Publié par Hervé Roubaix le 30 janvier 2014

“Morts pour la France”… le 5 juillet 1962 en Algérie…

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Marie-Claude Teuma est née en Algérie française. A Alger. Elle est la fille unique de Paul-Marie-Hubert Teuma, directeur des établissements Montserrat (Orangina).

Marie-Claude se souvient : «Le 5 juillet 1962, j’étais depuis trois jours à l’aéroport de la Sénia à Oran, en partance pour la France. Mon père venait me voir tous les jours, je dormais au poste Météo. Ce 5 juillet, il n’est pas venu … je devais rejoindre ma mère à Marseille, j’ai embarqué pour Paris et j’ai atterri à Lyon. J’avais 18 ans…».

Jean de Broglie, secrétaire d’Etat chargé des Affaires algériennes, explique dans un lettre adressée à Marie-Claude :

“J’avais aussitôt demandé à la Croix-Rouge internationale de procéder à une enquête extrêmement poussée sur cette disparition, dont les résultats viennent aujourd’hui de me parvenir. Ceux-ci sont malheureusement négatifs et j’ai le pénible devoir de vous informer que, d’après les recherches effectuées par cet organisme, il nous faut conclure au décès de Monsieur Teuma et de ses compagnons.”

De Broglie : “D’après un témoignage qui paraît digne de foi, il semble que M. Teuma et ses compagnons aient subi le même sort que toutes les personnes disparues lors de l’émeute des 4 et 5 juillet à Oran. Arrêtés à un barrage sur la route de La Sénia, ils ont été abattus alors que l’un d’eux tentait de s’enfuir…».

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Dès lors, Marie-Claude Teuma livre “un long combat serein et déterminé pour la reconnaissance de la disparition de son père” explique le chercheur en histoire Michel Delenclos qui la rencontra deux fois, et elle poursuit l’objectif “que notre histoire soit reconnue et respectée et, que leur sacrifice [NDLR: les disparus Pieds-Noirs et Harkis] au nom de « l’intérêt supérieur de l’Etat » soit célébré par tous, civils et militaires.”

Ainsi,

• Le 5 juin 2006, à Marseille, elle participe à la marche silencieuse en mémoire des disparus en Algérie.

• Le 18 septembre 2008, elle adresse une lettre au Secrétaire d’Etat aux Anciens combattants qui avait refusé de reconnaitre la qualité de «mort pour la France» aux victimes civiles de la guerre d’Algérie.

• Le 14 mars 2009, à Valence, elle manifeste contre la célébration du 19 mars.

• Le 5 novembre 2009, une lettre arrive, adressée par le Ministère de la Défense, qui lui apprend que son père, Paul Teuma, est reconnu comme «Mort pour la France» car les circonstances de son décès «résultent d’actes de violence constituant une suite directe de faits de guerre et permettent l’apposition de la mention «Mort pour la France».

Marie-Claude Teuma a gagné. En tous cas le croit-elle, car…

• Le 21 décembre 2009, le Ministère lui signifie que l’avis favorable est annulé car «entaché d’illégalité. La fin de la guerre d’Algérie ayant été déclarée le 2 juillet». Son père «n’est pas décédé à la suite d’actes de violence constituant une suite directe de faits de guerre.»

Mais elle n’abandonne pas…

• Le 28 janvier 2010, aux côtés de H. Troupel et de C. Perrotet, elle participe à l’assemblée constitutive du cercle algérianiste de Nîmes.

• Et il y a quelques jours, le 26 décembre 2013 exactement, elle reçoit un acte du Procureur général de la Cour d’appel de Rennes, qui :

[message_box title=”” color=”blue”]« Déclare par le présent acte acquiescer purement et simplement l’arrêt rendu par la 6ème chambre de la Cour d’appel de Rennes le 15.10.2013 réformant la décision du tribunal de Grande instance de Nantes, en date du 24.05.2012 et, ordonnant l’adjonction de la mention « mort pour la France » sur l’acte de décès de M. Paul Teuma, né le 30.07.1918 à Carces (Var) et décédé le 05.07.1962 à Lartigues (Algérie). Renonçant à attaquer le dit arrêté par toute voie de recours ordinaire ou extraordinaire, voulant et entendant qu’il soit désormais définitif.

Fait à Rennes, le 26.12.2013.

Pour le Procureur général, Olivier Bonhomme, substitut général. »[/message_box]

Le 24 janvier 2014, Marie-Claude Teuma publiait ce communiqué :

« Voilà, après de nombreuses péripéties qui, durent depuis le 05 novembre 2009, les enlevés/disparus après l’indépendance de l’Algérie sont enfin reconnus comme victimes « d’acte de violence constituant une suite directe de faits de guerre » (Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre : Article L488 de la loi n° 2005-1719 du 30.12.2005).

J’espère que les familles de disparus Pieds-Noirs et Harkis n’hésiteront pas à faire la demande de la mention « Mort pour la France » auprès de l’ONAC pour honorer la mémoire de leurs disparus mais aussi pour que notre histoire soit reconnue et respectée et, que leur sacrifice au nom de « l’intérêt supérieur de l’Etat » soit célébré par tous, civils et militaires.

Ils ont existé.

J’espère que toutes les places, rues et squares de France célébrant le 19 mars seront débaptisés, car le reconnaissance des « morts pour la France » après l’indépendance est bien la preuve que les « Accords d’Evian » n’ont pas été respectés et ne symbolisent en aucun cas la fin de la guerre.

Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont témoigné pour mon procès et toutes celles qui m’ont soutenue et conseillée. Soyez-en remerciés très sincèrement du fond du cœur. Je dois également remercier mes avocates, Maître Fanny Velay et Maître Karline Gaborit qui ont adhéré sans hésitation à notre cause et qui ont su plaider avec conviction. Je me tiens à la disposition de toute personne qui désirerait avoir un complément d’information. »

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“A la lecture de la lettre de Marie-Claude, conclut Michel Delenclos, transparaît certes un soulagement, après un long combat serein et déterminé pour la reconnaissance de la disparition de son père, mais aussi beaucoup d’altruisme envers ceux des Pieds-Noirs et des Harkis qui ont subi le même horrible sort.

L’auteur [Michel Delenclos] l’avait rencontrée deux fois, seulement, mais avait été très vite touché par son empathie et par cette force intrinsèque qu’elle dégage toujours.

Elle est en droit, aujourd’hui, de passer le témoin, en rappelant aux relayeurs cette précaution de Gustave Le Bon : « Les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes. ».

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Michel Delenclos pour Dreuz.info. Adaptation, Hervé Roubaix

Bibliographie :
De Claude Micheletti “Fors l’honneur*”, Ed. Curutchet, 2002.
De Raphaël Delpard “Les oubliés de la guerre d’Algerie*”, Ed. M. Lafon, 2003.
De Guy Pujante “De l’Algérie de papa à l’OAS*”, Ed. G. de Bouillon, 2004.
De Michel Delenclos «Les mots des uns … Les maux des autres : La France et l’Algérie*», Ed. G. de Bouillon, 2008.
De M. Delenclos « 19 mars 1962 ? Waterloo !* », Ed. L »Harmattan, 2013
Voir «Mort pour la France» et «Disparus», 2009. Supplément à l’Algérianiste n° 130 de 06/2010.

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