Publié par Jean-Patrick Grumberg le 7 avril 2015

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Le projet de loi sur le renseignement arrive dans une semaine à l’Assemblée nationale. Il offre au gouvernement le pouvoir de censurer Internet – sans juge.

Commencera une nouvelle ère de l’arbitraire et de la reprise en main du contrôle de l’information, jusque là bien assuré, mais qui leur avait filé entre les doigts avec Internet.

Sarkozy l’avait voulu, Hollande l’a réalisé, Marine Le Pen, si elle devient présidente, ne l’abrogera pas, l’idéologie du FN étant plus dirigiste, moins libérale encore, que celle de l’UMP et du PS.

En apparence, la loi est destinée à alléger le travail des services de renseignements, lesquels sont dépassés, et ont failli, par manque de moyens, d’organisation et de formation, à prévenir les attentats islamistes mortels depuis Mohammed Merah à Toulouse et Montauban.

Ainsi, le Premier ministre, après avis (ou sans si urgence) de la nouvelle Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, peut faire fermer l’accès à des sites internet djihadistes et pédophiles, et court-circuiter la justice garante de la sauvegarde des libertées individuelles – dont le palmarès en la matière est aussi patent que le réchauffement climatique.

La dérive est évidente, et n’est pas même niée.

Bernard Cazeneuve, par exemple, veut déjà s’en servir pour contrôler, « prévenir », les potentiels actes violents « des groupes identitaires », mais surtout pas des groupes d’extrême gauche et des maffieux antifa.

Chantal Jouanno, sénatrice UDI et ancienne ministre, réclame de son coté dans un amendement, que la censure soit élargie aux sites de prostitution.

Le groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE, centriste) du Sénat, demande lui que la liberté d’expression, déjà peu reluisante, garantie par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, soit remise en question et encore restreinte.

Jacques Mézard sénateur PRG, exprime son hostilité à la liberté d’expression dont dispose le petit peuple : “Des réseaux sociaux comme Twitter défendent une conception radicalement libérale de la liberté d’expression.”

Et le sénateur UMP Pierre Charon, pour ne pas être en reste, déclare au Sénat, dans un message superficiel et déconnecté des réalités, qu’ “en 2015, internet offre au monde un autre visage, un espace sans foi ni loi”.

S’il lisait plus régulièrement la presse indépendante, c’est à dire en anglais et sur internet, Charon aurait constaté que c’est le monde, et non internet, qui offre un visage sans foi ni loi. Internet se contente d’en offrir un reflet plus réaliste et nuancé que les gros sabots de France 2 et les grosses ficelles usées du quotidien Le Monde.

Human Rights Watch, qui surveille l’évolution des Droits de l’homme dans le monde, a durement critiqué la France, en rappelant que le projet de loi confère “de vastes pouvoirs de surveillance électronique, [et] contrevient aux engagements internationaux de la France relatifs aux droits humains”.

HRW craint que “le texte risque de servir de modèle extrêmement néfaste pour d’autres pays”, et considère qu’il “devrait être reconsidéré et révisé, au lieu de faire l’objet d’un examen accéléré par le parlement”.

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Parmi les dangers du texte, HRW perçoit notamment :

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  • Les pouvoirs considérables accordés au Premier ministre pour autoriser la surveillance,
  • Les motifs de censure qui dépassent largement ceux reconnus par le droit international des droits humains,
  • Le manque de contrôle judiciaire effectif,
  • L’obligation pour les fournisseurs de services privés de contrôler et d’analyser les données des utilisateurs, et de dénoncer les comportements suspects,
  • Les longues périodes de conservation de certaines des données collectées,
  • Le manque de transparence vis-à-vis du public,
  • Les sept « intérêts publics » qui justifient la surveillance (dont « les intérêts économiques et scientifiques essentiels », la « politique étrangère », l’« exécution des engagements […] internationaux ») qui ne sont pas reconnus en droit international comme motifs valables pour porter atteinte aux droits fondamentaux,
  • Les critères retenus pour la surveillance qui peuvent être interprétés de façon très large pour justifier toutes sortes de contrôle de données.
  • « La très large portée de ce projet de loi contredit radicalement les obligations de la France aux termes du droit international des droits humains, et pourrait servir à légitimer légalement un État de surveillance », explique Dinah PoKempner.
  • L’inclusion de l’obligation pour les opérateurs d’installer des dispositifs secrets, non spécifiés, et fournis par l’État, pour surveiller les comportements suspects des internautes,
  • Le fait que la France forcera des entreprises privées à se comporter comme analystes de sécurité de substitution pour l’État, avec des conséquences désastreuses sur la confiance des consommateurs, les droits fondamentaux, la liberté d’expression et d’association,

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« Bien que l’objectif du projet de loi soit de raccrocher les pratiques de surveillance de la France au cadre du droit, c’est en réalité une extension massive des pouvoirs en matière de surveillance qui se drape dans le voile de la loi, » explique Dinah PoKempner, directrice juridique chez Human Rights Watch.

« La France se doit de faire mieux que ça, surtout si elle veut se distancier des pratiques de surveillance de masse abusives et secrètes des Etats-Unis et du Royaume-Uni, qui suscitent tant de contestations juridiques. »

[quote]« Les gouvernements les plus répressifs pourront remercier la France”[/quote]

Dinah PoKempner : « Les gouvernements les plus répressifs pourront remercier la France, qui créée un précédent juridique en forçant les plus grandes entreprises de l’Internet à contrôler non seulement les indices de “terrorisme”, mais aussi les indices d’une dissidence tout juste naissante, ou même d’une pensée indépendante. »

En conclusion, HRW dresse le tableau répressif d’inspiration soviétique de ce qui sera voté ce 13 avril:

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  • Le public ignorera le nombre de gens faisant l’objet d’un contrôle,
  • Il ignorera le type de cibles autorisé et la nature de celles-ci,
  • les motifs justifiant ce contrôle,
  • le moment où la surveillance a lieu et la façon dont elle s’exerce,
  • les types de matériaux collectés et conservés,
  • le nombre de fois où le gouvernement passe outre la procédure pour raison d’urgence.

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« Il est difficile de voir comment les personnes visées – que ce soit directement ou en raison d’associations dont elles ne sont pas conscientes, de l’endroit où elles sont, ou d’autres raisons – pourront savoir qu’elles ont fait l’objet d’un contrôle, et contester ces actes devant le Conseil d’État », précise Dinah PoKempner.

« Peu après les attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush a fait passer en force le Patriot Act, consacrant des pouvoirs que peu avaient compris, sans vrai débat ni examen juridique, » conclu Dinah PoKempner, et « le Premier ministre Manuel Valls prétend que le projet de loi français n’a rien à voir avec le Patriot Act”, pourtant, “autoriser une surveillance d’une telle portée nécessite une réflexion approfondie, plutôt qu’un passage précipité au Parlement. »

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

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