Publié par Guy Millière le 20 août 2013

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Les conséquences de la doctrine Obama, qui consiste essentiellement à démolir l’ordre du monde mis en place après la Deuxième Guerre Mondiale et à affaiblir les Etats-Unis, se font sentir d’une manière de plus en plus nette.

Le monde musulman est en proie aux convulsions résultant de l’offensive de l’islam radical, qui s’est accélérée depuis janvier 2009, et plus particulièrement (ce qui n’est pas un hasard) depuis le discours prononcé au Caire par Barack Obama : les convulsions vont se poursuivre dans les mois et les années à venir en une succession d’explosions et d’implosions qui seront autant de menaces pour l’Europe occidentale, qui dépend largement du monde musulman pour ses approvisionnements énergétiques, et qui inclut des populations musulmanes nombreuses.

L’Union Européenne est elle-même en proie à une lente dislocation, résultant d’une stagnation économique provoquée par le ralentissement économique américain (prolongé et renforcé par l’administration Obama) : la stagnation a accentué le glissement des Etats providence européens vers la banqueroute, les effets pervers de l’euro (monnaie imposée à des pays qui n’ont pas le même fonctionnement économique, politique, fiscal et culturel), ainsi que des flux migratoires complexes voyant fuir les détenteurs de capital humain élevé, et arriver des détenteurs de capital humain faible ou nul.

La dislocation de l’Union Européenne va se poursuivre elle aussi dans les années à venir, entraînant des réactions de crispation nationalistes, des défiances vis-à-vis de la globalisation économique et financière, et une déshérence croissante par rapport au cours du monde. La montée de mouvements comme celui de Beppe Grillo en Italie, comme le Front National version Marine Le Pen en France, ou comme Jobbik en Hongrie, sont des symptômes et des effets de ce que je viens de décrire. L’Allemagne va vraisemblablement s’orienter vers des liens plus étroits avec les pays du Nord de l’Europe, avec la Pologne et avec l’Europe centrale. Les pays de l’Europe du Sud ont largement décroché économiquement, et la France est en train de glisser vers un décrochement semblable à celui des pays d’Europe du Sud. L’Union Européenne était, qui plus est, sous le parapluie de la défense américaine, et, ce parapluie se refermant peu à peu, se découvre vulnérable.

La croissance planétaire est en train de se réorienter vers l’Asie qui, elle-même, subit les effets de la doctrine Obama. La Chine tire avantage du désengagement planétaire des Etats-Unis voulu par Obama : mais sa croissance, qui, comme la croissance en Europe, était tirée par la croissance américaine, a ralenti, ce qui provoque une déstabilisation et des tensions intérieures que le régime tente de compenser par des affirmations militaristes. L’Inde voit elle-même sa croissance ralentir, et des tensions intérieures s’y dessinent aussi. L’Inde n’étant pas touchée par le militarisme, c’est, cela dit, la Chine qui présente les plus grands risques de déstabilisation régionale.

Ces divers points me conduisent vers la Russie, qui occupe une position clé dans ce contexte.

Celle-ci est l’héritière de ce qui a été pendant des décennies la deuxième superpuissance, après les Etats-Unis : l’Union Soviétique.

L’Union Soviétique a été, jusqu’au début des années 1990, la principale puissance totalitaire sur terre. Richard Pipes a démontré en son temps (cf. Survival Is Not Enough) que le système soviétique reposait sur une armée hypertrophique condamnée à la prédation et à l’expansionnisme aux fins de compenser une économie dysfonctionnelle : il a été l’un des principaux architectes de la doctrine Reagan, qui a réarmé les Etats Unis, arrêté l’expansionnisme soviétique et depuis là, a conduit le système vers son effondrement.

La Russie, aux lendemains de l’effondrement, est apparue pour ce qu’elle était : un pays qui, après sept décennies de totalitarisme, était, économiquement un pays du tiers monde. Un pays où, de surcroît, les racines même de la créativité et de l’esprit d’entreprise étaient profondément brisées.

Les années Eltsine ont vu les anciens dirigeants de la nomenklatura tenter de garder leurs privilèges en s’emparant des richesses du pays dont il leur était possible de s’emparer, essentiellement celles découlant des matières premières énergétiques.

Vladimir Poutine a arrêté la décomposition des années Eltsine et tenté de restaurer ce qui pouvait l’être de la puissance perdue. En s’appuyant sur certains membres de l’ancienne nomenklatura et sur les siloviki, il a éliminé d’autres membres de la nomenklatura : en fait, tous ceux qui pouvaient constituer pour lui des rivaux potentiels. Et il continue d’éliminer tous ses rivaux potentiels et des journalistes (recourant parfois à l ‘élimination physique), en appliquant les leçons qu’il a apprises au temps où il oeuvrait pour le KGB. Discernant que la Russie ne pouvait devenir un pays développé économiquement, discernant aussi que ses deux atouts maîtres étaient des forces armées importantes et les matières premières énergétiques du pays, il a joué de l’une et de l’autre.

La prise en main des matières premières énergétiques par le biais de Gazprom et de Rosneft a permis d’assurer des revenus à l’Etat russe et d’assurer une croissance. L’entretien des tensions par les aides accordées à l’Iran, tout particulièrement dans le domaine nucléaire (sans la contribution de la Russie, la menace nucléaire iranienne n’existerait pas), a permis d’accroître ses revenus en contribuant à faire monter le prix des matières premières énergétiques.

La fourniture de matières premières énergétiques aux pays de l’ancien pacte de Varsovie, accouplée à l’ombre de la puissance militaire, a permis de recréer des liens de dépendance pour ceux-ci. Ces liens se sont étendus jusqu’à l’Allemagne. Et le recrutement de Gehrard Shroeder en 2005 par Gazprom n’a rien du au hasard.

La Georgie a payé ses velléités d’émancipation en subissant une occupation militaire et la semi annexion par la Russie de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.

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La Russie est présentement le principal bénéficiaire des effets de la doctrine Obama : les convulsions du monde musulman et l’auto-élimination des Etats Unis, désormais quasiment absents de la scène proche-orientale, permettent un retour de la Russie en tant qu’acteur stratégique régional. La dislocation de l’Union Européenne permet à la Russie de renforcer les liens de dépendance et d’influence qu’elle a mis en place. La Russie resserre aussi ses liens avec la Chine, et, ajouterai-je, avec des régimes « anti-impérialistes » en Amérique latine, Venezuela, Equateur, Bolivie, régimes qui abritent aussi, logiquement, des bases arrières islamistes.

Elle n’est porteuse d’aucune perspective de développement, de dynamisme économique, d’avancée vers la liberté et la prospérité où que ce soit.

Elle ne peut prédominer que par les rapports de force qu’elle impose, par les tensions et les divisions qu’elle suscite.

Elle ne peut remplacer l’hégémonie américaine qui a sous-tendu l’ordre du monde mis en place après la Deuxième Guerre Mondiale. Elle n’entend d’ailleurs pas remplacer l’hégémonie américaine, et tente plutôt de maintenir un cartel de dictatures, de prendre la tête de celui-ci, et d’exercer un pouvoir de nuisance et d’assujettissement.

Elle ne peut se sauver elle-même que transitoirement. Elle n’est pas un pays développé économiquement et ne prend pas le chemin pour en devenir un : les racines même de la créativité et de l’esprit d’entreprise y restent profondément brisées. La corruption, un temps endiguée, a repris une ampleur très vaste qui entraîne une recrudescence de la fuite des capitaux (cinquante milliards de dollars ont quitté le pays en 2012). La protection des droits de propriété est quasiment inexistante, dès lors que le gouvernement peut confisquer les biens de quiconque lui déplait. Dans l’Index of Economic Freedom, publié annuellement par la Heritage Foundation et le Wall Street Journal, la Russie est au 139è rang mondial, sur 177 pays répertoriés, entre le Vietnam et la Guinée Bissau. Bien que remontée à 1,54 enfants par femme, la natalité russe reste très en dessous du seuil de renouvellement des générations, et si la population s’est stabilisée en nombre, c’est essentiellement en raison d’un léger retour à la hausse de l’espérance de vie, passée à 70 ans en 2012 (la situation démographique de l’Europe n’est, hélas, pas meilleure).

La Russie n’est ni une démocratie ni un état de droit, mais un pays passé du totalitarisme au chaos, puis à une reprise en main autoritaire. Les ressorts qui permettent l’existence de la démocratie et du droit y sont, pour l’essentiel, absents. Ils n’y ont, pour l’essentiel, jamais existé : c’est un pays passé de la monarchie absolue au léninisme quasiment sans étape intermédiaire. Les réformes mises en place par Piotr Arkadievitch Stolypine sous Nicolas II, de 1906 à 1911, ont transitoirement amélioré le sort des paysans et introduit des rudiments d’économie de marché, sans changer quoi que ce soit à la structure du tsarisme, et le passage au pouvoir d’Alexandre Kerensky en 1917 n’a été que l’antichambre de la prise du pouvoir par Lénine.

Nous entrons dans une phase de désordres planétaires graves et profonds qui ne font que commencer, et qu’il faut se donner les moyens de regarder en face, lucidement.

Un ordre du monde est ébranlé. Profondément. Aucun autre ordre du monde ne vient remplacer l’ordre ébranlé. Ou bien l’ordre du monde mis en place après la Deuxième Guerre Mondiale sera rétabli. Ou bien les turbulences enclenchées vont se faire plus intenses et plus convulsives.

Le monde dans lequel nous vivons repose sur des lignes de communication matérielles (voies maritimes et aériennes) et immatérielles (téléphonie, internet) dont l’interruption signifierait un cataclysme très profond. La production, les échanges marchands, la finance, l’ensemble des transactions en dépendent de manière cruciale.

Les lignes de communication matérielle et immatérielles reposent depuis 1945 sur les Etats Unis. Aucune puissance n’est à même de se substituer à eux dans le court ou le moyen terme.

Ils sont, comme l’a dit Madeleine Allbright voici une décennie, et comme l’a redit George Walker Bush quelques années plus tard, la « puissance indispensable ».

Nous risquons très nettement de glisser vers une ère d’éclipse de la « puissance indispensable ». Et, le cas échéant, l’éclipse sera douloureuse.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour www.Dreuz.info

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