Publié par Abbé Alain René Arbez le 21 mars 2015

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A l’heure des grands débats et engagements œcuméniques, le culte marial constitue encore un obstacle pour un grand nombre de chrétiens non catholiques. Il est un fait incontestable qu’au cours des siècles, la figure de la Vierge Marie s’est chargée de fonctions qu’elle n’avait pas lors de la proclamation de son statut de Theotokos au Concile d’Ephèse (431).

Toutefois, les protestants qui ont de la considération pour Marie sont plus nombreux qu’on ne l’imagine; ils la respectent comme mère du Sauveur et comme modèle évangélique de vie spirituelle.

Ce qui peut faire problème pour tout chrétien authentique, c’est une mariologie exacerbée et un culte marial déconnectés de l’Ecriture Sainte, car cela traduit un manque évident d’enracinement biblique.

Le culte marial de la dévotion populaire, avec ses apparitions privées et ses messages au contenu discutable, peut en effet donner l’impression d’une excroissance idolâtrique.

Il s’agit donc de clarifier le dilemme et d’en discerner les enjeux spirituels. Rappelons avant tout que la Révélation est close à la mort du dernier apôtre, et que tout message prétendu surnaturel n’a aucun droit à entrer en concurrence avec le dépôt de la foi officiel de l’Eglise apostolique.

Il y a effectivement problème lorsque la dévotion mariale prétend mettre Marie au cœur de la foi et usurper ainsi la place du Christ. Dans certains sanctuaires, la mise en valeur inadéquate de statues de la Vierge, souvent de mauvais goût, entretient ce sentiment de déviation magique dans la piété.

Il y a donc problème lorsqu’il y a excès de langage et débordement dans la vénération mariale. Certains « prient » Marie comme on prie Dieu, ce qui constitue en effet une offense à la transcendance de Dieu.

Dieu seul est source de vie et de grâce. Marie est là pour conduire au Christ qui lui-même s’efface devant le Père.

On peut légitimement demander à Marie d’intercéder, on peut sincèrement l’invoquer. Le Je vous salue Marie ne lui dit-il pas : « prie pour nous… » ? Mais au sens strictement évangélique, on ne prie que Dieu seul, par le Christ et dans l’Esprit.

En effet, Marie est celle qui intercède pour nous et nous guide vers le Fils. Or, certains chrétiens demandent à Marie de jouer un rôle étranger au sien : ils attendent d’elle qu’elle fasse pression sur son fils afin d’obtenir de lui des faveurs qu’il n’aurait pas envisagé de nous accorder…Cette attitude résulte d’une conception païenne de Dieu. Car si Jésus Christ est son Fils unique, il n’est pas nécessaire d’avoir d’autre médiateur que lui auprès du Père. Ainsi, Marie n’est pas une co-rédemptrice venant réparer les insuffisances de son fils, elle est la « fille d’Israël » qui a donné naissance au Rédempteur et l’a accompagné discrètement jusqu’au don total de lui-même.

Luther honorait la Vierge Marie dès lors qu’il réagissait à juste titre contre les abus du culte marial. Dans son commentaire du Magnificat, le Réformateur montre qu’il s’en prend non pas à la légitime vénération de Marie, mais aux excès et aux déviations. Le pape Paul VI réactualise le même débat en 1974, dans son exhortation apostolique « Marialis cultus » :

« La volonté de l’Eglise catholique, sans atténuer le caractère propre du culte marial, est d’éviter avec soin toute exagération susceptible d’induire en erreur les autres frères chrétiens sur la doctrine authentique de l’Eglise ».

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Pourquoi invoquer Marie ?

Si le 4ème évangile nous présente avec insistance Jésus comme « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14.6) expression habituellement dédiée à la Thora, pourquoi se tourner vers Marie ? Les Ecritures sont en effet d’une étonnante discrétion sur la Vierge Marie. En revanche dans certaines « apparitions » privées, la Vierge est terriblement loquace, trop, même. Or, on voit bien que dans l’enseignement de Jésus ou des apôtres, son rôle est clairement mis en retrait. Jésus a voulu confier sa mère non pas à tous ses disciples mais à un seul. (Jn19.25).

Si l’on se fie au seul texte évangélique, le chrétien n’est pas invité à donner à Marie une fonction particulière dans la prière.

Mais le rôle de Marie n’est pas sans doute pas à comprendre à côté ou en plus du Christ. Tout disciple est appelé à faire les mêmes œuvres que le Christ (Jn 14.12) Si nous sommes membres du Christ (1 Cor 12.12), il nous associe à son œuvre de salut, nous sommes ses collaborateurs. Nous sommes de ce fait appelés à être pères ou mères spirituellement pour nos frères, en les « engendrant dans le Christ » (1 Cor 4.15). « Celui ou celle qui fait la volonté de mon Père est ma mère, mon frère, ma soeur… »

Cette maternité spirituelle s’applique tout spécialement à Marie : l’évangile la présente debout au pied de la croix (Jn 19.25), elle s’associe à la passion de son fils et collabore de tout son être à son œuvre de salut. A la manière de l’Eglise dans l’apocalypse, elle est la « femme dans les douleurs de l’enfantement » (Apoc 12.1). Comme Paul, elle complète en sa chair ce qui manque aux épreuves du Christ ; volontairement en communion avec lui dans sa Pâque, elle est mère de l’Eglise et des croyants qui cheminent vers la Jérusalem céleste. Un targoum présentait déjà Jérusalem comme « matrice, ou mère de Dieu ».

Il est clair qu’une piété mariale friande de merveilleux et échafaudée sur des substituts théologiques éloignerait de la foi au vrai Dieu ; tandis qu’une dévotion mariale éclairée, fondée sur la spiritualité évangélique et biblique fortifie la foi et rapproche ainsi du Dieu d’Abraham, de Moïse et des prophètes d’Israël, dont Jésus récapitule l’alliance dans sa personne. Marie peut être l’accompagnatrice, la facilitatrice maternelle dont nous bénéficierons sur ce chemin de la foi.

Myriam, fille d’Israël

Pour rendre à Marie la place qui lui revient dans notre spiritualité, il faut reprendre conscience de son enracinement dans les saintes Ecritures d’Israël.

La réflexion théologique sur Marie, mère du Christ et mère de l’Eglise n’est pas un en-soi : elle est à situer à l’intérieur de la christologie, elle-même issue de l’histoire biblique du salut exprimée dans l’aventure du peuple d’Israël.

Marie ne correspond évidemment pas à la quasi divinité imaginée par le Coran (qui voit en elle la troisième personne de la trinité des chrétiens !). Marie est humaine, c’est une jeune femme juive membre du peuple choisi et elle nous dit que tout lui vient de Dieu.

Fille de Sion, Marie réalise en elle la destinée du Peuple de Dieu, provisoirement divisé entre Israël et Eglise des nations.

Marie connaît l’histoire de son peuple. Ses parents, Anne et Joachim, lui ont donné le nom de la sœur de Moïse et ils l’ont instruite dans la spiritualité des « anawim », les pauvres de Yahvé. Marie s’inscrit dans la lignée des Matriarches d’Israël : Sara, Rébecca, Rachel et Léa. Chacune d’elle contribue à l’enfantement providentiel du fils de la promesse.

Sara mère du peuple élu. « Abraham, écoute la voix de Sara, la voix de l’Esprit en elle » (1 S 15.1).

Pierre, dans sa 1ère épître, en fait la mère des croyants.

Rebecca « vierge, aucun homme ne l’ayant approchée » (Gn 24.16).

Rachel bénie parce qu’elle a nourri Joseph de son sein (Gn 49.25). On en retrouve l’écho en Lc 11.27 : « Heureuses les entrailles qui t’ont porté et le sein que tu as tété ».

Léa dont le dernier fils, Juda, (Yehouda) porte un nom qui signifie louange de Dieu, et en raison de quoi elle n’engendra plus après lui. L’écrivain juif Philon d’Alexandrie en donne un commentaire applicable tel quel à Marie, mère de Jésus « sa matrice avait terminé son œuvre puisqu’en elle avait fleuri le fruit parfait ».

D’autres mères citées dans la Bible hébraïque nous parlent encore de Marie.

Yokeved (gloire de Dieu) mère de Moïse le libérateur. Reprise comme épouse par son mari Amram qui voulait la délaisser par désespoir, elle est revirginisée.

La femme de Manoah, mère de Samson : « L’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; ce garçon sera consacré à Dieu dès le sein maternel et c’est lui qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins ». (Jg 13.5) Totale confiance en la parole agissante de Dieu.

Anne mère de Samuel. Après avoir connu la souffrance de la stérilité, elle chante une action de grâces à la suite de la naissance d’un fils (2 S 16.10). « Quant au petit Samuel, il grandissait en taille et en beauté devant Dieu et devant les hommes ». (1 S 2.26) Luc utilisera la même expression pour Jésus.

(Lc 2.52) La mère des jeunes Maccabîm qui assiste au martyre des ses 7 fils, en les soutenant jusqu’au bout dans leur choix de rester fidèles au vrai Dieu (2 Ma 7.27) malgré la persécution d’Antiochus Epiphane.

D’autres femmes de la Bible hébraïque reçoivent le titre de prophétesse. Elles font preuve de responsabilité en accueillant l’appel de Dieu et en chantant sa louange dans des situations difficiles. Marie possède en elle les caractères de ces ancêtres féminins ayant marqué l’histoire de son peuple.

Myriam sœur de Moïse, courage et résistance. Lors du passage de la mer des Roseaux (Ex 15.20), elle célèbre le Dieu libérateur en prenant le tambourin et en chantant le salut de Dieu.

Déborah prophétesse résistante contre l’envahisseur philistin (Jg 4.4), victorieuse malgré le découragement des hommes. Son cantique chante le Dieu unique (Jg 5.1) et l’espérance quoi qu’il arrive.

Ruth étrangère mariée à Booz, qui reconnaît dans le Dieu de son époux le seul vrai Dieu. « Où tu iras, j’irai. Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu mon Dieu. » (Rt 1.16).

Ruth et Booz symbolisent par leur union celle de Dieu avec son peuple Israël. « Etends l’aile de ton manteau sur ta servante » (Rt3.9). L’aile qui s’étend est le symbole des épousailles. Lorsque Jésus prie au temple, il s’enveloppe du tallit, châle de prière qui représente l’union de Dieu avec son peuple.

A l’annonciation, l’ange avait dit à Marie : « Le Très-Haut te prendra sous son ombre » (Lc 1.35).

Judith femme juive intelligente et belle, s’imposant des exigences pour vivre selon la loi de Dieu, est confrontée à Holopherne, incarnation des puissances du mal, et elle le tue pour sauver les siens. Son cantique d’action de grâces (Jdt 16.1) est repris dans la liturgie de la Vierge Marie.

Esther résistante face à l’hostilité antijuive, parvient courageusement à éviter l’extermination des siens en prenant des risques et en tuant Amman, mandaté par le roi perse Xerxès.

Dans son cantique du magnificat, on peut dire que Marie reprend et résume tous les cantiques de ces femmes d’Israël. Avec Anne, mère de Samuel, elle chante les bienfaits de Dieu pour le peuple de la promesse.

« Saint est son Nom ! » (Lc 1.48). Barukh Ha Shem !

Jean a reçu de Jésus Marie pour mère. Nous pouvons aussi l’accueillir dans notre demeure intérieure : afin qu’elle nous suggère comment vivre dans la bénédiction de Dieu et nous attacher à la Parole vivante de Dieu.

N’oublions pas que lorsque Marie est saluée par l’ange, Gabriel ne lui dit pas « Shalom ! ». Il lui dit : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ». Ce qui rappelle pratiquement les mots du prophète Sophonie :

« Simhi, Bath Tsion, melekh Israel Adonai beqirbekh », c’est-à-dire : « Réjouis-toi, Fille de Sion, le Seigneur est en toi » (So 3.14).

Marie est saluée comme la Fille de Sion, cœur du peuple d’Israël. Mystère de l’alliance qui prend chair et se poursuit. Car Marie nous conduit à intérioriser cette histoire sainte sur laquelle nous sommes greffés par grâce et elle nous aide à rester conscients de notre enracinement toujours actuel dans la tradition vitale du peuple juif à qui Dieu ne reprendra jamais sa promesse.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez pour Dreuz.info.

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