Publié par Jean-Patrick Grumberg le 4 février 2013

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Un mouvement représentant les Arabes du nord du Mali a appelé dimanche ses militants et ses cadres à la «mobilisation générale» dans les camps de réfugiés en Mauritanie, afin de «gérer la crise que traversent les populations» originaire de ces régions.

De graves exactions et massacres

Le Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA) a dénoncé les «graves exactions, massacres dont sont victimes les populations civiles nomades (Arabes, Touareg et Peuls)», selon lui «perpétrées par l’armée malienne avec les seconds couteaux de ses milices, dans le sillage de l’avancée des troupes françaises».

Ces exactions «mettent des populations – femmes, enfants, vieillards – de nouveau sur le chemin de l’exil, cherchant refuge dans des camps de pays voisins», a-t-il ajouté dans un communiqué signé de son secrétaire général, Melainine Ould Bady, daté du camp de réfugiés de Mbera, en Mauritanie, près de la frontière malienne.

  • Des Touaregs et des Arabes des villes du centre et du nord du Mali, dont Gao et Tombouctou, ont fui dans le désert ou vers des pays voisins, soit parce que leur maison ou leur boutique a été pillée, soient parce qu’ils sont traqués, soupçonnés d’être des militants islamistes. La crainte de violences intercommunautaires se fait de plus en plus vive.
  • À Tombouctou, d’après des sources locales, des magasins et des logements appartenant à des Touaregs, des Arabes ou des Mauritaniens ont été pillés depuis le 28 janvier.
  • Moulaye Cherif Haïdara, un journaliste malien travaillant pour la télévision nationale ORTM, a dit à IRIN : « Presque tous les Arabes ont fui Tombouctou, par crainte de représailles. Nombreux sont ceux ici qui pensent que les Arabes étaient complices des islamistes qui ont terrorisé la population au cours des derniers mois. »
  • Deux Maliens d’origine arabe ont été violemment passés à tabac en périphérie de Tombouctou alors qu’ils tentaient de fuir, a-t-il dit. Les chefs militaires maliens tentent de contrôler la situation. Le colonel Keba Sangaré, qui dirige les opérations de l’armée malienne à Tombouctou, a rassemblé les habitants sur la place du marché. « Tous les Arabes ne sont pas des rebelles », leur a-t-il dit. « Faites attention. Ne considérez pas que tous les Arabes et les Touaregs sont liés aux djihadistes. Soyez tolérants et patients et laissez l’armée et les autorités s’occuper de ce problème. »
  • À Gao, la plupart des boutiques tenues par des Arabes ont fermé. Trois hommes qui se cachaient sous une bâche sur la place du marché auraient été frappés et laissés pour morts. À son retour en ville, le maire a lancé un appel à la paix en disant à un reporteur du quotidien Le Monde : « Je suis peul, mais je ne peux pas vivre sans les Arabes et les Touaregs. » La radio locale Radio Koima tente également d’appeler la population à la raison et aurait demandé à ses auditeurs de signaler tout islamiste présumé aux autorités plutôt que d’essayer de faire justice eux-mêmes.
  • Même dans la capitale, Bamako, les Touaregs et les Arabes commencent à se sentir en danger, ont dit des habitants à IRIN. Assaedek Mohamed, un Touareg, dit qu’il a peur de sortir de chez lui. « Croyez-moi, ce n’est pas agréable de sortir de chez soi à Bamako et d’être regardé de travers par tout le monde […], d’entendre les gens murmurer “rebelle” quand vous passez dans la rue et d’écouter vos concitoyens vous dire que la meilleure façon de mettre fin à ce cycle de rébellion est de se débarrasser de tous les Touaregs. »

Assassinats en représailles

Les dernières violences ethniques sont survenues après la publication de rapports de la Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) faisant état d’assassinats en représailles commis par les forces armées maliennes à l’encontre de Touaregs et d’Arabes, soupçonnés d’être des « infiltrés » rebelles, à Sévaré, Mopti et Niono, dans le centre du Mali.

Certains rapports signalent que des corps auraient été enterrés sommairement ou jetés dans des puits. Des groupes de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch et Amnesty International, mènent des enquêtes approfondies sur des actes de violence signalés dans tout le pays. Ils devraient bientôt publier leurs résultats. La FIDH a réclamé la tenue d’une enquête indépendante et a appuyé la 28e déclaration de la Cour pénale internationale (CPI), qui s’est engagée à enquêter sur les exactions commises par toutes les parties au conflit au Mali depuis début 2012.

À Sévaré, des citoyens ont parlé à IRIN de cadavres enterrés en hâte. Un grand nombre d’entre eux associaient les Arabes et les Touaregs à des rebelles. À Douentza, dans le nord, Mohamed Diarra, un routier, a dit à IRIN qu’il avait vu des hommes en uniforme militaire creuser des tombes et qu’il y avait au moins trois corps alignés à côté d’eux.

L’armée malienne a déjà été accusée de répression violente contre des soulèvements rebelles touaregs par le passé. Ces violences avaient entraîné des tensions entre les Touaregs et l’armée, malgré les efforts déployés par cette dernière pour intégrer des Touaregs dans ses rangs.

Le général Ibrahim Dahirou Dembélé, chef d’État-major de l’armée malienne, a dit à IRIN que ses troupes allaient devoir rendre des comptes. « Tout soldat malien commettant des atrocités envers des civils sera immédiatement suspendu et jugé devant un tribunal militaire. L’armée doit être irréprochable et il est hors de question que nous acceptions des actes que nous reprochons aux terroristes », a-t-il dit.

Il a ajouté qu’il était important de ne pas tenir l’armée malienne pour responsable de toutes les atrocités qui n’ont pas encore été confirmées. « Des hommes portent l’uniforme de l’armée malienne pour commettre des exactions en prétendant être des militaires », a-t-il dit en expliquant que l’armée avait arrêté une cinquantaine de criminels qui se faisaient passer pour des soldats à Sévaré, Diabaly, Douentza et Bamako.

Le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, a appelé le 27 janvier à un déploiement rapide d’observateurs internationaux au Mali, pour tenter de limiter les violences.

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Les milices vont-elles intervenir ?

Selon Yvan Guichaoua, spécialiste du Sahel et maître de conférence en développement international à l’université d’East Anglia, un facteur de poids pourrait déterminer la possibilité d’une escalade incontrôlée des violences intercommunautaires : l’intervention ou non des milices, qui ont été formées et « fortement endoctrinées » au cours des derniers mois.

La milice Ganda Koy, qui compte des centaines de membres, est le plus grand des nombreux groupes civils armés locaux. La plupart de ces groupes ont été mis sur pied en réponse aux rébellions touarègues des dernières décennies. Djibril Diallo, le chef de Ganda Koy, a dit à un reporteur : « Nous considérons tous les Touaregs comme [des membres du] MNLA [Mouvement national pour la libération de l’Azawad]. »

Les Arabes et les Touaregs sont pris pour des complices du groupe rebelle islamiste Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et d’Ansar Dine. Ces groupes se sont pourtant empressés de chasser le MNLA, qui est un mouvement laïc, du Nord-Mali en avril 2012.

Pendant toutes ces années, les habitants du Nord ont accusé le MNLA, puis les groupes islamistes qui ont suivi, de pillage, d’abus sexuels et d’autres exactions généralisées. Ces allégations ont été confirmées par des groupes de défense des droits de l’homme.

La Mauritanie a reçu un nouvel afflux de réfugiés maliens ces dernières semaines.

Samedi, le président malien par intérim Dioncounda Traoré a promis qu’il n’y aurait «aucune exaction, aucun règlement de compte» et pas de «représailles» dans la reconquête du nord du Mali occupé par les groupes islamistes armés par les soldats français et maliens, et il a appelé au retour de ceux qui ont fui leurs maisons.

Revendiquant le titre de «dépositaire de la protection des intérêts vitaux communautaires des Arabes du nord du Mali», le FIAA lance un appel à ses «cadres militaires et civils» pour une «mobilisation générale, dans les camps les plus proches».

Il a aussi dénoncé la «vague de xénophobie fondée sur le délit de faciès frappant les communautés nomades du Nord» de la part des parlementaires et du gouvernement de transition.

Le FIAA était à l’origine un groupe de rebelles touareg, qui avait ensuite engagé des négociations avec les autorités de Bamako. Il affirme aujourd’hui défendre «le maintien de l’unité et de l’intégrité du Mali», mais demande un «cadre nouveau et réajusté» définissant le statut des communautés touareg, arabe et peul.

Un contexte historique et des antécédents extrêmement complexes

Les différents groupes nationalistes touaregs, les mouvements islamistes dirigés par des Maliens, des Algériens, des Mauritaniens ou autres et les nombreuses milices du Nord et du Sud ont formé des réseaux d’alliances et de rivalité hautement complexes et toujours changeants. Cela a conduit à des années de tensions et de violences intercommunautaires dans ce pays où le contexte culturel est pourtant propice à la tolérance entre les ethnies.

Les groupes islamistes qui contrôlaient le Nord-Mali étaient loin d’être tous maliens. AQMI est né en Algérie (où le mouvement portait à l’origine le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat) et un grand nombre de ses membres n’étaient pas maliens. Le MUJAO était quant à lui dirigé par un Mauritanien et un Algérien et recrutait de nombreux jeunes non touaregs.

Avant de se scinder en deux, Ansar Dine était dirigé par Iyad Ag Ghali, qui a joué un rôle marquant dans la rébellion touarègue de 1994 et aurait été un négociateur de poids dans une multitude de libérations d’otages entre AQMI et les gouvernements occidentaux, dont un certain nombre auraient profité à des membres du gouvernement malien et notamment à l’ancien président, Amadou Toumani Touré.

Les dynamiques entre ces groupes ont complexifié encore davantage les alliances qui s’étaient formées de longue date et ont ouvert la voie à une plus grande instabilité. Ainsi, le MNLA qui luttait pour prendre le contrôle de Tombouctou en avril 2012 a vite été poussé dehors par les milices arabes locales qui s’étaient auparavant alliées au gouvernement malien à Bamako, mais qui ont « retourné leur veste de façon spectaculaire » pour faire front commun avec Ansar Dine et AQMI, a dit M. Guichaoua, le spécialiste du Sahel de l’Université d’East Anglia.

Le MUJAO, un groupe dissident d’AQMI, aurait pris le contrôle de certains quartiers de Gao en passant un accord avec des milices de jeunes, des commerçants arabes et des trafiquants de drogue pour que ces derniers chassent le MNLA.

Avant ces évènements, selon M. Guichaoua, les relations interethniques au Nord-Mali étaient déjà très tendues. Les microconflits s’étaient multipliés : entre les agriculteurs et les éleveurs ou au sujet du trafic de drogues, des mandats électoraux, de l’implantation d’AQMI ou d’opinions politiques personnelles.

Depuis une dizaine d’années, les tensions étaient fortes entre les groupes touaregs les plus influents et les membres d’AQMI, car ces derniers s’étaient complètement implantés au Nord-Mali et se déplaçaient souvent à travers tout le territoire. Les plaintes des Touaregs qui voyaient cela comme une intrusion n’étaient pas reçues par les autorités à Bamako. La jeunesse locale bénéficiait quant à elle d’emplois rémunérés au sein d’AQMI.

Selon M. Guichaoua, si les Arabes et les Touaregs retournent chez eux, dans le Nord, des rivalités plus terre-à-terre pourraient exacerber les tensions entre ceux qui sont restés et ceux qui ont fui. Leur retour pourrait en effet donner lieu à des querelles au sujet des terres, des propriétés et du bétail abandonnés par les déplacés et dont ce qui sont restés se seraient appropriés.

« Ces petits conflits permanents pourraient maintenant être exacerbés. Cela arrive dans toutes les guerres qui contraignent certains à fuir tandis que d’autres décident de rester pour diverses raisons », a-t-il dit en prenant pour exemple les crises qui ont secoué la Côte d’Ivoire au cours des dix dernières années.

Maintenant que la situation politique change rapidement, « toutes les personnes qui sentent qu’elles ont été trahies veulent corriger ces injustices », a-t-il ajouté.

À moyen terme, la France devrait pouvoir compter sur les troupes maliennes, tchadiennes et nigériennes pour reprendre le contrôle du Nord. Des soldats du Nigeria, du Burkina Faso, du Sénégal et du Bénin arrivent également. Les forces d’intervention d’Afrique de l’Ouest au Mali devraient ainsi atteindre 6 000 hommes.

À plus long terme, selon les analystes, ce n’est qu’en engageant un processus de paix incluant toutes les parties au conflit, du Nord comme du Sud, et répondant aux demandes répétées des mouvements du Nord – dividendes pour le développement et un certain degré d’autonomie – qu’une paix durable pourra se mettre en place.

Le 30 janvier, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères français, Philippe Lalliot, a appelé à un processus de paix incluant des représentants légitimes des populations du Nord, y compris des groupes armés non terroristes. « Le plus important est que les représentants des populations locales se parlent et ne laissent pas seulement les groupes armés régler les problèmes. Les dirigeants locaux […] doivent jouer leur rôle et se parler sincèrement entre eux et [le gouvernement de] Bamako et la communauté internationale doivent les écouter », a dit à IRIN Charles Grémont, historien à l’Institut de recherche pour le développement de Marseille.

Il est également essentiel de reconstruire l’armée malienne, qui bat de l’aile, et de trouver des solutions à la confusion politique qui règne à Bamako. Le Parlement malien a annoncé le 29 janvier l’adoption d’une feuille de route politique en vue des élections du 31 juillet.

Les Touaregs qui ont parlé à IRIN ont dit qu’ils en avaient assez d’être considérés comme faisant partie du problème et non de la solution. « Nous [les Touaregs] pouvons aider à combattre les islamistes. Nous faisons partie de la solution », a dit Mohammed Ag Ossade, directeur du centre culturel touareg de Bamako.

Sur les 15 millions d’habitants du Mali, 90 pour cent appartiennent aux groupes ethniques Mandé, Peul et Songhaï. Seulement dix pour cent sont des Touaregs ou des Maures, qui ont la peau plus claire et habitent surtout le désert du Nord.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info et sources citées

http://www.lapresse.ca/

http://m.fr.allafrica.com/stories

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