Publié par Guy Millière le 29 novembre 2012

J’avais promis de revenir sur le dossier de l’attentat de Benghazi.

Je le fais ici, car cette affaire me semble très significative du climat qui règne présentement sur les Etats-Unis, et qui va sans doute s’appesantir dans les mois qui viennent dans tous les domaines.

Commençons par l’affaire Petraeus, car elle est étroitement reliée au dossier.

Le général Petraeus a acquis aux Etats-Unis, on le sait, le statut de héros national au moment de la mise en oeuvre de la stratégie de « surge » en Irak. Celle-ci a permis à l’armée américaine de remporter la victoire sur les factions terroristes qui ensanglantaient le pays depuis le renversement de Saddam Hussein. Elle a rendu possible l’émergence d une démocratie qui aurait pu être stable et servir de modèle dans tout le Proche Orient arabe. Barack Obama en a décidé autrement et, en retirant toutes les troupes américaines du pays, a fait que le gouvernement irakien s’est tourné vers un autre protecteur, l’Iran islamique.

Le général Petraeus s’est vu ensuite confier la responsabilité d’une stabilisation de la situation en Afghanistan. Son action, là, a été moins couronnée de succès. Pouvait-il en être autrement ? Barack Obama avait donné aux talibans une date de retrait des troupes américaines et avait soumis celles-ci à des règles d’engagement qui nuisaient profondément à leur efficacité. Le prédécesseur de Petraeus, le général McCrystal, avait fait connaître son mécontentement et avait été limogé.

Petraeus ne pouvait gagner en Afghanistan. Il a fait son devoir de militaire, mais ce faisant, il a servi de caution à Obama, qui l’a récompensé en le nommant un peu plus tard directeur de la CIA. Disons que Petraeus a fait son devoir encore en acceptant cette nomination, et accordons lui le bénéfice du doute. Petraeus pouvait espérer restructurer un service de renseignement passablement détérioré depuis janvier 2009.

Il s’est avéré depuis que le général Petraeus avait noué une liaison avec une jeune femme ambitieuse et séductrice, Paula Broadwell, dès le moment où il servait en Afghanistan. Ce qui était une faute professionnelle selon le code militaire. Il s’est avéré que cette liaison s’est poursuivie pendant qu’il était à la CIA, ce qui était une faute professionnelle encore, étant donné ce qu’est la CIA, faute d’autant plus grave cette fois que la jeune femme avait accès à l’ordinateur du général.

Le FBI a enquêté sur la liaison, et disposait de tous les éléments dès juillet 2012. Le rapport d’enquête du FBI a été transmis au plus haut niveau.

Petraeus n’a pas été suspendu de ses fonctions. Nul ne peut savoir à l’heure actuelle si la Maison Blanche lui a fait savoir qu’elle savait ; ni ce qui a pu éventuellement en découler. Mais Petraeus ne pouvait qu’être un homme « tenu ».

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L’affaire de Benghazi, dont j’ai dit ici, au moment où elle a éclaté, qu’elle était plus grave que le Watergate est survenue un peu plus tard.

Le « consulat » de Benghazi ( qui s’avère aujourd’hui n’avoir jamais été un consulat, mais un lieu de trafic d’armes et de transactions plus où moins occultes avec des islamistes) a été attaqué. Deux personnes, dont l’ambassadeur Stevens, ont été tuées au bout de plusieurs heures de combat. Des agents des forces spéciales américaines étaient en position dans une annexe servant au renseignement, et dépendant de la CIA. Deux d’entre eux ont décidé de porter secours aux gens du « consulat », et ont été tués à leur tour, ce qui porte le nombre de victimes à quatre.

Il s’est avéré, je l’ai écrit, que les gens du « consulat » ont demandé de l’aide lors de l’attaque, et ont été abandonnés à leur sort. Il s’est avéré que les agents de l’annexe ont demandé l’ordre d’intervenir, ce qui leur a été interdit, et ont agi de leur propre initiative, par sens du devoir : ils ont demandé de l’aide eux aussi, alors que le combat faisait rage, et ils ont été eux aussi abandonnés à leur sort.

Nul ne sait qui a décidé de n’apporter aucun secours aux gens du « consulat » de Benghazi, puis aux gens de l’annexe. Nul ne sait qui a interdit l’intervention des gens de l’annexe.

La direction de la CIA, donc Petraeus, a publié, quinze jours après les faits, lorsque tous les détails que je viens de donner ont été connus, un communiqué disant qu’aucun ordre de refus d’intervention et de refus de secours n’est venu de la CIA. Au-dessus du directeur de la CIA, il n’y a qu’un seul homme, le Président des Etats-Unis. La CIA n’a pas porté une accusation directe contre Barack Obama, mais cela n’en a pas moins ressemblé à une accusation directe.

En parallèle, au moment où le communiqué de la CIA a été publié, Leon Panetta, ministre de la Défense, a lui-même tenté de se défausser en disant que les renseignements disponibles ne permettaient pas une « intervention efficace », et qu’il avait dès lors décidé de ne pas intervenir. C’était une façon d’incriminer la CIA. C’était aussi une excuse fort peu crédible. Qui plus est, une décision de non intervention de l’armée américaine ne pouvait avoir été prise par Panetta sans l’aval du Commandant en chef, Barack Obama lui-même.

Il est logique que dans les heures qui ont suivi le communiqué de la CIA et la déclaration de Panetta, une commission d’enquête ait été mise en place par la Chambre des représentants. Il s’agissait d’un acte de non assistance à diplomate et personnel militaire dans des conditions où l’assistance était possible, ce qui relève de la trahison.

S’est greffé alors sur l’affaire de Benghazi une affaire dans l’affaire.

Pendant les quinze jours qui se sont écoulés entre les faits et la révélation des détails que je viens d’évoquer, qui ont conduit au communiqué de la CIA, à la déclaration de Panetta, puis à la mise en place de la commission d’enquête, le Président, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, le Secrétaire à la Défense Leon Panetta, l’ambassadrice aux Nations Unies, Susan Rice, ont évoqué une « attaque spontanée » venue d’une foule rendue mécontente par une « video islamophobe » mis sur You Tube.

Dans un premier témoignage effectué devant la Commission d’enquête, Petraeus a parlé lui aussi d’ « attaque spontanée », en soulignant néanmoins que c’était là la « version officielle » des choses.

Il s’est avéré très vite que cette « version officielle » était un mensonge. Et que dès le jour de l’attaque, la CIA, le Secrétariat d’Etat, le Secrétariat à la Défense, la Maison Blanche, savaient que c’était une attaque préméditée, organisée par un groupe terroriste lié a al Qaida.

Il s’est avéré donc que tous ceux qui avaient parlé de l’attaque avaient menti dès le premier jour, ce qui aggravait la trahison puisqu’elle s’avérait être trahison face à une attaque terroriste.

La commission d’enquête de la Chambre des représentants s’est, bien sûr, intéressé au mensonge à partir de ce moment.

Elle n’a obtenu que des témoignages secondaires jusqu’à l’élection présidentielle du 6 novembre.

Juste après l’élection (deux jours après exactement), Petraeus a démissionné de ses fonctions en révélant sa liaison. Le dossier que le FBI avait sur Petraeus a été mis sur la place publique.

La Maison Blanche a déclaré que Petraeus ne pouvait plus témoigner puisqu’il n’était plus directeur de la CIA.

La commission d’enquête n’en a pas moins convoqué Petraeus, qui a de nouveau comparu devant elle.

Petraeus ne s’en est, cette fois, pas tenu à la version officielle et a dit la vérité, en soulignant, aux fins de n’être pas accusé de parjure, qu’il avait laissé entendre la première fois que la version officielle n’était que ce qu’elle était. Il a cité un rapport de la CIA rédigé peu de temps après l’attaque, qui comportait les mots « terrorisme » et « al Qaida ». La CIA a dû rendre le rapport public.

La commission d’enquête a, sur ces bases, demandé à entendre les autres personnes intéressés : aucune ne s’est rendue disponible à ce jour.

La Maison Blanche a déclaré par le biais de son porte-parole que le rapport de la CIA qui lui était parvenu, et qui était parvenu aux autres ministères n’était pas l’original, mais un texte modifié. James Clapper, directeur de la sécurité intérieure, a déclaré que ses services avaient modifié le texte, mais que le texte original reçu de la CIA ne comportait pas les mots « terrorisme » et « al Qaida ».

Il est visible que, après avoir été un homme « tenu », et après avoir endossé la « version officielle », Petraeus a été lâché aux fins d’être décrédibilisé et que l’attention se porte sur d’autres points que le mensonge sur Benghazi.

Il est visible que, maintenant que le mensonge est avéré, et flagrant, une tentative de cacher celui-ci derrière des écrans de fumée se met en place. James Clapper sert de fusible tout en incriminant la CIA du temps de Petraeus, qui ne peut plus répondre au nom de la CIA puisqu’il n’y est plus. Comment l’original rendu public et rédigé au temps de Petraeus est-il censé être devenu un autre original avant que James Clapper le modifie ? Mystère.

Qui peut croire que l’original n’est parvenu à personne, et que seule la version modifiée de l’original, qui n’était pas l’original rendu public et rédigé au temps de Petraeus, a été remise à la Maison Blanche, à Hillary Clinton, Leon Panetta, Susan Rice, Barack Obama lui-même ?

Les écrans de fumée fonctionnent en tout cas, avec la complaisance des grands médias : plus personne ne parle de la trahison. Le point central devient le mensonge, et au delà du mensonge, le fait de savoir s’il y a eu vraiment mensonge. Quel original est vraiment l’original ?

Barack Obama entend nommer Susan Rice en remplacement d’Hillary Clinton au Secrétariat d’Etat. La commission d’enquête, la majorité républicaine à la Chambre des représentants, la minorité républicaine au Sénat s’indignent : non seulement Susan Rice a colporté et diffusé le mensonge, mais, après avoir déclaré s’être fiée au document transmis par James Clapper qui ne parlait pas de terrorisme et d’al Qaida, elle a déclaré avoir toujours su qu’il s’agissait d’une attaque terroriste. La commission d’enquête, la majorité républicaine à la Chambre des représentants, la minorité républicaine au Sénat, considèrent qu’une menteuse qui en rajoute ne peut pas être Secrétaire d’Etat.

Mais Hillary Clinton, qui a menti aussi, peut-elle être Secrétaire d’Etat ? Leon Panetta, qui s’est défaussé pour justifier la non assistance aux gens de Benghazi et qui a menti aussi peut-il être Secrétaire à la Défense ?

Et qui peut croire, disais-je, que l’original n’est parvenu à personne et surtout qu’il n’est pas parvenu jusqu’à Barack Obama lui-même ?

C’est, ai-je écrit, une affaire plus grave que le Watergate.

Il y a quatre morts dont un ambassadeur. Il y a trahison et non assistance. Il y a du mensonge emboîté dans le mensonge. Il y a du trafic d’armes en liaison avec des groupes terroristes. Il y a dissimulation de faits et dossier compromettant utilisé contre le directeur de la CIA. Il y a entrave à la justice dans le dossier Petraeus.

Et pourtant, il est très vraisemblable maintenant que tout ce joli monde s’en sorte sans problème majeur. Il est tout à fait possible que Susan Rice devienne Secrétaire d’Etat et qu’Hillary Clinton puisse préparer sa candidature pour 2016.

La Maison Blanche laisse entendre que l’opposition des Républicains à Susan Rice est « raciste ». Il ne manquait plus que cet argument.

Les sondages montrent que l’opinion publique ne s’intéresse pas du tout à cette affaire. Les grands médias font décidément bien leur travail.

L’affaire du Watergate est devenue l’affaire du Watergate parce que les médias, à l’époque, avaient une conception de leur travail. Les médias ont à présent un autre conception de leur travail. Je ne suis pas du tout certain qu’ils fassent encore du journalisme d’investigation, ou, tout au moins, ils font un certain journalisme d’investigation. Paula Broadwell les intéresse, mais les mensonges de Susan Rice ne les intéressent pas, et l’opinion suit.

La commission d’enquête poursuivra ses travaux en janvier. Apprendra t-on quelque chose ? J’en doute désormais.

Il flotte sur la Maison Blanche d’Obama une atmosphère mafieuse. Obama a des allures de parrain et parle à nouveau avec arrogance. Il peut se le permettre. Il peut presque tout se permettre. Ce sont les moeurs de Chicago qui règnent désormais, dit-on dans les milieux conservateurs à Washington.

Les ficelles semblent tirées, outre Obama, par quelques lieutenants, à la tête desquels on trouve David Axelrod et Valerie Jarrett, également chargée de négociations secrètes avec le régime iranien.

Ni David Axelrod ni Valerie Jarrett n’ont de fonction officielle au sein de l’administration. Ce qui ne les empêche pas d’avoir, semble-t-il, accès à des documents classés « secret défense ». Valerie Jarrett n’a aucun mandat officiel pour négocier quoi que ce soit et négocie quand même.

Les Etats-Unis sont-ils encore un état de droit ? Ce qui se passe ne ressemble pas aux pratiques dignes d’un état de droit, et je le dis avec peine et indignation.

Ce qui se passe ressemble effectivement aux pratiques d’une mafia.

Si cela se passait dans une minuscule république bananière d’Amérique centrale, ce serait moins grave. Mais cela se passe aux Etats-Unis d’Amérique.

Il me faudra parler de la politique économique qui se poursuit, de la « fiscal cliff » qui vient, et de ses conséquences.

Il me faudra revenir sur de multiples aspects de la politique étrangère en train de prendre forme.

Je vais le faire dans les jours qui viennent.

Il m’arrive d’envier ceux qui ne s’informent pas, ceux qui regardent Barack Obama comme s’il était une réincarnation de Michael Jackson ou un Dieu vivant.

La bêtise et l’ignorance procurent un confort confondant.

Comme le disait la chanson de Jacques Brel, « être une heure, une heure seulement, beau et con à la fois ».

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour www.Dreuz.info

PS: Je redis par avance à ceux qui me diraient que je parle trop d’Obama que celui-ci, précisément, ne dirige pas une minuscule république bananière d’Amérique centrale.

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