufrage désordonné de l’Europe. Si aux Etats-Unis le désastre Obama devait se poursuivre au delà du 6 novembre, l’orage parfait dont j’ai déjà parlé sera vraiment parfait. Il y manquera peu d’ingrédients. Le monde musulman s’effondre et explose. La Chine s’essouffle et va vers des troubles graves. Moi, inquiet ? Non…

Je chercherai alors une île déserte, un endroit pour attendre la fin d’un monde en lisant quelques bons livres. Ceux des auteurs cités ici, par exemple.

Si Obama est battu, par contre, tout redeviendra possible aux Etats-Unis. Dois-je le dire ? Paul Ryan a, entre autres, beaucoup lu Milton Friedman.

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© Guy Millière pour www.Dreuz.info

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