Publié par Alexandre Del Valle le 14 juin 2013

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Samedi dernier, alors que François Hollande plaidait pour des livraisons d’armes à l’opposition syrienne, en quasi-totalité composée d’islamistes radicaux, un Syrien de 15 ans, Mohammad Qataa, a été exécuté en public à Alep par des « rebelles » anti-Assad sous prétexte que cet adolescent aurait « blasphémé »

Deux balles dans la bouche et dans la nuque après avoir été fouetté

Attesté, ce fait est rapporté par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, organisme basé à Londres pourtant proche des Frères musulmans et donc de l’opposition. Le jeune martyr laïque a été assassiné sauvagement de deux balles dans la bouche et dans la nuque après avoir été fouetté par des membres de l’ex-Front al-Nosra (jihadistes sunnites), devenu récemment « Etat islamique d’Irak et de Syrie ». Cette appellation montre d’ailleurs le caractère de moins en moins national de l’opposition, liée à l’Internationale sunnite salafiste et appuyée par les pays du Golfe anti-chiites. « Généreux citoyens d’Alep, ne pas croire en Dieu est du polythéisme et maudire le prophète est du polythéisme. Quiconque blasphème sera puni de cette façon… », ont déclaré les Torquemada salafistes avant d’assassiner ce pauvre adolescent devant ses propres parents, sa mère ayant imploré en vain les miliciens (étrangers) de ne pas tuer son fils…

En fait, l’autre « crime » du jeune homme avait été de participer aux manifestations en faveur de la démocratie et de la paix à Alep… Depuis l’an dernier, de vastes zones de la ville sont ainsi tombées sous le contrôle de brigades salafistes comme Al-Nosra, ou d’autres milices salafistes, ou de Frères musulmans armés, financés par le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et la nébuleuse mondiale d’Al-Qaïda. Dans nombre de quartiers aux mains de la rébellion, la Charia – dans sa version la plus totalitaire – est appliquée par les islamistes sunnites, souvent non-syriens, qui veulent faire de ce pays le centre du nouveau Califat régional sunnite face aux « Infidèles » alaouites et chrétiens syriens, et leurs alliés chiites irakiens, libanais et iraniens. Dans la partie Nord du pays, le drapeau syrien est de plus en plus souvent remplacé par celui, Noir, de « l’Internationale salafiste » ou par celui, Vert, de « l’Internationale Frères musulmans ». Dans ce « Jihadistan syrien », les exécutions « d’apostats », de chrétiens, de Druzes, chiites, alaouites, athées, « agents de l’opposition », coupables de ne pas se soumettre à la Charia totalitaire, sont monnaie courante. Des milliers de Chrétiens (orthodoxes, maronites, arméniens), ont été victimes d’agressions, de rackets, de viols. Beaucoup ont dû quitter leur pays. Et des milliers d’Alaouites civils ont été les cibles des djihadistes sunnites rentrés en croisade contre les sectes issues du chiisme. Mais les télévisions des pays occidentaux, inféodés aux Pétro-monarchies du Golfe, n’en parlent pas… Cela risquerait de discréditer la folle idée du Trio Fabius-Hollande-Cameron d’armer les islamistes et autres Frères musulmans syriens…

Ceci dit, il serait injuste de réduire l’opposition syrienne anti-Assad à de simples bandes de salafistes moyenâgeux.

Car comme en Tunisie ou en Egypte, le « printemps arabe » a commencé, comme aujourd’hui en Turquie face à Erdogan, avec des opposants démocrates souvent laïques. Certes, ceux-ci ont été vaincus par les élections remportées par les partis islamistes (Maroc, Tunisie, Egypte), ou par les milices sunnites, maîtresses du terrain. 

Nous avons ainsi rencontré une figure de cette tendance pacifiste et laïque de l’opposition syrienne : Randa Kassis, chrétienne, mais athée, laïque, mais très proche des minorités kurdes et alaouïtes. Donc inclassable et libre. Randa est présidente-fondatrice du Mouvement de la Société pluraliste, qui propose une solution confédérale et pacifique à la crise syrienne. Elle déplore les exécutions croissantes de « civils soi-disant “pro-régime” ou de “soi-disant” membres des “Chabiyya d’Assad” ».

Elle estime que la dérive jihadiste de l’opposition sunnite, coupable de « crimes de guerre », comme le régime, est inacceptable : « J’ai eu vent de plusieurs exécutions d’alaouites, druzes, chrétiens, tués jusque parce qu’ils ne sont pas sunnites. Pour moi, ces rebelles islamistes n’ont rien à voir avec les premiers démocrates syriens pacifistes qui ne voulaient pas du tout d’un Etat islamique».

Randa Kassis explique « qu’avec le temps, les organisations islamistes étrangères, financées notamment par le Qatar, ont discrédité l’opposition au régime de Bachar al-Assad ». Elle rappelle que le chef même du Front al-Nosra est un Jordanien… que cette mouvance salafiste totalitaire est remplie d’étrangers qui n’ont rien à voir avec les intérêts syriens : Irakiens, Tunisiens, Libyens, Tchétchènes, Algérien, et même afghans, etc. Elle cite un exemple parmi tant d’autre de la dérive islamiste sunnite quotidienne : dans le check-point d’Alep, la brigade al-Tawhid a interdit à un sunnite laïque de passer le barrage pour aller porter des secours aux civils car il était en short… Or « nos femmes ne peuvent pas voir quelqu’un les jambes nues », lui aurait-on répondu. Un simple avant-goût de la future Syrie réislamisée…

Randa Kassis note que « chez nombre de Syriens sunnites, on observe un retour à une identité religieuse qui supplante l’identité nationale syrienne, peut-être trop fragile ». Elle estime ainsi que « la solution pour l’avenir ne pourra pas être un Etat central arabe musulman, mais une fédération souple permettant aux différents groupes de vivre selon leurs cultures, plutôt que de les obliger à vivre ensemble, ce qu’ils ne veulent plus (…). N’oublions pas que les Kurdes ont déjà leur administration dans le Nord (…). Il faut redécouper la Syrie en plusieurs régions. Ce serait la clef pour affaiblir l’appareil de sécurité central et donc la meilleure façon de faire chuter Assad ».

Randa Kassis déplore donc que l’opposition refuse toute négociation avec le régime : « Hélas, la solution diplomatique est venue trop tardivement. La France et la Grande Bretagne ont fait une grave erreur en reconnaissant comme le seul interlocuteur du Peuple le syrien la Coalition Nationale, dominée par des Frères musulmans et des gens incompétents, irresponsables et arrogants (…). Car aucune force d’opposition ne peut représenter toutes les composantes de ce peuple hétérogène ».

Selon elle, « les membres de la Coalition issus des minorités chrétienne, druze, alaouite ou chrétienne ne servent pas les intérêts de leurs communautés et ne sont que des pantins des Frères musulmans, des panarabistes, et des islamistes adeptes d’une ligne dure. Et c’est pour cela qu’ils refusent “Genève 2”, la conférence de paix voulue par les Russes et les Américains. Cette Coalition ne représente rien et n’arrive même pas à contrôler les milices. Non représentatifs et impuissants, les membres de la Coalition Nationale sont obligés, pour avoir un semblant de légitimité, d’obéir aux dictats des brigades islamistes les plus féroces qui contrôlent le terrain, y compris des jihadistes furieux comme Al-Norsa ou les « Descendants du Prophète, etc. Irresponsables, inexpérimentés, ils ignorent que les négociations font partie de la guerre elle-même», lance Kassis, qui « ne croit plus au scénario du méchant régime contre les gentils rebelles » : « On ne pourra pas faire chuter le régime par une solution militaire. La conférence de Genève du mois prochain n’aboutira pas à cause du refus de l’opposition de dialoguer et du fait que le régime reprend des positions (“bataille d’Alep”, reprise de quartiers à Homs, victoire d’Assad dans la zone stratégique de Qoufeir, etc). »

La position franco-anglaise va pousser l’Iran et la Russie à surarmer Assad

Concernant la proposition franco-anglaise visant à armer l’opposition, Randa y voit une « pure folie qui va pousser – en réaction – l’Iran, la Russie et les alliés de Damas à surarmer les forces d’Assad , ce qui débouchera sur encore plus de morts… C’est triste, car chacun est parti pour en finir avec l’autre totalement ».

Selon elle, la France et la Grande Bretagne sont aussi « irresponsables que la Coalition nationale lorsqu’elles poussent les Européens et l’Onu à la reconnaitre et à lever embargo sur les armes aux rebelles d’ici la fin du mois d’août. C’est dangereux pour la paix et cela empêchera le cessez-le-feu et toute solution diplomatique, hélas ».

Randa Kassis déplore la dérive de la guerre civile inter-communautaire en un « conflit géopolitique et religieux régional : l’Irak, déjà très instable, l’est encore plus, le Liban subit les conséquences violentes de la crise syrienne depuis que le Hezbollah et l’Iran aident militairement le régime d’Assad, et les pays du Golfe eux-mêmes, qui ont de fortes minorités chiites, sont de plus en plus concernés, tout comme leur ennemi potentiel, l’Irak, de plus en plus dirigé par les Chiites pro-Assad et terrain majeur de la guerre chiites-sunnites ».

Concernant le rôle de la Turquie voisine, gouvernée par des Sunnites islamistes « modérés  » de l’AKP (parti du Premier Ministre Erdogan), Randa Kassis dénonce aussi le rôle trouble du « nouveau Sultan Erdogan qui voudrait reconquérir la Syrie, ancienne possession ottomane, et ainsi contrôler un futur régime sunnite islamiste à Damas ». Kassis conclut en pariant que « la Conférence de Genève II n’aura pas lieu ou sera retardée, et en tout cas compromise (…): prévue en mai, elle a été repoussée le 10 juin, puis ensuite au mois de juillet… Hélas, il n’y a pas de solution miracle pour sauver les vies en Syrie. Je ne crois pas en une solution militaire, ni même politique à court terme. A moyen terme, je ne vois que l’option d’un Etat fédéral en Syrie, où la protection des minorités (Kurdes, Alaouites, Druzes, Chrétiens) serait garantie. »

© Copyright Alexandre Del Valle
L’article original peut être consulté ici

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