Publié par Jean-Patrick Grumberg le 10 octobre 2013
Mohamed Badie
Mohamed Badie

C’est une décision qui aurait pu être importante pour le monde libre et les sociétés ouvertes – s’ils avaient voulu se donner la peine d’en tirer les bonnes leçons.

L’organisation des Frères musulmans – tant la branche religieuse que politique, a officiellement été dissoute. Le décret portant dissolution de l’organisation a été signé par le ministre égyptien de la Solidarité sociale Ahmed al-Borai.

Le 23 septembre, un tribunal du Caire avait rendu un arrêt interdisant les activités des Frères musulmans en Egypte.

Le 9 octobre, la requête en appel des Frères a été examinée. Et rejetée.

  • Les actifs des Frères musulmans ont été confisqués, ainsi que toutes les ressources du mouvement.
  • Ils ont été rayés de la liste des ONG du pays, et n’ont plus le droit d’exercer aucune activité.
  • De nombreux leaders du mouvement islamiste ont été arrêtés par l’armée depuis l’éviction du président Mursi le 3 juillet dernier, et mi septembre, la cour avait provisoirement gelé tous les avoirs et le patrimoine de 25 membres dirigeants des Frères musulmans et de partis politiques alliés. En juillet, les biens du guide suprême, Mohamed Badie, avaient subi le même sort.

Il n’est pas certain que l’Occident en tire les bonnes leçons, explique Khaled Fahmy professeur et chef du département d’histoire de l’Université américaine du Caire, sur AhramOnline, tant est grande la différence entre la perception des Frères musulmans dans les médias occidentaux et ce qu’ils sont réellement.

• Les médias occidentaux voyaient en Morsi un président élu, dont la légitimité avait été acquise dans les urnes. Ils considéraient que certes son premier mandat laissait beaucoup à désirer, mais les Egyptiens auraient du le laisser terminer son terme, et si les erreurs s’accumulaient, ils pourraient le remplacer lors des prochaines élections.

Ce que les médias n’ont pas pris en compte, c’est que les attaques antidémocratiques de Morsi, à commencer par le décret constitutionnel qui le plaçait au dessus des lois, la nomination d’un avocat général qui n’était respecté ni des magistrats, ni de la société, et de la guerre qu’il avait commencé à livrer pour retourner la Constitution, avaient fait naître chez les Egyptiens la légitime crainte qu’à ce rythme, des futures élections qui permettraient de ne pas réélire Moris, il n’y en aurait peut-être pas.

• Les journalistes européens, par sympathie pour le “printemps arabe”, s’aveuglèrent en considérant que les Frères musulmans devaient être considérés comme une force révolutionnaire qui avait triomphé de la dictature, grâce à son talent organisationnel.

En réalité, la plupart des analystes égyptiens doutaient que le mouvement des Frères ait la moindre sympathie pour la révolution du 25 janvier 2011. Nous savions, en Egypte, que les Frères musulmans étaient un parti ultra-conservateur qui recherchait à réformer le pays, et non à faire la révolution. Leur année au gouvernement a apporté la preuve de cette hostilité envers la révolution de janvier : ils arrêtèrent les figures principales du printemps arabe et les jetèrent en prison, et surtout “oublièrent” de condamner le massacre des chrétiens coptes à Masspero en octobre 2011.

• De nombreux journalistes occidentaux, mais aussi des hommes politiques [JPG: comme le ministre Français Alain Juppé] regardaient les Frères musulmans comme un mouvement qui allait redonner aux Egyptiens la liberté politique libérée par la révolution.

A l’inverse, nous Egyptiens, avions (et avons toujours) en mémoire que les Frères musulmans se définissent selon la description de leur fondateur, faite il y a plus de 60 ans, comme “un mouvement salafiste, un mode de vie sunnite, selon la vérité sunnite, une organisation politique, sportive et scientifique”. Et le fait qu’ils prennent le coran et deux sabres comme logo n’était pas pour nous rassurer. Cela, les occidentaux refusent de le regarder.

• Par ailleurs, nous avions des craintes concernant les liens qui pouvaient exister entre le président élu et le guide suprême des Frères musulmans, qui dirige tout, et dont nous ne savions à peu près rien. Et bien la lumière se fit lorsque nous vîmes le leader suprême souffler à l’oreille de Morsi, dans ses derniers discours, ce qu’il devait dire. Là nous avons compris qui dirigeait qui, et surtout que le président n’obéissait pas à son peuple, mais cet un homme mystérieux, et non élu…

• Les médias pensait les Frères musulmans comme une organisation charitable fortement implantée dans l’Egypte profonde, agissant pour combler les lacunes de l’Etat en matière d’éducation, de santé et autres besoins de base, ce qui lui permit de remporter l’élection parlementaire. Remporter une élection est une chose, diriger un pays en est une autre.

Les journaliste étrangers ne furent pas capable de percevoir le degré de ressentiment des Egyptiens par rapport aux pratiques injustes des Frères musulmans, notamment dans le fait qu’ils attribuèrent les postes clefs du gouvernement au Frères, tout en refusant tout assistance et services à la population.

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Ceci étant établi, les experts et médias occidentaux ont largement manqué d’expertise et de jugement en ne voyant pas que les Frères musulmans sont un mouvement mystérieux. N’étant pas un parti politique, tout le monde ne peut pas en devenir membre, même s’il est musulman. Pour être admis, il doit en admettre ses principes, ce qui assimile le mouvement à une secte à laquelle il n’est possible d’adhérer que sur proposition de membres existants.

En conclusion, explique Khaled Fahmy, la leçon principale de cette distorsion de vue des occidentaux se résume à leur étroite définition de la démocratie. Pour eux, la démocratie se limite à un vote, ce que Amr Ezzat a brillament décrit comme la “votocratie”.

A partir de là, les journalistes occidentaux, mais également une majorité de politiciens, ont considéré que la révolution égyptienne a pris fin après le vote pour les élections parlementaires, puis présidentielles, puis le référendum sur la Constitution. A l’inverse, la majorité des Egyptiens considère que la révolution n’est pas née pour tenir des élections libres ou changer la tête des dirigeants. La révolution avait pour but de changer en profondeur les règles du jeu politique.

Et puisque la révolution n’a pas encore atteint son objectif, ces journalistes feraient bien de se ressaisir, de se mettre à jour, et de se préparer à l’idée que l’Egypte est partie sur une route longue et cahoteuse : notre révolution n’en est qu’à ses débuts.

Fin des extraits de l’analyse de Khaled Fahmy.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour www.Dreuz.info

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