Publié par Gilles William Goldnadel le 26 août 2014

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Benjamin Biolay a essuyé une vague de critiques en déclarant sur Twitter que le soutien aux Kurdes était «juste une mode». Malgré les excuses du chanteur, Gilles-William Goldnadel s’insurge contre l’indignation sélective des artistes de gauche.

Un des tweets du chanteur Benjamin Biolay, qui ont causé la polémique.

Insoutenable légèreté de l’être artistique contemporain

Cette semaine, je voudrais rendre grâce à Benjamin Biolay. Sa dernière sortie, qui a déclenché tant de commentaires affligés ou ironiques, me permettra d’esquisser quelques gammes et variations autour de l’insoutenable légèreté de l’être artistique contemporain.

Rappel des faits à ceux de mes lecteurs qui avaient certes mieux à faire en cette fin d’été que de prendre connaissance sur Twitter des derniers gazouillis de cet artiste bien à gauche: le 22 aout celui-ci invectivait des «pseudo-patriotes» favorables aux livraisons d’armes aux Kurdes pour sauver les chrétiens d’Irak en précisant: «que leur dénonciation de crimes contre l’humanité était une mode … et qu’ils étaient juste pathologiquement islamophobes.»

À dire le vrai, et sur le coup de l’irritation, mon premier réflexe aura consisté à ranger cette pensée profonde dans le magasin des accessoires, costumes, et autres colifichets que les artistes de la gauche française (pardon pour le pléonasme) nous servent en permanence.

Je ne compte plus les articles que j’ai cru devoir consacrer aux fadaises, billevesées et coquecigrues de nos histrions incontinents. Quand ce n’est pas Bedos qui traite impunément de salope une femme politique, c’est Bertrand Cantat qui apporte sa caution morale à un José Bové, ravi dans son village.

Quand ce n’est pas Marion Cotillard qui refuse de croire au 11 septembre 2011, c’est Yannick Noah qui menace de quitter une France déjà quittée, en cas d’élection démocratique contraire à ses désirs.

Quand ce n’est pas Torreton qui couvre de fange Depardieu, c’est Olivier Py qui menace de saborder Avignon en cas de victoire du Front National, ce que les intermittents du spectacle, ont fait bien mieux que lui.

Bien sûr, l’ironie avec laquelle je manie le bâton relève également de la comédie, car le sujet mériterait davantage de sérieux, tant il relève de la tragédie.

Une suffisance morale qui n’a d’égale que son insuffisance intellectuelle

Voilà en effet des lustres, qu’une caste de privilégiés, coupée des réalités, vivant dans et par le virtuel, d’une suffisance morale qui n’a d’égale que son insuffisance intellectuelle, a réussi à modeler de jeunes cerveaux malléables. Ils l’ont fait avec l’assistance empressée de médias faussement rebelles et authentiquement conformistes. Ils l’ont fait en profitant de l’emprise qu’ils exercent sur des esprits ouverts parce qu’empathiques et admiratifs. Un juriste politique chagrin appellerait cela abus de faiblesse, de confiance ou de fausse qualité.

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[column col=”1/4″]Ils ont fait croire que la générosité, l’intelligence, la modernité et la tolérance habitaient toutes à gauche et qu’il n’y avait pas d’autre salut moral que d’y demeurer. Et ils se sont trompés sur tout.[/column]

Ils l’ont fait dans tous les domaines. Ils ont fait croire qu’ils étaient prêts à accueillir tous les sans-papiers du monde dans leurs dix pièces cuisine. Ils ont fait croire que l’immigration était une chance merveilleuse pour la France. Ils ont fait croire que l’armée et la police ne servaient qu’à opprimer jeunes et étrangers. Ils ont fait croire que les minorités ethniques ou sexuelles, forcément opprimées, avaient toujours raison. Ils ont fait croire que les substances illicites étaient légitimes. Ils ont fait croire que la France était un pays de beaufs racistes et que les immigrés y étaient maltraités. Ils ont fait croire que la famille était un concept médiocre et dépassé. Ils ont fait croire que la générosité, l’intelligence, la modernité et la tolérance habitaient toutes à gauche et qu’il n’y avait pas d’autre salut moral que d’y demeurer. Et ils se sont trompés sur tout.

Ils ont fait croire aux jeunes artistes qu’il n’y avait pas de salut professionnel pour ceux qui oseraient habiter ailleurs. Et ils avaient raison.

Ayant à nouveau tout cela à l’esprit, je me suis repris et plaiderai donc l’indulgence pour Benjamin Biolay. Après tout, nous sommes plus dans un cadre réflexe pavlovien que dans la réflexion.

Vous avez dit livraison d’armes ? Voilà 30 ans que le pacifisme bêlant domine en maître la non -pensée artistique française. Prononcez les mots «paix, désarmement, déserteur» et nos artistes japperont. Dites «guerre, militaire, frontière, soldat casqué» et ils auront la bave aux lèvres.

Vous avez dit kurde ? Mais pourquoi voulez-vous que M. Benjamin Biolay ressente quelque considération pour un peuple kurde que le monde entier a oublié et trahi depuis un siècle ?

Qu’un peuple arabe du Proche-Orient qui menace de destruction l’État voisin se voit accordé le droit à un état, c’est l’évidence réflexe indiscutable. Mais que le peuple kurde, non arabe, pacifique, ait droit à son état en terre d’Orient, voilà qui est nouveau pour ceux qu’on a forcés à croire que cette terre ne pouvait être qu’arabe et d’islam.

Au demeurant, pourquoi morigéner un artiste de variétés, quand un journal du soir qui se veut sérieux et intelligent, lui aussi écrit le 18 aout dans un éditorial, ses réticences à armer les kurdes, sous le prétexte imparable que cela déplairait aux Allemands et aux Turcs d’Allemagne ?

Vous avez dit chrétiens d’Orient ? Mais qui s’intéressait à leur souffrance il y a encore un an ?

Aux coptes d’Égypte ? Aux massacres du Soudan, du Nigéria ou de Syrie ?

Vous avez dit terrorisme islamiste ? Mais le monde commence seulement à le découvrir vraiment dans son ampleur.

Le journal éponyme vient de consacrer un éditorial au supplice infligé au malheureux James Foley, authentique martyr, lui, de l’abjection fanatique. Lorsque son confrère Daniel Pearl fut assassiné dans les mêmes conditions, il n’eut certainement pas droit ni à la même attention, ni au même hommage.

Jusqu’à présent, dans l’inconscient collectif médiatique européen, le terroriste islamiste, certes décrié politiquement, n’est pas foncièrement détesté «épidermiquement, tripalement», comme l’est encore la figure honnie du militariste raciste occidental.

Pas de défilés monstres contre les monstruosités avec Guy Bedos, Duflot et Besancenot, pas de «génération Mossoul» en keffieh, pas de protestation massive de la communauté musulmane passive.

Voilà pourquoi, le 3 octobre 2012, je fus contraint de prendre la plume pour ferrailler contre ceux, nombreux en France médiatique, qui s’étranglaient d’indignation à la vue d’affiches placardées dans le métro new-yorkais qui osaient qualifier les djihadistes de «sauvages»…

Lévi-Strauss, qui en savait un rayon sur la radicalité islamique, aurait considéré à juste titre l’épithète offensant pour les authentiques sauvages qu’il connaissait aussi.

Qui voudrait que dans ce contexte d’ignorance, de sottise, de matraquage idéologique, et de terreur intellectuelle trentenaires, je tienne finalement mauvaise rigueur à un enfant du siècle, élevé au lait de l’antiracisme de pacotille, de prendre les ennemis des djihadistes pour des «islamophobes» ?

La punition est déjà bien sévère. Il fut un temps où de telles déclarations étaient prises au sérieux.

Aujourd’hui elles déclenchent le fou rire ou la sidération.

Il va devenir difficile d’être artiste et de gauche, sans être comique.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro.

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