Publié par Guy Millière le 15 juin 2014

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Tandis que j’écris cet article, l’Etat islamique en Irak et au Levant, après avoir pris Mossoul, est aux portes de Bagdad. On peut douter que Bagdad tombe aisément : l’Iran a envoyé des Gardes révolutionnaires soutenir ce qui reste du gouvernement irakien. Mais rien n’est impossible désormais. Dans les fantasmes des gauchistes américains, il y a le secret espoir de voir se répéter une humiliation semblable à celle subie par les Etats-Unis lors de la chute de Saïgon en 1975. Et la chute de Bagdad pourrait permettre une humiliation du même ordre. Il n’y a plus en Irak que quelques soldats américains depuis la décision prise par Barack Obama d’abandonner l’Irak, à la fin de 2011, mais il reste des soldats américains, une ambassade américaine, de quoi voir survenir une débâcle.

Les discours que je vois circuler depuis mon retour en France vont du rappel des positions de Chirac et Villepin lors de la décision de l’administration Bush de renverser Saddam Hussein à un simple soulignement de ce que la guerre en Irak a été inutile et désastreuse. Ces discours ne me surprennent pas.

Se trouve oublié dans ces discours les liens de Saddam Hussein à diverses organisations islamistes et terroristes, le fait que tous les services de renseignement occidentaux indiquaient que le régime de Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive (oui, tous les services de renseignement occidentaux, y compris les services français). Se trouvent oubliés les rapports d’inspecteurs des Nations Unies faisant la nomenclature de ces armes, la découverte ultérieure de ce qui figure dans le rapport Duelfer (l’existence de ce que des journalistes à l’époque ont appelé des « armes de corruption massive » qui venaient corrompre des dirigeants français et allemands). Se trouvent oubliés les charniers laissés derrière lui par Saddam Hussein, le gazage de villages kurdes par des avions français et des gaz allemands. Se trouve oublié surtout ce qui était au cœur de la doctrine Bush : une volonté de transformer radicalement le Grand Moyen Orient dans une direction plus démocratique et plus compatible avec le droit.

 

Des milliers de morts dont personne n’attribue la responsabilité aux djihadistes, bien sûr

La guerre en Irak a connu des épisodes tragiques. Elle a comporté des erreurs. Elle a conduit à un acharnement de djihadistes venus de quasiment la terre entière pour empêcher la stabilisation et la démocratisation du pays et, en raison de cet acharnement de djihadistes, à des milliers de morts dont personne n’attribue la responsabilité aux djihadistes, bien sûr. Elle a conduit à un reflux des forces du djihad au Liban, au rapprochement du régime Kadhafi en Libye avec les services occidentaux dans leur lutte contre le djihadisme et, enfin, après le changement de stratégie resté sous le nom de « surge » en 2007, à une victoire américaine, à la mise en place d’un gouvernement associant sunnites, chiites et kurdes et d’une république alliée au monde occidental.

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Elle aurait pu conduire à bien davantage et, sans doute, à la chute du régime islamique iranien s’il n’y avait pas eu des traîtres et des corrompus en Europe (dois-je donner des noms?).

Barack Obama a transformé une victoire rudement acquise en défaite. Sous prétexte de « terminer » la guerre (Obama parle toujours de « terminer » des guerres, jamais de les gagner), il a, contre l’avis du gouvernement irakien en place à l’époque, décidé de retirer totalement les troupes américaines, à l’exception de celles qui gardent l’ambassade des Etats Unis. Le gouvernement irakien s’est dès lors rapproché de l’Iran. Les régions kurdes, déjà autonomes depuis la chute de Saddam Hussein, sont devenues plus autonomes encore et sont en situation de quasi indépendance. Les sunnites ont été peu à peu exclus des sphères du pouvoir.

En parallèle, ayant renoncé à soutenir les opposants modérés à Assad en Syrie, et ayant laissé libre cours tout à la fois au comportement barbare de l’armée de Bachar Al Assad et de ses alliés du Hezbollah (appuyés par des gardes révolutionnaires venus d’Iran et par le soutien logistique de la Russie), et au comportement tout aussi barbare des groupes djihadistes sunnites dans le reste du pays, Barack Obama a laissé se produire un atroce bain de sang et a permis que se renforce un groupe dissident d’al Qaida, l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL). Ce groupe, après s’être emparé de tout l’Est et le centre de la Syrie s’est employé à conquérir les régions sunnites d’Irak, ce qui est désormais chose faite.

Quatre mille cinq cent soldats américains sont morts pour rien. Des milliers d’Irakiens aussi. Un Etat dont les idées sont celles d’al Qaida se constitue en Syrie de l’Est et en Irak. Et cet Etat sert déjà de lieu de formation à des djihadistes prêts à frapper le monde occidental, et qui, parfois, frappent, comme à Bruxelles. Des attentats de plus grande ampleur sont très envisageables. Les Etats Unis d’Obama en sont réduits à se rapprocher du régime Assad et se rapprochent effectivement du régime iranien. La Jordanie fait l’objet de menaces explicites de la part des chefs de l’EIIL.

Si on regarde la carte régionale d’un peu plus loin afin d’avoir une vue plus large, on doit noter que si la Syrie et l’Irak sont à feu et à sang, et terres de djihad, le Liban est sous contrôle du Hezbollah, l’Iran ne cesse de se renforcer depuis que les sanctions ont été levées grâce aux bons offices d’Obama et depuis que les projets de frappes israéliennes contre les installations nucléaires du régime ont été déjouées grâce aux bons offices du même personnage. On doit noter que l’Afghanistan est en train de repasser aux mains des talibans dont Obama vient de relâcher cinq dirigeants importants, enfermés jusque là à Guantanamo (en échange d’un déserteur américain qui a rejoint les talibans : je reviendrai sur le sujet). On doit noter que Kadhafi est tombé sous les coups de l’Occident, coupable d’avoir coopéré avec ce dernier, et que la Libye est devenue base arrière de divers groupes djihadistes, tout en ayant été l’arsenal où se sont fournis en armes d’autres groupes djihadistes, actifs au Mali, en Centrafrique, au Nigeria, au Yemen. On doit noter que si le maréchal Sissi devenu Président essaie de redresser l’Egypte, celle-ci est largement en ruines. On doit noter que le Hamas a désormais en main les clés de l’Autorité Palestinienne, avec l’assentiment des dirigeants européens et de l’administration Obama.

Quand j’ai publié un livre en lui donnant pour titre « le désastre Obama* », il m’arrive de songer que j’étais très en dessous de la réalité. Ce que laissera Obama sera bien davantage qu’un désastre.

Mais on continuera à dire en France que tout cela, c’est de la faute de George Walker Bush, que Chirac et Villepin ont été de grands hommes, et autres monstrueuses inepties. On continuera à s’aveugler sur les relations de cause à effet et à reconstruire les faits. On reconstruira les faits, sans doute, jusqu’au moment où l’Europe sera elle-même terre de djihad et où la soumission préventive ne suffira pas. Je continue à trouver que la célèbre phrase de Winston Churchill peut s’appliquer à notre époque : « Vous avez choisi le déshonneur pour ne pas avoir la guerre : vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ». Le mot « déshonneur » est un peu faible pour décrire ce qui se passe, certes. L’expression « aveuglement volontaire » est un peu faible aussi.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Guy Millière pour Dreuz.info.

PS. J’ai laissé de côté ici l’US Iraq Status of Forces Agreement signé sous Bush, et qui prévoyait, sauf renégociation, la fin de la présence militaire américaine en Irak à la fin de 2011. L’US Iraq Status of Forces Agreement est utilisé comme prétexte par des sophistes pour justifier le retrait décidé par Obama. Ces sophistes oublient délibérément que le texte prévoyait renégociation possible, que le gouvernement irakien voulait cette renégociation et le maintien de troupes américaines (ce qu’a refusé Obama), et que c’est lorsque le refus d’Obama a pris forme que le gouvernement irakien a dit que tout soldat américain encore présent sur le sol irakien après le 31 décembre 2011 serait considéré comme ne bénéficiant d’aucune immunité.

Le rapport Duelfer cité plus haut est disponible en ligne : gpo.gov/DUELFERREPORT/

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