Publié par Guy Millière le 19 janvier 2013

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Je l’ai écrit d’emblée, l’engagement militaire de la France au Mali a eu des allures de décision précipitée, en partie improvisée, incohérente, sans ligne stratégique claire, et sans prise en compte de l’ensemble des réalités du terrain.

La précipitation est claire : c’est parce que les forces islamistes se dirigeaient vers le Sud, en direction de Bamako que l’action a été enclenchée. La sous-estimation des forces ennemies est claire aussi : il se dit maintenant que l’armée française ne s’attendait pas à autant de résistance. Il n’y avait pourtant pas besoin de disposer d’un service de renseignement très élaboré pour savoir quels groupes étaient descendus de Libye, et avec quel armement (de l’armement français, pour partie, de surcroit). Ne pas s’attendre à une guerre de guérilla et au recours à des boucliers humains est de l’amateurisme digne des Pieds nickelés que je lisais dans mon enfance. Ne pas anticiper des risques de débordements vers d’autres pays dans une région où les frontières sont davantage que poreuses est inepte. Ne pas s’attendre à ce que des groupes islamistes faisant partie ou non de la nébuleuse qu’on combat greffent leurs décisions sur l’action de la France aux fins d’élargir le conflit était davantage qu’inepte.

Les objectifs restent tout aussi mal définis qu’au départ, et en dehors du fait de maintenir les islamistes d’Azawad hors du Sud Mali, ce qui sera difficile, il est pratiquement assuré que rien d’autre ne pourra être obtenu. Peut-être certaines villes seront-elles reprises : des gens qui mènent une guerre de guérilla peuvent entrer dans une ville, la tenir, la lâcher, repartir ailleurs, sa cacher dans des grottes, refaire leur apparition. Ces gens sont sur leur terrain, dans des paramètres qu’ils maîtrisent et que l’armée française maîtrise moins qu’eux. Ces gens peuvent même, s’ils le décident, se replier vers la Mauritanie, le Niger, la Libye ou le Sud Algérien et attendre leur heure. L’armée française pourrait-elle rester indéfiniment ? Un an ? Dix ans ? Pourrait-elle occuper et sécuriser l’ensemble de l’Azawad ? Quelqu’un à Paris a-t-il mesuré non seulement la superficie, mais les frontières de l’Azawad ?

La France ne peut pas gagner.

Disons les choses comme elles doivent l’être : la France ne peut pas gagner. Elle ne peut « libérer » l’Azawad ou tenir ses frontières. Elle peut remporter, très transitoirement, l’apparence d’une victoire, et la victoire peut se révéler très vite ne pas en être une. Elle ne peut « libérer » l’Azawad pour une raison simple, et c’est pour cela que j’ai mis « libérer » entre guillemets : ceux qu’elle combat en Azawad sont des gens d’Al Qaida au Maghreb Islamique, et ceux-là sont, pour l’essentiel arabes, comme les membres du MUJAO, mais elle combat aussi des gens d’Ansar Dine, et eux sont membres de l’ethnie touareg qui est chez elle en Azawad. La France peut-elle penser s’allier à des groupes touaregs ? Ceux-ci hésiteront avant de passer ce type d’alliance, car ils pourraient aisément passer pour des traîtres aux yeux d’Ansar Dine et de ses alliés plus radicaux.

La France entend compter sur la constitution d’une force africaine : il faudra des mois avant que celle-ci soit mise sur pied, sans qu’on sache d’ailleurs si elle le sera. Les Etats-Unis ont tenté de structurer une armée malienne, et cela a été rapidement la débandade. Des officiers soigneusement formés ont rejoint le camp ennemi. D’autres ont réalisé le coup d’Etat de mars 2012.

Les pays européens se montrent très circonspects : on peut les comprendre

La France se préoccupe maintenant de l’aide que pourraient lui apporter ses alliés. Le moins qu’on puisse dire est que les autres pays européens se montrent très circonspects : et on peut les comprendre. Ils n’ont pas l’intention de se fourrer dans un guépier. Peut-être paieront-ils un peu, et avec réticence. Les deux avions de transport fournis par le Royaume Uni se feront peut-être trois, avec de la chance, l’Allemagne va financer, un peu, la formation de troupes africaines, l’armée belge et l’armée danoise ont envoyé quelques hommes. Citer l’armée belge et l’armée danoise est presque pathétique. Les pays européens n’ont quasiment plus d’armées. Ils n’ont quasiment plus d’argent. Ils sont faibles. Ils ont pratiqué l’apaisement vis-à-vis de l’islam radical depuis des années, en considérant que se coucher préventivement leur permettrait d’être épargnés. Cela a aussi été, pour l’essentiel l’attitude de la France qui, en dehors d’un engagement limité en Afghanistan, très loin, s’est illustrée, surtout, ces dernières années, dans deux interventions islamiquement correctes : celle réalisée en Cote d’Ivoire, et celle contre le régime Kadhafi en Libye. La France a rompu avec l’apaisement et avec l’attitude islamiquement correcte. Les autres pays européens ne vont pas la suivre. La France veut préserver ses intérêts au Niger et lau Mali ? Ce sont des intérêts essentiellement français.

Sous Obama, les Etats-Unis n’interviennent pas militairement contre les islamistes

Les Etats Unis n’apporteront eux-mêmes aucune aide. Peut-être quelques frappes par des drones, et encore. D’une part, les Etats-Unis ne vont pas apparaître soutenir le pouvoir en place à Bamako alors qu’il est issu d’un coup d’Etat contre les forces mises en place par les Etats-Unis. D’autre part, point essentiel : nous sommes dans le cadre de la doctrine Obama, que François Hollande devrait se donner les moyens de découvrir d’urgence. Sous Obama, les Etats-Unis n’interviennent pas militairement, et surtout pas contre des islamistes. Les Etats-Unis sont en phase de repli et de coupes dans leurs budgets militaires aux fins de construire le socialisme aux Etats-Unis. Les Etats-Unis n’ont pas d’ennemis dans le monde musulman et ne veulent pas en avoir.

Je crains une déconfiture, un enlisement

Dès lors ? Je crains une déconfiture, un enlisement, la montée de mécontentements au sein du monde islamique, des appels au djihad contre la France, des tentatives de dissocier la France de pays avec lesquels elle pense être alliée, et ce qui est en train de se passer en Algérie est ce à quoi il faut d’attendre en d’autres endroits. L’armée algérienne a agi comme l’armée russe en pareilles circonstances : elle a tiré et compte les cadavres. Dans les cadavres, il y a des Britanniques et des Américains. La France ne va pas critiquer l’Algérie. Quand elle doit faire des remontrances, elle les adresse à l’armée israélienne et seulement à l’armée israélienne. Et je gage que pour montrer qu’elle ne s’éloigne pas vraiment de l’islamiquement correct, la France va bientôt demander des concessions à Israël en faveur des amis « Palestiniens ».

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Un commentateur conservateur anglais évoquait le risque d’un nouvel Afghanistan en Azawad : la différence est qu’en Afghanistan, la France n’était pas seule pour mener une guerre asymétrique. Un commentateur américain évoquait le spectre de Dien Bien Phu. Le relief en Azawad est différent de celui de Dien Bien Phu, mais le risque a des ressemblances.

Humainement, je suis résolument du côté des soldats qui risquent leur vie

Mais après la lamentable aventure conçue au service de nos amis les islamistes en Libye par Nicolas Sarkozy et le général en chef Bernard Henri Levy, sous le regard bienveillant de Barack Hussein Obama, l’aventure dans laquelle François Hollande a entraîné la France me semble tout aussi lamentable, et tout à fait digne de socialistes. Les socialistes sont à l’économie ce que les Huns pouvaient être à l’agriculture. Je les pense aussi doués pour la stratégie qu’un manchot pourrait l’être pour jouer du piano. Une majorité de Français soutient François Hollande dans l’aventure malienne. Combien de temps durera cette majorité ? C’est la question du moment. Et il est navrant que des soldats risquent leur vie pour un homme qui, en France, a déjà échoué, et qui, au Mali, a posé les conditions de l’échec.

Qu’aurait-il fallu faire, me direz-vous ? Protéger Bamako, sans doute, puisqu’il y a des intérêts français. Protéger le Sud Mali et le Niger pour les mêmes raisons. Mais ne s’engager dans une guerre qu’après s’être assuré d’alliances et de soutiens, et qu’après avoir évalué les risques et les enjeux. L’Azawad est d’ethnie touareg, essentiellement, et les touaregs revendiquent leur indépendance par rapport au Sud Mali, avec lequel ils n’ont rien à voir, et ce depuis longtemps. Le Mali a des frontières artificielles issues de la décolonisation. Les gens du Nord Mali vivent de traffics divers depuis longtemps. Le régime Kadhafi maintenait une relative stabilité et employait dans son armée de nombreux touaregs. Il a été décidé par Nicolas Sarkozy et le général en chef Bernard Henri Levy de se débarrasser de Kadhafi et de parachuter des armes. L’un des résultats est là.

Imaginer à présent circonscrire à l’Azawad ce qui fait partie d’un arc de crise et de déstabilisation islamique qui s’étend du Pakistan à la Mauritanie et espérer le faire sans les Etats-Unis, cela relève de bien davantage que de l’utopie. François Hollande, en vacances à Brégançon, a-t-il essayé de vider la mer Méditerranée avec une épuisette. Il devrait. Vider la mer Méditerranée avec une épuisette serait bien plus facile que régler les problèmes de l’Azawad dans les circonstances présentes.

Et dire qu’on me répétait que Bush en Irak avait agi seul et de manière unilatérale, alors qu’il avait juste une quarantaine d’alliés… 

Et dire qu’on disait qu’il avait ouvert la « boite de Pandore »…

Dois-je l’ajouter ?

J’attends des remarques françaises sur une action israélienne : après le comportement si délicat de l’armée algérienne à In Amenas, ces remarques seront les bienvenues.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour www.Dreuz.info

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