Publié par Magali Marc le 16 août 2015

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Depuis que les Peshmerga ont repris Kirkouk à l’ÉI et que les YPG ont repris Kobané, les médias internationaux sont en admiration devant les forces kurdes, longtemps seules à s’opposer à l’ÉI en Irak et en Syrie. Doit-on se méfier de cet enthousiasme ?

Rappel historique

D’abord qui sont les Kurdes ?

Au VIIème siècle av. J.C., les Mèdes, ancêtres des Kurdes, fondent un empire qui en l’an 612 avant J.C. conquiert la puissante Assyrie et étend sa domination à tout l’Iran ainsi qu’à l’Anatolie centrale. Cette date de – 612 est d’ailleurs considérée par les Kurdes nationalistes comme le début de l’ère kurde.

Le règne politique des Mèdes s’achève vers le milieu du VIème siècle avant J.C., mais leur religion et leur civilisation dominent l’Iran jusqu’à l’époque d’Alexandre le Grand.
À partir de cette date et jusqu’à l’avènement de l’islam, le destin des Kurdes reste lié à celui des autres populations des empires qui se succèdent sur la scène iranienne: Séleucides, Parthes et Sassanides.

Après avoir opposé une résistance farouche aux invasions arabo-musulmanes, les Kurdes finissent par se rallier à l’islam, sans pour autant se laisser arabiser. Cette résistance s’étale sur près d’un siècle.

Arrivent les Turcs seldjoukides qui annexent une à une les principautés kurdes et vers 1150, créent la province du Kurdistan. Formée par le sultan turc, Sandjar, elle a pour capitale la ville Bahâr (c’est-à-dire le Printemps), près de l’antique Ecbatane, capitale des Mèdes.

En 1169, c’est l’avènement de la dynastie kurde des Ayyoubides (1169-1250), fondée par le fameux Saladin à l’occasion de la lutte contre les Croisés.

Yousouf Salah el-Din ( Joseph, Honneur de la Foi ) assume le leadership du monde musulman pendant près d’un siècle, jusqu’aux invasions turco-mongoles du XIIIème siècle.

La haute figure de Saladin et ses exploits face aux Croisés sont suffisamment connus en Europe. Son empire englobait, outre la quasi-totalité du Kurdistan, toute la Syrie, l’Egypte et le Yémen.

La reconquête de Jérusalem en 1187 fait son titre de gloire.

Arrivent les Ottomans qui depuis le XIe siècle ont conquis l’Anatolie au détriment de l’Empire byzantin.

Au début du XVIème siècle, les Ottomans veulent, mettre le holà aux visées expansionnistes du chah d’Iran et assurer leur frontière iranienne pour pouvoir se lancer dans la conquête des pays arabes.

Le pays kurde devient donc l’enjeu principal des rivalités entre les empires ottoman et perse.

Le nouveau chah de Perse qui a imposé le chiisme comme religion d’Etat en Iran cherche à le répandre dans les pays voisins.

Placés devant le choix d’être un jour ou l’autre annexés par la Perse ou d’accepter formellement la suprématie du sultan ottoman en échange d’une très large autonomie, les dirigeants kurdes optent pour cette seconde solution et ainsi le Kurdistan ou plus exactement ses innombrables fiefs et principautés entrent dans le giron ottoman par la voie de la diplomatie.

Protégés par la puissante barrière kurde face à l’Iran, les Ottomans peuvent concentrer leurs forces sur d’autres fronts.

Ce statut particulier fonctionne sans accroc majeur jusqu’au début du XIXème siècle à la satisfaction des Kurdes et des Ottomans.

La situation contemporaine

En 1918, l’Empire Ottoman est démantelé par les Alliés et les Kurdes de Turquie, d’Iran ou d’Irak sont abandonnés par Kemal et par les Européens.

En 1925, la Grande-Bretagne obtient du Conseil de la S.D.N. l’annexion des territoires kurdes à l’Irak placé sous son mandat. Une promesse d’autonomie pour les Kurdes ne sera jamais tenue ni par les Britanniques, ni par le régime irakien qui prend la succession de l’administration britannique en 1932.

Près de 40 millions de Kurdes – le plus grand groupe apatride dans le monde – vivent aujourd’hui dans le pays connu depuis le XIIème siècle sous le nom de “Kurdistan” qui se trouve partagé entre 4 Etats: Turquie, Iran, Irak et Syrie. Pour la première fois de leur longue histoire, les Kurdes sont privés de leur autonomie culturelle.

Ainsi le peuple kurde a été sans doute la population qui a souffert le plus du remodelage de la carte du Proche-Orient par les Européens.

De février à septembre 1988, Ali Hassan al-Majid, Secrétaire général du parti Baas pour la région Nord, incluant le Kurdistan irakien, met en œuvre la «solution finale» au problème kurde décidée par Saddam Hussein.

Les 200 000 soldats irakiens affectés à la campagne de génocide des Kurdes utilisent des offensives terrestres, des bombardements aériens, des destructions systématiques de zones d’habitation civile, des déportations massives, la mise en place de camps de concentration, des exécutions sommaires et bien sûr l’utilisation massive d’armes chimiques (on pense au tristement célèbre gazage de Halabja) qui a valu à Ali Hassan Al-Majid le surnom d’Ali le chimique.

Cette opération Anfal , destinée à éradiquer définitivement le «problème kurde» conduit à l’élimination de plus de 180 000 civils kurdes. Les Occidentaux n’ont rien fait pour empêcher ces massacres.

La protection aérienne que les Américains fournissent éventuellement aux Kurdes avant 2003, pour les protéger des attaques de Saddam Hussein, leur permet d’obtenir une longueur d’avance sur la construction d’une région autonome

En 2014 les Peshmerga constituent une armée de métier équipée et formée par les Américains.

Depuis la prise de Mossoul les caméras du monde entier sont braquées sur eux.

Ce sont eux que les Occidentaux considèrent comme le “dernier rempart” contre les fanatiques de l’État islamique et les protecteurs de ceux qu’il menace.

Les Peshmerga ne sont pas seuls à combattre l’ÉI en Irak, ils sont rejoints par les YPG ( Les Unités de protection du peuple (Yekîneyên Parastina Gel en kurde ), formant la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD – branche syrienne du PKK), venus à la rescousse.

Ce sont les YPG qui ont évacué, en juillet/août 2014, les 100 000 réfugiés Yézidis menacés de famines et de massacres par l’ÉI pendant que l’Occident dormait au gaz.

Les leçons du passé

Si on tire les leçons de la couverture médiatique du soi-disant «Printemps arabe» ou des intifadas palestiniennes, on se rend compte que les médias occidentaux ont une forte tendance à présenter sous un jour favorable les rebelles de tout poil surtout quand ils sont marxistes et appuyés par l’Union Soviétique.

Or, le PKK (en kurde: Partiya Karkerên Kurdistan – le Parti des travailleurs du Kurdistan) est un groupe politico-militaire d’orientation marxiste-léniniste.

Certes, à partir de 2005, il renonce au léninisme et adopte ce qu’il appelle le «confédéralisme démocratique» sous la houlette de son chef, Abdullah Öcalan.

L’ex-femme d’Öcalan, ancienne cadre du PKK aurait commandité l’assassinat du Premier ministre suédois, Olof Palme en 1986. C’est l’époque où le PKK reçoit de l’aide matérielle de l’URSS et se livre au trafic de stupéfiants.

Le PKK est toujours inscrit sur la liste des groupes terroristes.

Une situation méritée si on tient compte des actions menées contre les autorités et les intérêts touristiques turcs (attentats et enlèvements) dans les stations balnéaires et centres commerciaux).

Ce ne sont donc pas des anges.

Certains observateurs soulignent néanmoins qu’il faut distinguer les activistes du PKK et les Kurdes d’Irak.

Selon Saywan Barzani, le représentant du Kurdistan à Paris :

«Le Kurdistan d’Irak indépendant de facto de Bagdad depuis 1991, … joue un rôle important et s’est imposé comme l’allié indispensable des États-Unis en Irak et dans la région. Le gouvernement du Kurdistan participe activement à la reconstruction des institutions politiques irakiennes et il est devenu la clé de voûte du nouveau système politique irakien: les Kurdes sont les arbitres entre les différents protagonistes irakiens notamment chiites et sunnites mais aussi entre ces deux derniers et les Américains.

Le Gouvernement Régional du Kurdistan, reconnu désormais officiellement depuis 2003, profite du chaos sécuritaire et politique en Irak pour se renforcer. Les institutions politiques du Kurdistan sont placées sous l’égide d’un président, Massoud Barzani.»

Ainsi contrairement aux militants du PKK de tendance extrême gauche, les Kurdes d’Irak sont pro-américains et ont une longueur d’avance sur la construction d’une région autonome.

Selon Hugh Fitzgerald, un collaborateur du site Djihad Watch, le Kurdistan irakien possède ses propres réserves de pétrole et ses gens sont désireux d’avoir davantage de relations avec l’Occident, l’Amérique, et même avec Israël.

Certains Kurdes parlent du Kurdistan comme d’un autre Israël – une entité non-arabe dans une mer arabe. Cela ne passe pas inaperçu auprès des Israéliens qui souhaitent avoir des amis dans la région.

Dans le passé, ce sont les outsiders – la Turquie de Kémal ou l’Iran du Shah – qui se sont alliés de façon informelle avec Israël.

Fitzgerald maintient que les Kurdes pourraient en remontrer aux Arabes sur la façon dont on construit un État moderne et décent et qu’ «un Kurdistan indépendant serait un allié naturel d’Israël».

Mais tout le monde ne partage pas cette vision optimiste. Un commentateur du texte de Fitzgerald lui oppose des remarques qui pourraient refroidir l’enthousiasme pro-Kurdes de certains.

Le lecteur (pseudonyme Fabian) fait remarquer que :

« 1) La plupart des Kurdes ont grandi avec ou favorisent les idées de gauche : Le socialisme, le communisme. Ces deux idéologies nuiraient à un État indépendant émergent et conduiraient éventuellement à ce que nous voyons en Occident, soit des gauchistes droit-de-l’hommistes athées qui ouvriraient toute grande la porte au fanatisme islamique.

2) Les Kurdes réclament trop de terres, notamment des terres qui ne leur appartiennent absolument pas, y compris Ninive et d’autres grandes terres chaldéennes historiques.
Comme de nombreux Assyriens pourraient le faire remarquer, les Kurdes sont prêts à “kurdifier” quelque chose qui ne leur appartient pas.

L’idée d’un Kurdistan indépendant allié à Israël et aux États-Unis s’accorde bien, d’un point de vue stratégique, avec la guerre contre ISIS et Al-Qaïda, mais ça s’arrête là.
Le projet d’une grande nation chaldéenne indépendante qui servirait de refuge aux Chrétiens du Moyen-Orient, avec le soutien occidental , convient mieux à cette région du point de vue historique et stratégique.

Fabian serait quand même en faveur de créer une région kurde indépendante, mais pas en leur cédant tous les territoires qu’ils demandent.

Fabian conclut en disant que «si une toute nouvelle nation doit être relevée, ce devrait être l’Assyrie, Babylone, une nation chaldéenne / mésopotamienne pour ceux qui sont les authentiques indigènes de la région. »

D’autres observateurs estiment qu’avec une guerre civile en Turquie qui dure depuis plus de 30 ans et a déjà fait 40 000 morts, il serait temps de changer de stratégie et de donner sa chance à Demirtas.

Dans Le Monde du 10 août, Selahattin Demirtas, le coprésident du parti pro-kurde HDP, est présenté avec sympathie comme un diplômé en droit de l’université d’Ankara et défenseur des droits de l’Homme et des Kurdes.

Demirtas a réussi à constituer un parti qui a fait 13% aux législatives du 6 juin 2015. Avec 80 sièges au Parlement, il a par la même occasion réussi à confisquer au parti d’Erdogan la majorité absolue, contrariant son projet sultanesque de république présidentielle.

La clé de son succès résiderait dans le fait qu’il a pris ses distances avec le PKK et a élargi la base du HDP, acceptant les minorités, les femmes, les homosexuels et les écologistes. Il a débarrassé son parti de l’étiquette «ethnique» pour en faire une formation politique ouverte à la modernité.

Erdogan, déterminé à écraser la guérilla kurde basée dans les monts Qandil en Irak et à lever l’immunité parlementaire des élus du HDP qu’il accuse de soutenir les terroristes, a sommé Demirtas de condamner les opérations de représailles du PKK contre les militaires et la police. Il fait même planer la menace d’une interdiction pure et simple du HDP.

Il est évident que le recours à la violence sert les intérêts d’Erdogan et sape les efforts de Demirtas. Les représentants locaux du PKK et les militants continuent de donner au régime des prétextes pour les réprimer et pour mettre le HDP hors jeu.

C’est une attitude suicidaire qui va en outre finir par leur aliéner le capital de sympathie dont jouissent les Kurdes dans les opinions publiques occidentales car aucun Etat ne peut laisser tuer ses soldats et ses policiers sans réagir.

Or une telle attitude «suicidaire» est typique des marxistes-léninistes toujours prêts à se servir du nationalisme pour pratiquer la politique du pire et amener un gouvernement à utiliser la force pour pouvoir ensuite se plaindre qu’ils sont les victimes de l’odieuse répression d’un gouvernement inféodé aux «impérialistes américains».

C’est toujours la même salade et elle est toujours gobé avec appétit par les gauchistes dans les médias occidentaux.

Cela dit, il est douteux que les États-Unis, déjà hostiles à l’indépendance du Kurdistan irakien (quasiment autonome dans les faits et à couteaux tirés avec le PKK) pourtant allié d’Erdogan, parrainent la création d’un nouvel Etat du PKK aux frontières de la Turquie, qui serait la garantie d’une déstabilisation endémique dans la région.

Conclusion

Comme toujours qui veut faire l’ange fait la bête. Notre sympathie pour la cause kurde ne doit pas se calquer sur l’attitude des gauchistes pro-palestiniens.

Je me méfie de la soudaine sympathie des journalistes français en particulier et des médias en général envers les Kurdes. Je les soupçonne de soutenir les Kurdes parce que la plupart de leurs leaders sont des gauchistes. Timéo Danaos et donna ferentes.

En dépit des similarités entre le destin des Kurdes et celui des Israéliens, il reste d’importantes différences. Ainsi les rebelles du PKK responsables des attentats récents en Turquie ressemblent davantage aux Arabes palestiniens qu’aux Israéliens.

Les revendications territoriales des Kurdes ne représentent rien de moins que le découpage d’un territoire qui comprendrait – entre autres – un bon morceau de la Turquie actuelle. N’y a t-il pas une similarité avec le souhait de Mahmoud Abbas de créer un État «palestinien» avec droit de retour ?

Les Kurdes sont des musulmans sunnites, leur conflit avec l’ÉI n’a rien à voir avec l’Islam. Rien ne peut garantir qu’ils ne feront jamais la même lecture littérale du Coran.
N’oublions pas que leur «saint-patron», Salah el-Din, a remis le djihad à la mode pour combattre les Croisés !

Les fanatiques islamiques ne sont pas tous arabes, il n’y a qu’à voir le Pakistan …

Et puis, peu m’importe la cause défendue, aucune attaque terroriste n’est acceptable.
Même si Erdogan m’horripile, je ne suis pas sûre de lui donner tort quand il cherche à mater les terroristes du PKK et ses sympathisants. Si Israël a le droit de se défendre, la Turquie aussi.

Je crois que les Peshmerga – ces guerriers qui « affrontent la mort» et les barbares de L’ÉI – méritent notre soutien, mais ce doit être un soutien éclairé.

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