J’ai connu Georges Wolinski en 1976 ou 1977 je ne sais plus bien.
Je venais de mettre fin à mes étude de droit parce qu’on ne voulait pas trop de juifs dans la profession de commissaire priseur, et j’avais ouvert un minuscule magasin de Hi-fi, au 59 rue du Cardinal Lemoine à Paris, Hifissimo.
Mon ami et peintre Aldo di Malo, de son vrai nom Aldo Benbaron, était le cousin de Wolinski. Ce sont les parents d’Aldo qui ont élevé Wolinski à Tunis.
Wolinski voulait s’acheter une stéréo et Aldo lui a conseillé de venir me voir. Moi 23 ans dans mes amplis et lui dans ses dessins.
Il m’a écouté, m’a regardé, a acheté sa chaîne et m’a dit : “tu devrais venir écrire pour moi”.
Qu’est ce qui lui passe par la tête ? Je n’ai jamais écrit une ligne de ma vie !
C’est comme ça que je suis entré à Charlie Mensuel et que Georges Wolinski est devenu mon patron. Un gentil patron.
Il y avait une réunion de rédaction toutes les semaines, le lundi je crois, chez Hara Kiri rue des trois portes dans le 5e, et Wolinski me demandait d’y assister. Après mon premier article, j’ai reçu de nombreuses lettres de lecteurs, je me souviens Wolinski au bout de la longue table qui lève fièrement le paquet de lettres au dessus de sa tête et qui me lance quelque chose comme : “je m’étais pas trompé hein, je savais que tu serais bon !”
Wolinski était un patron généreux et distrait.
Au bout de deux mois, il ne m’avait toujours pas payé. Moi j’attendais. Quand j’ai fini par lui en parler, il a rigolé, et il a tout de suite sorti son chéquier et il m’a fait un gros chèque.
Je me souviens de mon premier chèque car j’étais payé à la page, et pour calculer ce qu’il me devait, Wolinski a compté les pages de mes articles en incluant les dessins qui les illustraient, et qui prenaient quelques fois la moitié de la page. Ca gonflait mon salaire, je trouvais ça limite anormal, mais j’étais bien content…
Je suis allé chez lui plusieurs fois rue Bonaparte. Il plaisantait tout le temps. Un jour il m’a offert des dessins pour Hifissimo. Il m’a dit : “je te fais pas une fille à poil, sinon Maryse va faire la gueule, elle aime pas, quand je dessine des filles à poil”, et il a rigolé.
Il ne parlait pas de politique à cette époque, en tous cas pas avec moi. Il dessinait des trucs pendant qu’on discutait, se marrait de ses dessins, comme nous de nos bons mots, et me les montrait en rigolant.
Je suis resté – de mémoire – moins d’un an à Charlie mensuel.
Ca tournait en rond de mon point de vue et j’avais l’esprit trop critique. C’était des vieux potaches qui se fendaient la gueule et déconnaient, mais je les trouvais finalement très prévisibles, très conformistes, c’était toujours un peu les mêmes vannes graveleuses que je n’appréciais déjà pas quand j’étais ado. Ils s’amusaient bien. Moi moins. J’étais bien plus intéressé à découper leurs idées en rondelles qu’à les avaler.
J’ai perdu un autre ami, lui aussi emporté par la barbarie. Noïck Chaussebourg. Il a été décapité par des sauvages en Afrique. Noïck était très proche de Jacques Rocher, un des fils Yves Rocher. Je l’ai perdu de vue lui aussi, mais c’était un bon copain. On faisait du moto cross à Ibiza tous ensemble dans les années 80.
Deux pertes par la barbarie, ça fait beaucoup.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.
Cher M. Grumberg, ça réchauffe de constater que la fidélité n’est pas morte pour tout le monde, même lorsque tout fout le camp par ailleurs.
Merci pour ce témoignage Mr Grumberg.
“Deux pertes par la barbarie, ça fait beaucoup.”
Je suis désolé, et oui ça fait beaucoup, beaucoup trop.
@Greg
Trop est le mot juste. Cette affaire semble faire déborder le vase. Que font les Autorités Publiques face à des massacres de la population à l’arme de guerre? J’ai l’impression que les Français prennent conscience qu’ils devront ne compter que sur eux-mêmes pour défendre leur peau. Est-ce que je me trompe?
Merci M. Grumberg pour ce partage. Toute notre amitié pour ces moments douloureux. François et Jackie
Merci Jean Patrick pour ce temoignage emouvant.
On ne dit pas « Patron de la pâtisserie Chez les nègres », on dit « Patron de la pâtisserie Personnes de couleur ».
J’ai longtemps lu Charlie mensuel, qui n’avait pas grand chose à voir avec l’hebdo, à part Wolinski. Je me souviens de Guido Buzzeli, Guido Crepax… C’était magnifique.
Wolinski ne fut pas un grand dessinateur, mais fut un grand découvreur de talents.