Publié par Abbé Alain René Arbez le 13 mai 2015

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Luc évoque l’Ascension de Jésus comme un fait qui survient 40 jours après la résurrection. Pourquoi 40 ? Ce n’est pas un hasard : le 40 est signe de victoire.

L’Ascension se passe 10 jours avant la Pentecôte, ce qui permet d’atteindre la cinquantaine pascale, la fête juive de Shavouôt.

Si nous comparons cette présentation de Luc avec celle de Jean, l’approche est tout autre! Chez Jean, on a une synthèse théologique élaborée à la fin du 1er siècle, et tout se passe en un seul jour: Pâques, Ascension, Pentecôte. Tout le mystère du Christ est donné comme un triptyque à trois facettes en révélation aux disciples. Qui dit vrai et qui s’écarte des faits? Les synoptiques ou le 4ème évangile ?

Cette dissemblance troublante dans la façon de présenter l’itinéraire de Jésus parmi nous nous montre bien que les récits ne sont pas là pour être pris au pied de la lettre, mais pour nous faire pressentir un mystère qui va bien au-delà d’une chronique scientifique des événements. Il faut également rejeter toute lecture fondamentaliste pour rechercher un sens spirituel qui s’inscrive dans le grand mouvement des textes bibliques eux-mêmes, avec toute leur richesse.

On sait que pour la Bible hébraïque, c’est Dieu qui est maître du temps et de l’histoire (Melekh Ha olam) et si nous prenons Ezékiel, un prophète de l’exil, aux ch. 9, 10, 11, on y voit la Gloire du Nom, Ha Shem, quitter le Temple de Jérusalem par la porte qui donne sur le Mont des Oliviers, et s’élever aux cieux au-delà de la Ville sainte. La Shekhina, la Présence, se manifeste où elle veut, jusqu’aux extrémités de la terre s’il le faut, là où le peuple de Dieu, les hommes souffrent en exil, exil d’eux-mêmes, et exil de la paix…

Pour Luc, il est donc sous-entendu que Jésus, reflet de la Gloire du Père, s’élève du Mont des Oliviers, et devient lui-même le nouveau Temple, la nouvelle demeure, au milieu de ses disciples remplis de son Esprit.

Pour comprendre la logique du récit des Actes des Apôtres décrivant l’Ascension de Jésus, il faut se référer à l’histoire du prophète Elie et de sa propre Ascension : c’est ce qui nous donne la clé d’interprétation du texte. Nous constatons que le matériau d’expression du Nouveau testament est constitué d’éléments essentiels du Premier testament, afin de montrer le credo chrétien comme une branche du judaïsme.

Lorsque Ha Shem, le Nom, enlève Elie au ciel, se pose le problème d’Elisée qui doit accepter la séparation d’avec son maître, comme les disciples vont devoir vivre la perte de vue de Jésus. Elisée peine à quitter Elie, qui est envoyé au Jourdain: or le Jourdain, c’est la porte d’entrée en Terre promise. Voici qu’Elie frappe les eaux avec son manteau, et les frères prophètes peuvent traverser à pied sec, comme dans l’Exode. C’est clairement une évocation de la Pâque. Elie demande à Elisée: que puis-je faire pour toi avant d’être enlevé? Elisée répond: que me revienne une double part de ton esprit! Elie répond: si tu me vois pendant que je serai enlevé, alors cela arrivera…

La transmission d’esprit a lieu: Elisée le disciple regarde Elie le maître qui lui est enlevé. Luc répète exactement le même scénario : les disciples regardent Jésus qui leur est enlevé, et ils reçoivent l’héritage de l’Esprit saint!

Quand Elie monte aux cieux, le feu est présent, signe de l’Alliance dans l’Exode, quand Jésus disparaît aux cieux, la nuée est là comme lors de la révélation au désert. Le Fils est exalté, il partage la seigneurie de Dieu à la « droite » duquel il est assis…

On voit bien que les structures de récits se recoupent : passage, transmission d’Esprit, renouvellement de l’unique alliance entre Dieu et son peuple.

Par ailleurs, il faut insister ici sur la figure d’Elie qui a joué un rôle très important à l’époque de Jésus, puisqu’on attendait de le reconnaître pour décrypter l’imminence des temps messianiques. Précisément, lorsque Jésus célèbre le rituel de la Pâque juive avec ses amis, instituant la Sainte Cène, il y a sur la table une 5ème coupe de vin réservée au prophète Elie dont on attendait le retour. Les 4 premières coupes ont été bues normalement durant le repas pascal. La 5ème, celle d’Elie annonciateur des temps nouveaux, est celle que – exceptionnellement – Jésus boit et partage en fin de repas avec ses disciples. « Voici la coupe de mon sang versé, sang de l’alliance ». Le message est très fort : les temps messianiques sont inaugurés, et il n’y a rien d’étonnant à ce que après sa résurrection, Jésus soit enlevé au ciel selon le même schéma biblique que le prophète Elie !

Comme dans le cas des prophètes des générations précédentes, l’esprit se transmettra des uns aux autres : la communauté des disciples de Jésus va communiquer ses convictions à d’autres croyants, qui les donnent à leur tour à d’autres, et ainsi de suite, en passant par les catacombes, le martyre sous les dents des fauves, la vie érémitique des pères du désert, les monastères, François d’Assise, la Réforme, les mystiques orthodoxes, le Concile Vatican II, le Conseil œcuménique, toutes ces séquences de la foi étant animées par le même souffle créatif à des époques différentes, dans des contextes différents. Mais chaque fois avec ce même désir de rendre gloire à ce Dieu Unique qui est le Dieu d’Abraham, de Moïse, des prophètes d’Israël, le Dieu de Jésus et des apôtres, des saints et des croyants ordinaires, des laïques et des baptisés consacrés à une tâche particulière.

C’est pour les chrétiens une invitation pressante à s’enraciner toujours davantage dans le terreau authentiquement biblique et hébraïque pour vivre la profondeur actuelle de l’alliance.

Ce Dieu de l’Alliance nous parle aujourd’hui de l’avenir de l’humanité, alors que l’horizon s’assombrit et que les barbares cherchent à imposer leurs images de mort. Nous sommes en tension entre le olam ha zè et le olam haba (monde présent et monde à venir) Sans la confiance en ce Dieu de justice et de paix, partagée par les juifs et les chrétiens, aucune éthique terrestre ne résistera aux pressions du monde ancien, et aux influences du mal.

Pâques-Ascension-Pentecôte nous demande de résister et de faire face avec détermination à tout ce qui bafoue la dignité humaine, car les préparatifs du Royaume de Dieu sont entre nos mains…

Abbé Alain René Arbez

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