Publié par Jean-Patrick Grumberg le 5 mars 2013

voix-russie

Bonjour Laurent Brayard, merci de répondre à nos questions.

Vous êtes journaliste à La Voix de la Russie, le média officiel de la Russie en langue française. Pourquoi et pour qui un média Russe en langue française, qui sont vos lecteurs ?

Montrer une Russie autre que celle tronquée par les médias

Bonjour à vous, et bien il s’agit d’un des médias publics russes, l’agence Ria Novosti est un autre exemple. La Voix de la Russie est à la base une radio, le service français a été créé en 1929, notre média diffuse en 44 langues et écrit en 37 langues afin de montrer une Russie autre que celle tronquée par les médias dans le Monde. Nos lecteurs sur le site sont majoritairement Français, Canadiens et Belges mais dans nos réseaux sociaux ils sont majoritairement Tunisiens, Algériens, Marocains, de tous les pays d’Afrique, d’Haïti et bien sûr de France, du Canada et de l’Europe.

Nous allons parler de la liberté de la presse, du politiquement correct et de la pensée unique, trois sujets pour lesquels la Russie de l’ère soviétique est souvent, et symboliquement par l’emploi du mot Pravda, citée. Tout d’abord, la Voix de la Russie est-elle un organe d’information neutre, ou un organe d’opinion ? Est-ce la voix de Poutine et de la majorité, de l’opposition, ou un média libre et indépendant ?

Le Monde tente de nous coller l’étiquette extrême droite

La Voix de la Russie est bien entendue un média neutre, beaucoup d’opinions y sont représentées même si dans un blog du journal Le Monde il y a des tentatives de nous coller des étiquettes d’extrême droite. Je suis moi-même plutôt un sympathisant des idées de François Asselineau ou même d’Etienne Chouard. La Voix de la Russie est en fait en français divisée en deux services indépendants, la radio et l’Internet, je travaille pour le second. Je n’ai pas l’impression que nous soyons la voix de Poutine, j’ai écrit par exemple une sévère critique sur la manipulation de l’histoire par le gouvernement russe, ce que j’appelle « Le syndrome Borodino ». Sur Internet nous publions beaucoup d’articles traduits de la rédaction russe mais je n’ai jamais vu ni Poutine, ni Medvedev dans les couloirs !

Quel regard portez-vous sur les principaux médias russes y compris les télévisions : y a-t-il diversité d’opinions, des médias clairement identifiés à droite et d’autres clairement de gauche, et quelle est la proportion ?

 Ici le mot patriote a la signification qu’elle avait en France en 1792

Il y a une très grande diversité de médias russes et d’opinions, des médias publics côtoient les officines privées d’autres courants politiques, les communistes ou les nationalistes comme d’autres. Il est difficile de faire une transposition des clivages politiques à la française en Russie. Le parti de Vladimir Poutine est plutôt en réalité un parti du centre droit, mais en France la loupe déformante est à l’action ! Ici le mot patriote a la signification qu’elle avait en France en 1792. Le parti communiste a toujours étrangement une voix qui porte loin, la proportion est difficile à définir, elle ressemble à celle de la France, les grands partis ont de l’audience… les autres font comme ils peuvent.

Quels sont, en Russie, les grands sujets clivants ?

Beaucoup sont similaires à ceux rencontrés en France, les grands sujets sont l’éducation, l’économie, les productions nationales, les exportations notamment d’armes, les hautes technologies, la conquête de l’Espace, mais aussi le développement intérieur notamment de l’Oural et de l’Extrême-Orient russe, l’immigration et tous les sujets internationaux qui touchent la Russie, les relations difficiles avec les Etats-Unis, la Syrie, le terrorisme etc.

Et subsidiairement, quels sont les thèmes politiquement corrects et incorrects ? 

En Russie, dans la culture la critique est forcément négative, il n’existe pas comme en France de critique dite positive. C’est un point culturel essentiel pour comprendre à la fois la Russie et les Russes. Ce que nous pourrions ressentir comme correct en France, par exemple la critique de la vie privée d’un homme politique, comme par exemple ce qui se passe en France avec François Hollande, est impensable ici. Les Russes respectent beaucoup plus l’intimité des vies privées, et sont pudiques. Le leader nationaliste Jirinovski est l’exemple type du politiquement incorrect en Russie ainsi que les idées « de la queue de la comète » communiste dans la foulée des Pussy Riot.

Quels sont en Russie les sujets tabous, qui font scandale si quelqu’un brise l’omerta et en parle ?

Pas de vrais tabous, à part sur l’intégrité des corps

Je n’ai pas ressenti de vrais tabous à part sur l’intégrité des corps, d’une manière générale, la France est plus libérée. Les sujets tabous, si je dois en citer, seraient souvent liés aux déviances sexuelles, les Russes et la Russie en général ne comprennent pas la dérive occidentale. Et l’immense majorité des Russes sont dans ce schéma, il n’y a pas là d’influence religieuse à découvrir. J’insiste sur l’âme russe et une sagesse tranquille, contrairement à ce que nous pourrions croire, critiquer Poutine ainsi que le gouvernement est une chose commune ici, les Russes s’y prêtent volontiers, médias compris.

Les médias russes sont-ils, comme l’éthique journalistique le voudrait, des organes qui relatent les faits de façon neutre et aussi objective que possible, ou bien le journaliste russe considère que son rôle est celui d’un intellectuel qui doit exprimer son opinion sur les faits qu’il rapporte ?

Je vois clairement que l’éthique est plus à mal en France

Je pense que cela dépend beaucoup du média concerné, les Russes ont usé dans le passé de la propagande et comme en Occident ne se privent pas de l’utiliser à des fins de contrôle des populations. Quant aux journalistes, il y a de tout, comme en France. La majorité ont été formatés par le pouvoir et suivent le chemin indiqué, mais les Russes ont une farouche tradition de liberté de paroles, au point que, je vois clairement que l’éthique est plus à mal en France. Je participe d’ailleurs à un projet d’observatoire des médias français.

Avez-vous, en Russie, comme en Europe, une intelligentsia coupée du monde, qui impose sa dictature intellectuelle en méprisant avec insolence ce que le peuple demande ? 

Le mépris est largement plus ressenti en France

Je pense que c’est inévitable dans le monde, il y en a même plusieurs, en Russie comme en France il y a des oligarques méprisants, mais la différence réside surtout sur l’état des deux pays, la situation est excellente en Russie, c’est une crise sans précédent en France, le mépris est donc largement plus ressenti en France et en Europe.

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Comment opère la censure des journalistes, des politiques et des idées ? Par la menace de procès, par l’autocensure, par la pensée unique et une armée d’intellectuels toujours prêts à museler les voix dissidentes ?

La censure existe plus en France qu’en Russie

Personnellement je pense que la censure existe plus en France qu’en Russie. Les Pussy Riot par exemple du groupe politique Voïna, qui signifie guerre, ont été entendues jusqu’à saturation des oreilles russes, de même que l’opposition ayant cherché à initier un état de grève permanent. Il y a de pseudos Russes persécutés en France mais c’est purement une manière de gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Cet été Ouest-France faisait la promo d’une « opposante » russe et de son livre qui déclarait être la 3ème génération d’opposants… En Russie je pense que les voix dissidentes s’expriment surtout de l’étranger parce que cela rapporte de l’argent. Le système de censure équivaut à une assise du pouvoir dans la société et les moyens d’expressions comme ailleurs.

Quel regard portent les Russes sur la France de 2013 en général, sur le président Hollande, son gouvernement, sa politique sociale et économique, internationale ? 

Amoureux de la France éternelle et peur de la France d’aujourd’hui

Les Russes ne prennent pas au sérieux François Hollande, il est très critiqué, quant à la France elle fait l’objet de moqueries mais l’âme russe proche de la française répare partiellement le fossé. Les Russes ont une très grande admiration pour la France, son histoire, ses chanteurs, De Gaulle et Napoléon. Ils sont amoureux de la France éternelle et ont peur de la France d’aujourd’hui.

J’ai constaté que les journaux télévisés de La Voix de la Russie ne sont pas tendres avec les médias français. Ils les accusent d’arrogance, d’égocentrisme, et de cacher certaines vérités. Que pensez-vous des journalistes français ?

Les écoles de journalisme formatent des serviteurs du système

Eh bien, ces journaux télévisés viennent du service de la radio et ne reflètent ni mes opinions, ni ceux de mes collègues du service Internet. Toutefois pour ma part et quelques-uns de mes collègues nous pensons que la liberté de la presse n’existe plus vraiment en France, les nouveaux chiens de garde dénoncés par Serge Halimi sont une triste réalité. Je pense qu’en France, il n’y a plus beaucoup de Camille Desmoulins et que les écoles de journalisme formatent des serviteurs du système. François Ruffin explique bien cela dans son livre Les Petits Soldats du journalisme, j’irais même plus loin que lui, la situation est grave, le journalisme est devenu un emploi alimentaire…

Merci à vous Laurent Brayard.

Merci à vous Jean-Patrick Grumberg.

Laurent Brayard
Laurent Brayard

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info

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