Je republie ici un texte écrit au temps où j’étais Président de l’Institut Turgot. Ce texte explique synthétiquement dans quelle ère économique nous sommes. Les explications d’ensemble figurent dans mon livre La septième dimension. Le livre étant épuisé, je vais en préparer une nouvelle édition.
Au cours des trente dernières années, une révolution technologique s’est opérée, dont nous voyons les résultats partout autour de nous et dans notre vie quotidienne, mais dont nous ne discernons pas toute la portée. Nous utilisons des téléphones portables et des micro-ordinateurs, nous utilisons internet et le haut débit, nous achetons toujours davantage par ces biais, nous consultons des textes venus de l’autre bout du monde, nous dialoguons quelle que soit l’heure sur des blogs, nous achetons des billets d’avion ou de concert, des nuits d’hôtel et d’autres services. Mais nous ne relions pas tout cela à un tableau d’ensemble. Nous ne voyons pas que ce qui se trouve révolutionné ainsi, ce n’est pas seulement la communication entre les êtres humains, la vie quotidienne, l’accès à l’information, mais l’intégralité du fonctionnement économique, politique, culturel et social du monde dans lequel nous vivons.
Fonctionnement ” post-capitaliste “
Les anciennes sociétés industrielles glissent vers un fonctionnement post-industriel, voire, pour reprendre l’expression de Peter Drucker, ” post-capitaliste ” : les usines sont délocalisées ou robotisées, et ne fabriquent plus que ce qui serait trop cher et trop difficile à transporter sur de longues distances ou ce qui est porteur d’une forte charge symbolique (une moto Harley-Davidson ne sera vraisemblablement jamais fabriquée en Chine), les entreprises performantes sont des entreprises de distribution, de synchronisation de l’information, d'” amélioration simultanée des biens complémentaires ” (Paul Romer), de création intellectuelle et technologique ou des entreprises de service (loisirs, optimisation de la vie). Celles qui se chargent de biens matériels conçoivent ceux-ci, les font fabriquer ailleurs et les commercialisent sur la planète entière.
Elles fonctionnent toujours davantage sur le modèle de ce que Charles Gave appelle les entreprises ” plate-forme “. Elles reposent sur le fait que la création de valeurs est désormais essentiellement immatérielle.
Hétérarchie
Le fonctionnement post-industriel implique un changement d’organisation : la structure pyramidale, adéquate à l’ère industrielle, est condamnée à l’obsolescence au profit du réseau qui permet à tous ses membres d’apporter sa contribution et sa créativité. La hiérarchie cède la place à l’hétérarchie (George Gilder) : complémentarité synergique de singularités créatives individuelles.
Chaque individu se trouve incité par les transformations en cours à devenir entrepreneur de lui-même, à développer, entretenir et vendre son capital intellectuel. La mobilité croissante des individus, du capital financier et du capital essentiel (le capital intellectuel), la possibilité d’échanger planétairement des informations, transforment la vie économique en faisant que de plus en plus d’entreprises fonctionnent pour partie dans la réalité immatérielle du web et ont pour horizon les cinq continents.
Calcul économique
Elles transforment le calcul économique : comment calculer le chiffre d’affaires exact d’une entreprise qui conçoit, ne fabrique rien, fait fabriquer à la demande à l’autre bout de la terre et envoie le produit ensuite là où se trouve le consommateur final ? Combien de frontières ont été traversées ? Comment tout cela affecte-t-il les calculs d’excèdent ou de déficit commercial de tel ou tel pays ?
Elles transforment le fonctionnement politique : les Etats sont de plus en plus, comme l’avait anticipé Jude Wanniski voici plus de vingt ans (The Way the World Works), considérés comme des prestataires de services en matière de droit, de sécurité des biens et des personnes, et sont en concurrence les uns avec les autres. Un mauvais prestataire de service fait fuir le capital financier et le capital intellectuel.
Crise des systèmes de redistribution
Les systèmes de redistribution rentrent en crise dès lors que non seulement la production glisse des lieux où le coût de la main d’œuvre et des charges est élevé vers les lieux où le coût de la main d’œuvre et des charges est plus faible, mais que les flux financiers glissent d’un bout à l’autre de la planète en quelques opérations informatiques aisément cryptables et que ceux qui disposent d’un fort capital intellectuel ne sont plus prisonniers d’une société à laquelle ils seraient rivée pour toujours.
Nouvelles sociétés industrielles
De nouvelles sociétés industrielles voient ainsi le jour, qui bénéficient pleinement de la mutation, et elles deviennent les ateliers du monde, ce qui y crée des centaines de millions d’emplois, mais aussi ce faisant des centaines de millions de nouveaux consommateurs, et des centaines de millions de gens susceptibles de sortir des coercitions inhérentes à l’extrême pauvreté. Pas plus que les sociétés post-industrielles et leurs modalités de fonctionnement ne ressemblent à ce qui était connu auparavant, les nouvelles sociétés industrielles (Chine, Inde) ne ressemblent aux anciennes sociétés industrielles, puisqu’elles répondent surtout à la demande venue des sociétés post-industrielles, puisqu’elles sont d’une époque où, progressivement, on sait reformuler la matière et le vivant, puisqu’elle travaillent en connexion avec les ” entreprises plate-forme “, et puisque leur intégration à l’économie planétaire implique leur ouverture aux grands brassages culturels et informationnels qui parcourent le monde.
Sixième dimension
J’analyse la logique d’ensemble qui se met ainsi en place comme le passage à la sixième dimension.
Aux quatre dimensions qui structurent l’espace-temps, à la cinquième dimension qui concerne les déplacements dans les quatre dimensions de l’espace-temps, s’ajoute la dimension constituée par la réalité virtuelle où l’on est dans l’univers du web. Une société post-industrielle se recompose autour de cette sixième dimension, sur un maillage d’entreprises hétérarchiques en réseau, elles-mêmes connectées aux réseaux mondiaux. C’est une société où le politique repose sur la compréhension de son rôle de prestataire de services. C’est une société où on discerne que l’avenir ne sera optimal que si le capital intellectuel y est traité, formé, entretenu de manière optimale. Une nouvelle société industrielle est une société où on crée les conditions favorables à l’implantation de nouvelles structures industrielles.
Société en déclin
Les sociétés où continue à exister de manière prééminente une analyse en quatre ou cinq dimensions, mais où on ne comprend pas le caractère globalement révolutionnaire de la sixième dimension est une société en crise et en déclin. On y vit la nostalgie de l’ère industrielle et on y raisonne selon les paramètres, révolus, de l’ère industrielle. On y ” lutte contre les délocalisations ” sans comprendre que ce qui sous-tend celles-ci est bien plus vaste que la ” loi du profit “. On essaie d’y préserver des Etats-providence redistributeurs sans discerner pourquoi ceux-ci sont condamnés à mort. On y parle de la ” mondialisation ” comme d’une option, face à laquelle un ” autre monde ” serait possible, sans voir que la transformation impliquée par le téléphone et l’ordinateur portables, et le net à haut débit est un changement de paramètre aussi important et aussi profond que celui impliqué, au dix-neuvième siècle, par l’électricité et la seconde loi de la thermodynamique.
La France et l’Europe ne sortiront de leur situation actuelle que si on essaie d’y discerner pleinement les contours de la sixième dimension.
Aspérités
Analyser la sixième dimension implique de voir aussi, c’est sous-jacent dans ce que je viens d’écrire, qu’elle n’advient pas sans aspérités, frictions ou dysfonctionnements. Outre les sociétés en crise ou en déclin telles les sociétés européennes où la réticence à discerner que les technologies de la sixième dimension impliquent un changement de logique global a pour effet d’entraîner la crispation sur des discours protectionnistes et collectiviste de droite (” antimondialisme “) et de gauche (” altermondialisme “), il est des sociétés où les dispositifs de fonctionnement culturel rendent l’adaptation à la sixième dimension difficile (Afrique subsaharienne, Amérique latine), voire des sociétés où cette adaptation est refusée et vécue comme une agression, ce qui entraîne des effets en retour violents (monde musulman).
© Guy Millière, pour l’Institut Turgot
il faut des milliers d’articles de se genre sur dreuz car dans le domaine économique certains ne comprenne rien ( voir les commentaires sur l’article sur marine le pen ) ce qui est compréhensible dans une société ou la richesse et le talent sont punis dévalorisé et tourné en dérision et comme je dit souvent merah et mesrine sont idolâtré et porter en triomphe par des foules de Français mais tout le monde crache sur le simple patron qui propose des biens et des services
Le progrès économique et social consiste en un perpétuel processus de “destruction créatrice”. A la vague de délocalisations des dernières décennies pourrait bien succéder une vague de relocalisations industrielles, pour de multiples raisons: réduction du différentiel du coût du travail entre l’Occident et l’Asie, compétitivité retrouvée du coût de l’énergie aux Etats-Unis, meilleure réactivité, automation toujours accrue, augmentation du coût du transport maritime etc…
Il existe, au niveau politique comme dans le monde des affaires, deux catégories de décideurs: ceux qui se prononcent en toute connaissance de cause, et leurs simiesques imitateurs appliquant hors de propos des recettes toutes faites, avec les meilleures chances de se fourvoyer.
Assimiler la mondialisation à un irréversible processus de délocalisation toujours plus poussée reflète une attitude purement défensive, autrement dit la résignation à subir les événements.
Est-il besoin d’ajouter que l’essentiel en matière de développement économique et social, c’est l’innovation? Or en Europe en général, et plus particulièrement encore en France, le code du travail interdit pratiquement l’innovation. Innover suppose de créer de nouvelles structures de recherche-développement, donc (hélas) de pouvoir les dissoudre au moindre coût en cas d’échec…
Comme le soulignait récemment Jean-Patrick Grumberg, Google n’aurait pas pu être inventé en France…
Les facteurs que vous évoquez en faveur des relocalisations peuvent, en certains cas, s’avérer pertinents. Cela dit, ce que j’écris n’a rien de défensif. L’essentiel de la création de valeur aujourd’hui relève de la création de valeur immatérielle, et dire que les sociétés développées ont un intérêt à se tourner vers la création de valeur immatérielle, venue du capital intellectuel et humain me semble pertinent, plus pertinent que les discours parlant de réindustrialisation et oubliant, précisément, ce qu’est aujourd’hui la création de valeur. Ce qui est préoccupant n’est pas que les aciéries disparaissent en France et en Europe, en dehors de filières très spécialisées et impliquant un très haut degré de savoir faire, donc de capital intellectuel, mais que, comme vous le notez, il n’y ait pas de Google, pas de Apple, de Microsoft, de Genentech européen.
Les discours parlant de réindustrialisation (alias “redressement productif”!) procèdent d’une vision dirigiste inévitablement vouée à l’échec.
C’est évidemment au libre jeu du marché qu’incombe l’arbitrage entre délocalisations et relocalisations. Les conditions semblent aujourd’hui réunies pour que se dessine un courant de relocalisations, et l’idée que les usines vont quasiment disparaître des pays occidentaux relève d’une vision outrancièrement caricaturale de l’avenir.
L’enrichissement d’un pays passe par la conception de bien et services toujours plus sophistiqués, et par une organisation des processus de production toujours plus compétitive. Le fait que la production soit ou ne soit pas délocalisée est affaire de circonstances. Ce qui est certain, c’est qu’un Etat responsable ne doit jamais s’opposer aux fermetures d’usines et aux délocalisations.
l’industrie va quasiment mourir avec l’apparition des imprimante 3d et même 4d
L’impression tridimentionnelle n’est rien d’autre qu’une nouvelle méthode de fabrication, encore davantage automatisée, dont on est encore loin d’avoir exploré toutes les possibilités …et les éventuelles limites.
Les usines ne disparaîtront pas pour autant, mais elles ne ressembleront évidemment plus à celles d’aujourd’hui, et il y a de fortes chances qu’elles soient relocalisées à proximité des lieux de conception ou de consommation.
Brillant article, une fois de plus. Le raisonnement en terme de dimensions me plaît beaucoup, il permet de comprendre que la mondialisation n’est qu’une conséquence de la création de ces nouvelles dimensions. Merci de nous indiquer quand reparaîtra votre livre.
Excellent article, clair sauf sans doute pour nos dirigeants politique.
Une petite remarque, les composants des Harley proviennent de Chine et sont assemblés aux EU. Seule la marque India est encore entièrement fabriquée aux USA.
La creation de valeurs est inexistente car on ne l`apprecie plus. Tous q`on fabrique est d`une qualite pour deux jours, et jetee apres, et ne ressemble plus a ce qui etait connu auparavant, ni culturels, ni qualitative. Seullement le profit financiere est primordial .
Millière a raison . Mais le problème de l’EU c’est aussi le montage machiavélique du système européen . Qu’il y est des délocalisations c’est normal mais de là a créer des montages ambiguës c’est autre chose .
Ex monnaie unique l’euro qui met les systèmes sociaux en concurrence , le cabotage pour les poids lourds , employer des travailleurs européens au même prix que chez eux etc .
Avant l’UE Coca-Cola , Bic etc ont délocalisé pour exporter mais ont toujours gardé des entreprises dans leur pays d’origine .
Maintenant on assiste à des complètes délocalisations . Le savoir suit , les européens déposent de moins en moins de brevets .
Monsieur Milliére, Merci pour votre éclairage sur la transformation
cosmique de notre vieille planéte ! . Dans votre étude sur l’évolution
vers la sixiéme dimension………..j’observe toutes -fois que l’énorme
difficulté réside essentiellement dans ce que vous baptisez ” les
aspérités ” !!! Vous dites fort justement : ” il est des sociétés ou les
dispositifs de fonctionnement culturel,rendent l’adaptation à la
sixiéme dimension difficile (Afrique subsaharienne , Amérique latine ),
voire des sociétés ou cette adaptation est refusée et vécue comme
une agression , ce qui entraine des effets en retour violents (monde
musulman !!) . Je pense que là , tout est dit ! la France en l’état
actuel est déjà une colonie du monde musulman et de l’afrique
subsaharienne……….et le niveau d’éducation de nos populations
tend ,par un mimétisme bienveillant à se rapprocher du niveau
zéro de la population de remplacement !!!…………..
Je pense que dans la bataille pour survivre qui s’annonce , nos
hommes politiques ont trahis toutes les espérances,parce qu’ils
sont vénaux et carriéristes……….et surtout , parce qu’incompétants
pour la chose économique et industrielle !!!Ils n’ont encore rien
compris…………..vous Monsieur Milliére,parlez du XXI siécle, eux en
sont à régir façon XIX éme…………la distance est telle que nous
n’échapperons pas au paiement de l’addition , c’est à dire ,
à la RUINE , c’est pourquoi , le discour utile ,sur l’Euro , sur le
post-capitalisme semble déjà innaproprié tant l’air sent déjà la poudre
et les innévitables décombres d’une société en délitement ………….
Nous faudra-t-il une révolution culturelle à la Chinoise , c’est à dire
expédiant à la campagne le long régiment de nos z’édiles bien
pensantes ,poudrées et manucurées,généreuses du travail et de
l’épargne des autres…………….pour qu’enfin ces étres supérieurs
mesurent ce qu’est le prix du pain ????
Une chose est absolument certaine , sans un virage à 180 °,sans
un choc révolutionnaire FORT , notre Cher PAYS est condamné à disparaitre …………….La Beauce et la Brie redeviendront des désert, et
les dune d’Hermenonville seront terrain de prédilection pour dromadaires………………………..
Le scénario qui a ma préférence c’est plutôt celui d’un effondrement total du système capitaliste qui nous obligera à évoluer dans un univers à la mad max. N’oublions pas que d’ici quelques décennies il y n’aura plus de pétrole , ce qui posera des problèmes insurmontables.
Rien que pour les sables bitumineux du Canada nous en avons pour 1000 ans. Le pétrole sera récupéré autant de fois que la technique le permet et les besoins pour le même résultat commence déjà à diminuer et ce n’est que le commencement. 😎
la mondialisation ?
c’est surtout celle du capital qui est la plus dangereuse pour une industrie ou un pays.
qui peut répondre à des questions comme :
qui est “propriétaire” de AXA, de la Société Générale, de la BNP ?
Les très gros actionnaires de ces établissements doivent avoir une idée des “propriétaires”. Car ce sont eux qui dictent la feuille de route au PdG, au Directeur Général, ..
dans l’obscurantisme total de la finance.
Les réseaux (internationaux) entre ces financiers sont nombreux et obscures : il est très difficile, sinon impossible, d’en suivre le fil.
il faudrait poser la question au comte de Castries (AXA) mais il ne répondra jamais.
Ces grands groupes bien connus, mais combien d’autres moins connus comme LBO, agissent non seulement sur la finance, mais aussi sur toutes les activités économiques, industrielles, commerciales d’un pays et même du Monde -s’ils le peuvent-,
et ce, directement ou indirectement.
Ils achètent des industries pour les re-booster, ou les “décortiquer” puis les revendent.
Les intérêts d’un pays ne comptent pas pour eux. Le tissu industriel du pays, non plus.
Les américains l’ont bien compris, c’est pour cela qu’ils se protègent.
Il faudrait s’attarder sur les motivations de ces financiers : la première est tellement évidente..
mais d’autres se situent sur le terrain des stratégies géo-politiques
qui sont à la merci des “propriétaires”..
Pour en avoir une meilleure vision, il faudrait s’attarder sur les motivations de la Chine..
Il faut distinguer les mouvements internationaux de capitaux spéculatifs, avec la déstabilisation des nations qui s’ensuit, et la nationalité des institutions financières, shadow banking system y compris (il n’existe pas de société de droit mondial!), encore que la multiplication des filiales off-shore à fin d’optimisation fiscale brouille un peu les cartes…
Certains auteurs ont imputé au secteur financier britannique le déclin de l’industrie ammorcé outre-Manche durant l’entre deux guerres, et qui atteignit son paroxysme dans l’Angleterre pré-thatcherienne. A croire que les industriels eux-mêmes et l’Etat-providence beveridgien n’y furent pour rien!
Quant aux restructurations industrielles opérées par des groupes financiers, certaines réussissent, d’autre non, mais serait-il réaliste d’exiger des financiers qu’ils se comportent en philanthropes?
En matière financière, la principale nuisance réside dans l’existence des paradis bancaires, existence nullement révolue, contrairement à la légende officielle, et chacun comprendra aisément pourquoi!
Jean-Claude Guillebaud “Une autre vie est possible” semble vous rejoindre vers ce futur prométeur et incontournable 😎
Paru chez l’Iconoclaste