Publié par Hervé Roubaix le 21 octobre 2014

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Lorsque Concetta Antico regarde la feuille d’un arbre, elle voit beaucoup d’autres couleurs que le vert. “Autour du bord, je vois de l’orange, du rouge ou du pourpre dans l’ombre. Vous voyez peut-être du vert foncé, mais je vois aussi du violet, du turquoise et du bleu,” explique Concetta Antico. “C’est comme une mosaïque de couleurs.”

Antico ne voit pas ces couleurs parce qu’elle est peintre. Elle possède une caractéristique unique, elle est tetrachromate, ce qui veut dire qu’elle a plus de récepteurs dans les yeux pour absorber les couleurs.

Des structures en forme de cones, dans nos yeux, absorbent les différentes longueurs d’onde de couleur et les transmettent à notre cerveau. Une personne normale en a trois, ce qui nous permet de voir environ 1 million de couleurs.

Antico possède quatre cones, ses yeux perçoivent donc environ 100 millions de nuances de couleurs que nous ne voyons pas. “Je suis choquée par le très petit nombre de couleurs que les gens voient,” explique-t-elle.

Bien que les tetrachromates ont plus de récepteurs dans les yeux, leur cerveau, lui, est programmé de la même façon que tout le monde. La question était donc de comprendre comment le cerveau de Concetta Antico s’est adapté pour voir plus de couleurs.

Les chercheurs savent depuis des années que la tetrachromacie existe chez certaines êtres humains. Mais seulement sur des femmes. Et ce, en raison des gènes qui contrôlent la vision des couleurs.

Les gens qui ont une vision normale des couleurs ont trois cones, réglés sur la longueur d’onde rouge, verte et bleue. Ces cones sont connectés au chromosome X. L’homme en a un, mais la femme en a deux.

Des mutations du chromosome X permettent à une personne de voir plus ou moins de couleurs, ce qui explique pourquoi les hommes sont plus fréquemment daltoniens de naissance que les femmes.

En 2012, des scientifiques ont confirmé que Concetta Antico possède bien quatre cones. 1% de la population du monde possèderait cette caractéristique tetrachromatique, mais il n’est pas facile de le démontrer empiriquement.

“La différence entre la dimension des couleurs perçues par un tetrachromate et une personne avec une vision normale n’est pas aussi importante qu’entre un daltonien et une personne normale,” explique Kimberly Jameson, une experte en science cognitive de l’institut des sciences mathématiques et du comportement de l’université d’Irvine, en Californie. Avec sa collègue Alissa Winkler de l’université de Reno au Nevada, elle a étudié Antico pendant une année pour mieux comprendre la tetrachromacie. Les différences de perception, concluait Jameson, ne sont pas faciles à détecter car elles sont faibles, cependant les tests que nous utilisons ne sont pas destinés à détecter plus de trois pigments, le rouge le vert et le bleu.

Sur la base des gènes de Concetta Antico, Jameson a déterminé que ses quatre cones absorbent des longueurs d’onde qui sont “plutôt rouge, orangées et jaune”, mais ce qu’elle voit est encore aujourd’hui incertain pour nous, ajoute Jameson. Comme les tests ne sont pas calibrés pour cette longueur d’onde, la démonstration empirique de la tetrachromacie est vraiment encore difficile.

Jameson et Winkler sont à la recherche d’autres personnes tetrachromates afin de mieux comprendre comment fonctionne leur cerveau.

De plus, Jameson est maintenant fascinée par la façon dont certaines personnes, dont la vision du monde varie tellement de la norme, peuvent communiquer des concepts et des formes. “Si vous avez un cone supplémentaire dans la rétine, cela complique énormément la façon dont le signal se forme et quitte la rétine. Nous voulons comprendre ce qui se produit,” dit-elle.

Cela a sans doute à voir avec les réseaux du cerveau eux-mêmes, lorsqu’ils reçoivent certains signaux durant un certain temps, ce qu’on appelle la neuroplasticité.

De nombreuses études sur la neuroplasticité chez l’animal et sur certaines humains ont montré que deux individus avec les mêmes capacités visuelles peuvent avoir une vision fortement différente plus tard dans leur vie, simplement en raison des couleurs auxquelles ils ont été exposés précédemment.

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Les chercheurs en sont toujours à se demander pourquoi. “Une possibilité est que notre système apprend à utiliser ces signaux, et que les réseaux créent leur propre code de façon à être utilisés dans le cortex,” explique Jameson.

Donc même s’il existe d’autres tetrachromates, il n’est pas certain qu’ils aient tous une perception des couleurs exceptionnelle s’ils n’ont pas entrainé leur cerveau à y faire attention. Antico, en revanche, est une exception rare.

“Je n’étais pas comme les autres filles de 5 ans — Je peignais à l’âge de 7 ans, j’étais fascinée par les couleurs,” explique-t-elle. Pendant des années, elle a été exposée à des couleurs exceptionnelles, donc son cerveau a progressivement été entrainé et “câblé” pour tirer avantage de sa tetrachromacie.

Ma fille est daltonienne à cause de moi parce que je suis une mutante

Antico est devenue intéressée à titre personnel par la recherche sur la tetrachromacie. Il y a cinq ans, quand sa fille avait 7 ans, elle apprit que sa fille était daltonienne. “Je n’ai pas pensé que cela avait un rapport avec moi, mais en fait, elle est daltonienne à cause de moi, parce que je suis une mutante,” explique Antico.

Mieux elle aidera les scientifiques à comprendre la tetrachromacie, se dit-elle, mieux elle pourra aider des personnes dans le même cas que sa fille. “Si nous arrivons à comprendre le potentiel génétique de la tetrachromacie et comment sa perception diffère, nous pourrons comprendre des choses sur le processus de perception des couleurs qui nous sont inconnues,” ajoute Jameson.

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Antico participe déjà au processus : elle enseigne la peinture depuis 20 ans, et elle a eu plusieurs étudiants daltoniens.

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“Une des choses que j’ai constaté en regardant les travaux de ses élèves, c’est qu’ils ont une bonne appréciation des couleurs, contrairement aux autres daltoniens que j’ai observé,” explique Jameson. “Il est très possible qu’ayant été exposée aux différentes couleurs depuis un très jeune âge, [Antico] a acquis une certaine compréhension qui lui a permis d’articuler la façon de les aider à arriver à ça.”

Cette hypothèse a également besoin d’être démontrée empiriquement, bien entendu, mais Jameson est attirée par l’idée qu’il puisse être possible d’améliorer la perception qu’ont les gens des couleurs au moyen de la neuroplasticité.

A part aider les chercheurs à mieux comprendre la tetrachromacie, Antico espère ouvrir une école d’art pour les daltoniens, et créer une plateforme internet destinée à aider des femmes à découvrir si elles sont tetrachromatiques. “Je veux être sure, avant de mourir, de pouvoir définir le tetrachromatisme,” explique Antico. “Il doit certainement y avoir d’autres tetrachromates sur terre. Je peux peut-être aider à les découvrir.”

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Hervé Roubaix pour Dreuz.info.

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