Publié par Pierre-André Taguieff le 7 avril 2013

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Ce texte a été publié en trois parties. La première est disponible en cliquant ici, la seconde se trouve ici.

L’indignation propalestinienne à sens unique

Les manifestations inséparablement propalestiniennes et anti-israéliennes de masse observables au cours des années 2000-2012, en France et dans de nombreux pays européens (ainsi qu’aux États-Unis et au Canada), ne se réduisent certes pas à des expressions politisées de la haine des juifs. Il va de soi que tous les manifestants propalestiniens ne sauraient être, pris individuellement, considérés comme des judéophobes convaincus, et que leurs protestations peuvent être motivées par une authentique compassion pour les victimes palestiniennes du conflit. Le problème vient de ce que ces manifestants sincères eux-mêmes ne descendent dans la rue que d’une façon sélective: on ne les voit jamais exprimer une compassion pour les victimes israéliennes, ni manifester contre les attaques terroristes ayant fait des victimes juives, de nationalité israélienne ou non. Ces manifestants ne se mobilisent pas non plus pour la défense des victimes arabes de telle ou telle dictature arabe (le régime syrien, par exemple). Bref, l’indignation et la compassion propalestiniennes sont à sens unique, à cible exclusive, elles ne sont pas universalisables.

L’expression de la haine antijuive s’est banalisée

En outre, le simple fait que, dans ces mêmes manifestations où l’on peut reconnaître une certaine hétérogénéité idéologique (gauchistes de diverses obédiences, islamistes de toutes les chapelles, etc.), puissent régulièrement être scandés ou arborés d’une façon simultanée des slogans tels que “Paix en Palestine !”, “Stop au génocide des Palestiniens”, “Stop au terrorisme juif hitlérien !”, “Sionistes assassins”, “Bannissons le sionisme = racisme et fascisme = terrorisme”, “juifs au four” et “Mort aux juifs !”, montre que l’expression de la haine antijuive s’y est banalisée. À considérer l’évolution du discours judéophobe depuis les années 1970, on constate que la grande nouveauté idéologique en la matière réside dans le fait que la haine des juifs s’exprime désormais dans la langue de la “lutte contre le racisme” ou de la “défense des droits de l’Homme”. L’accusation d’islamophobie est venue plus récemment enrichir le stock des armes symboliques utilisées contre les juifs, comme l’atteste le slogan dont on trouve diverses variantes: “Les juifs tuent les musulmans.” La sœur admirative du tueur islamiste Mohamed Merah, Souad, elle-même ralliée à la vision jihadiste du monde, en a donné sa version : “Les juifs, tous ceux qui sont en train de massacrer les musulmans, je les déteste.” L’antiracisme sélectif a entamé une nouvelle carrière sous la forme de l’anti-islamophobie. Un pseudo-antiracisme, devenu le cœur du néo-antifascisme, est devenu le véhicule discursif privilégié de la nouvelle judéophobie, c’est-à-dire de l’antisionisme radical ou absolu.

Irruption de la judéophobie par la porte de derrière

Le phénomène inquiétant, en France, ne se situe donc pas dans la société globale: il n’est ni dans la permanence des passions antijuives (de tradition catholique/réactionnaire ou de tradition anticapitaliste/révolutionnaire), ni dans les résurgences du vieil antisémitisme politique d’obédience nationaliste (qu’on observe régulièrement dans les parages du Front national). Il n’est pas non plus seulement lié à des réseaux islamistes internationaux qui organisent sur le territoire français des attentats antijuifs. Le phénomène inquiétant réside dans l’irruption de la judéophobie par la porte de derrière, par les banlieues et les “quartiers sensibles”, porté par le nouveau Lumpenproletariat issu de l’immigration, endoctriné à la haine des juifs et de la France (et plus largement de l’Occident) par des prédicateurs islamistes, encouragés dans leurs actions violentes par les agitateurs du nouveau gauchisme “anticapitaliste” et islamophile.

Les transformations de la composition ethnique de la population française ont engendré un monstre: les nouveaux antijuifs sont des judéophobes “de souche”. Les jeunes jihadistes formant un Lumpenproletariat guerrier ont le plus souvent la nationalité française, et, parmi les cibles privilégiées par les idéologues contemporains du jihad, ils visent surtout les cibles juives (écoles, lieux de culte, magasins, etc.). Le propre de ce Lumpenproletariat émergent, c’est qu’il oscille entre la délinquance, petite ou grande (de l’économie parallèle au grand banditisme) et l’action jihadiste, c’est-à-dire le terrorisme au nom de l’islam. Le tueur islamiste Mohamed Merah est devenu l’emblème de ce type humain émergent, dont les pulsions criminelles, stimulées par un fort ressentiment à l’égard de la société d’accueil, sont légitimées et transfigurées, dans le cadre d’un islam politique centré sur l’appel au jihad “contre les juifs et les croisés”, par la “défense” des Palestiniens-victimes. Ainsi, en assassinant des enfants juifs, Merah affirmait-il vouloir “venger les enfants palestiniens”. D’autres jihadistes disent vouloir “venger le sang des musulmans”.

L’allié objectif de tous les ennemis de l’Occident libéral/démocratique

Pour parler comme Marx, disons que ce nouveau Lumpenproletariat islamisé ou islamisable est l’allié objectif de tous les ennemis de l’Occident libéral/démocratique, des juifs et du peuple français, ennemis qu’on rencontre dans toutes les classes sociales et dans toutes les mouvances politiques, bien qu’ils soient sur-représentés dans l’extrême gauche « révolutionnaire » et la gauche démagogique. Pour comprendre la nouveauté du phénomène, il faut supposer l’existence, dans le champ des opinions et des croyances idéologisées, d’une forte corrélation entre la haine de l’Occident (l’hespérophobie), la haine de la France (la francophobie) et la haine des juifs (la judéophobie).

Une France sans islamisation judéophobe est-elle possible ?

La question, ironique et grave, a été posée à propos du mouvement “altermondialiste”: un autre monde, sans antisémitisme, est-il possible? Et corrélativement: un mouvement “altermondialiste” sans haine des juifs est-il possible? Plus généralement: une autre Europe, moins israélophobe, est-elle pensable? Mais une question plus modeste se pose, qui nous touche directement: une autre France, sans islamisation judéophobe croissante, est-elle possible? À ces questions, il n’y a pas de réponse optimiste, il n’y a qu’une réponse volontariste. Lucidité, fermeté, détermination et courage plutôt qu’abandon aux rêves de lendemains qui chanteraient l’amour d’Israël et la paix universelle, sur une musique douce jouée par un orchestre mixte israélo-palestinien placé sous la direction de Stéphane Hessel.

Les juifs n’ont jamais eu autant de raisons de lancer à leurs ennemis, comme Golda Meir naguère aux dirigeants palestiniens rêvant d’un “israélicide”: “Je comprends bien que vous voulez nous rayer de la carte, seulement ne vous attendez pas à ce que nous vous aidions à atteindre ce but.” Mieux vaut souffrir de n’être pas aimé que disparaître sous les applaudissements de ses ennemis. Il est dangereux de croire que la marche de l’Histoire récompense les postures morales et les démonstrations de vertu. Faut-il rappeler le mot de Renan, qui sonne comme un avertissement? “L’histoire est tout le contraire de la vertu récompensée”. Le courage est sa propre récompense.

© Pierre-André Taguieff.

L’article original peut être consulté ici

Pierre-André Taguieff publiera:

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  • Pour un inventaire des slogans de ce type inscrits sur des banderoles ou des pancartes, voir, in Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire (Paris, Mille et une nuits, 2004), le cahier iconographique (non paginé) qui contient nombre de photos prises au cours de manifestations propalestiniennes/anti-israéliennes dans le monde entre 2000 et 2003. Pour de nombreux autres exemples, voir id., La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit.
  • Souad Merah se dit “fière” de son frère » (AFP), 10 novembre 2012.
  • Holger Knothe, Eine andere Welt ist möglich – ohne Antisemitismus ? Antisemitismus und Globalisierungskritik bei Attac, Bielefeld, Transcript Verlag, 2009.

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