Publié par Jean-Patrick Grumberg le 12 septembre 2012

Au cours des trois dernières années, Israël a fait une méga-découverte énergétique l’une après l’autre.

D’abord, il a découvert 1,5 milliard de barils de pétrole onshore à Rosh Ha’ayin, situé à environ 10 miles de la côte et Tel-Aviv. C’était une petite, mais importante découverte qui a suscité une intense activité d’exploration.

Puis il a fait la plus importante découverte de la dernière décennie. L’US Geological Survey (USGS) a estimé que l’ensemble du bassin du Léviathan contient 1,7 milliard de barils de pétrole récupérable, et 700 milliards de mètres cubes de gaz récupérable.

Les enquêtes menées par les experts dans la région de Tamar, essentiellement par le consultant américain Netherland, Sewell & Associés, indiquent que le champ de Tamar contient des réserves prouvées de 217 milliards de mètres cubes de gaz.

Enfin, il s’avère qu’Israël possède les second plus gros dépôt de schistes bitumineux du monde hors des États-Unis, (Dreuz avait interviewé le responsable scientifique de l’exploitation) (1), lequel pourra, fait exceptionnel, être extrait avec zéro dégât environnemental par réchauffement/raffinement/extraction souterrains.

Faisons le calcul. 250 milliards de mètres cubes de pétrole de schiste, 3,2 milliards de barils de pétrole conventionnel, soit des réserves estimées équivalentes à celles de l’Arabie Saoudite. Auxquels s’ajoutent 1,5 trillions de mètres cubes de gaz naturel, soit environ 10% des réserves de gaz du monde – tout cela alors que les activités d’exploration d’Israël ne font que commencer.

Ce miracle économique a eu tendance à contrarier un grand nombre d’acteurs régionaux désireux d’obtenir leur part du gâteau – légitimement ou non. Le bras de fer a déjà commencé, et la crise géopolitique qui va s’engager englobe et dépasse la guerre civile en Syrie.

Chypre est sur le point d’exploiter de nouvelles richesses énergétiques et le Liban (soutenue par l’Iran), est impatient de lancer son propre programme d’exploration dans ses eaux territoriales.

Cette agitation ne fait qu’exacerber des rivalités anciennes entre Israël et le Liban d’une part, entre la Turquie et la Grèce, la Russie, et la Syrie d’autre part, l’Egypte et les Palestiniens de la bande de Gaza étant susceptibles d’être entraînés dans la tourmente.

Mieux encore, la Russie est déterminée à rivaliser avec les ambitions turques pour l’influence régionale, et ne pourrait pas faire autrement que de se retrouver entraînée dans un conflit.

Israël a froidement rejeté les propositions de la Russie. En juin dernier, la Russie, par l’intermédiaire de sa société d’état producteur de pétrole Rosneft, a tenu des consultations avec Israël sur une éventuelle participation à l’exploitation de ses champs de gaz naturel, mais Israël a rompu les négociations faute d’une « offre efficace ». Ce camouflet n’est pas passé inaperçu des Russes.

En mai dernier, la Turquie, ancien allié stratégique d’Israël, et maintenant l’un de ses critiques les plus virulents, avait mis en garde les entreprises internationales qui tentaient d’obtenir un permis d’exploration auprès du gouvernement chypriote grec – nouvel allié d’Israël – et leur avait donné l’orde de « rester à l’écart ».

Naturellement, Israël a répondu par l’envoi d’une flotte pour protéger ses intérêts pétroliers.

La Turquie a ensuite prévenu qu’il empêcherait Israël d’exploiter les ressources de gaz en Méditerranée orientale, et a sous entendu qu’il serait prêt à répondre par la force pour montrer sa détermination.

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Ce qui pose un défi direct à la politique américaine.

Car les États-Unis ont un intérêt fort dans l’est de la Méditerranée et avec les pays qui exploitent les réserves de gaz. Mais les Etats-Unis sont politiquement ligotés, et mal préparés financièrement pour soutenir tout nouveau conflit. N’oublions pas qu’ils empruntent chaque dollar pour financer son armée, et le peuple américain ne verrait pas d’un bon œil l’idée de financer un nouveau conflit – même pour protéger Israël.

C’est le long conflit entre Chypre divisée, la Turquie et la Grèce, qui est la véritable clé pour comprendre les querelles de la Turquie avec Israël.

Voici pourquoi.

Chypre a été divisée en deux zones, grecque et turque, lorsque les Turcs ont envahi en 1974 et saisi le tiers septentrional de l’île de Chypre.

Les récentes découvertes de gaz naturel Chypriote ont donc encouragé la Turquie à renouveler sa campagne diplomatique pour le compte des « Chypriotes turcs » dans la soi-disante « République turque de Chypre du Nord ». Pourquoi ? Pour le gaz et le pétrole qu’il prétend posséder. Ainsi, la Turquie lance sa propre exploration au large de Chypre, et la moindre frappe qu’elle pourrait faire (et elle risque de le faire) ne fera qu’alimenter les tensions. Ce qui explique que la Turquie et Israël ne se regardent pas exactement dans le blanc des yeux, et que le nœud se situe à Chypre.

Les tensions ont atteint leur paroxysme quand le gouvernement chypriote grec (le gouvernement légitime reconnu par l’ONU) a décidé d’ouvrir son propre champ d’exploitation, Aphrodite, au large de sa côte sud. Le gisement correspond à celui des Israéliens, le Léviathan. Mieux encore, il s’agit probablement d’une extension géologique du Léviathan Israélien. Notons que l’accord de séparation des zones d’exploitation selon les limites des eaux territoriales entre Chypre et Israël a été bouclé en trois jours, alors que celui entre le Liban et Israël n’a pas même réellement commencé que ces dernières contestent toutes les cartes internationales et font des demandes fantaisistes qui ont tellement effrayé les compagnies pétrolières, qu’aucune ne veut jusqu’à présent signer le moindre contrat avec le Liban.

Aphrodite donc, contient un peu plus d’un demi milliards de mètres cubes de gaz et de pétrole.

Le 19 mai, la Turquie a tracé une ligne rouge. « La Turquie ne tolèrera aucune activité dans cette zone », a déclaré le ministère turc des Affaires étrangères.

Mais 15 entreprises et consortiums, dont Novatec pour la Russie, Eni pour l’Italie, Total pour la France, et Petronas pour la Malaisie, sont demandeurs de licences pour exploiter Aphrodite, ainsi que onze autres champs d’exploration au sud de Chypre.

A ce point, de nombreux acteurs internationaux pourraient se transformer en une foule en colère contre tous ceux qui voudraient piller les richesses pétrolières et gazières d’Israël et de Chypre.

Le plan d’Israël et de Chypre est de livrer leur gaz par un pipeline commun qui passera au travers de la Grèce vers l’Europe occidentale, et ainsi réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis à vis de la Russie. Vladimir Poutine n’est donc pas précisément heureux de l’éventualité de perdre un gros client pour son gaz naturel.

Mais d’un autre coté, la Turquie est déterminée à restaurer son influence historique sur le Moyen-Orient et en Asie centrale, en transformant son pays, pauvre en ressources énergétiques, en un nœud d’énergie entre l’est et l’ouest – que le plan Israël/ Cypress d’oléoduc à travers la Grèce et l’Italie pour alimenter le reste de l’Europe en gaz et en pétrole perturbe énormément.

Cela augmente les enjeux et les tensions en Méditerranée orientale, avec la Russie, l’une des grandes puissances pétrolière et gazière au monde, qui tente de trouver le moyen de tirer profit de ce formidable essor d’activité.

De plus, Moscou est nerveux à cause des plans régionaux de la Turquie. Car le président russe a lui aussi l’intention de restaurer l’influence qu’avait la Russie dans la région jusqu’à la fin de la guerre froide.

Cela place donc la Russie et la Turquie sur des flancs opposés, y compris dans la guerre civile syrienne.

Moscou soutient le régime de Damas, un client de longue date, la Turquie soutient les rebelles. Et aucun des deux n’apprécie le nouveau pouvoir des pétro-shékels israéliens, qui menace de bouleverser l’équilibre des forces en Méditerranée orientale.

Moscou n’est pas sans quelques liens avec les pays « nouveaux riches ». Il a des liens étroits avec les Chypriotes grecs, et ses offres d’aide à Chypre sont en partie motivées par sa peur de perdre sa base navale dans le port syrien de Tartous, et le besoin impérieux de retrouver une base en méditerranéenne. Si le régime syrien tombe, la Russie perd sa base militaire dans la région. La Russie cherche une base alternative pour sa flotte de la mer Noire à Chypre – l’un des épicentres des découvertes de pétrole.

La Syrie a également de grandes richesses pétrolières au large de ses côtes, un fait qui n’a pas échappé à la Russie. Si le régime syrien tombe, il est certain que le désir de la Russie de ramasser les morceaux sera grand.

Et c’est ce qui n’a pas tardé. Le 21 août (2), la Russie et la Syrie ont signé un accord par lequel la Syrie exporte son pétrole brut vers la Russie et reçoit en échange du pétrole raffiné. « Nous devions trouver des solutions alternatives » (JPG : aux mesures de boycott imposées par l’Union Européenne, dont l’interdiction de faire tout nouvel investissement dans le pays), a déclaré Qadri Jamil, le ministre des affaires économiques syrien, qui a envoyé deux délégations à Moscou pour discuter d’une aide économique et d’un prêt financier. La Russie n’a fait aucune déclaration concernant cet accord d’échange de pétrole.

En résumé, nous avons d’un coté Israël, nouvelle grande puissance pétrolière et gazière, assez puissant pour changer complètement la géopolitique du Moyen-Orient. De l’autre, nous avons la Turquie, déterminé à réclamer – par la force si nécessaire – sa part des richesses, et la Russie, avec des alliés musulmans régionaux en déconfiture. Ensuite, il y a le Liban soutenu par l’Iran, et qui recherche des financements pour développer ses propres ressources de gaz offshore.

Et la meilleure façon d’avancer était de déclencher une guerre, en Syrie par exemple, puis de l’étendre.

Et c’est ce qui pourrait se passer.

Reproduction autorisée, et même vivement encouragée, avec la mention suivante et impérativement le lien html ci dessous :
© Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info et © Ted Belman

(1) http://www.dreuz.info/2011/10/ma-premiere-rencontre-avec-les-%C2%AB-petroshekels-%C2%BB-l%E2%80%99or-noir-israelien-par-jean-patrick-grumberg/
(2) http://www.reuters.com/article/2012/08/21/us-russia-syria-oil-idUSBRE87K0U620120821
http://www.israpundit.com/archives/48121

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