Publié par Gaia - Dreuz le 5 octobre 2015

Pour les riches royaumes et émirats, pas question d’accueillir plus de Syriens fuyant la guerre. Explications.

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Ils sont parmi les Etats les plus riches du monde. Leurs habitants sont musulmans et parlent l’arabe. Comme les Syriens. Et pourtant, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) et Amnesty International, les six pétromonarchies du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar) n’ont aucune intention d’ouvrir davantage leurs portes aux réfugiés syriens. En dépit de la situation explosive régnant dans les pays limitrophes de la Syrie (Liban, Jordanie, Turquie) qui pousse les quelque 4 millions de réfugiés qui s’y entassent à chercher par tous les moyens à gagner une nouvelle terre d’asile.

Manque de tradition

«Il y a plusieurs explications à cette attitude, explique Fabrice Balanche, directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l’Université Lyon-II. La première tient au fait que les pays du Golfe n’ont pas de tradition humanitaire et d’accueil des réfugiés.»

De plus, ajoute Beligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS, «ces monarchies n’ayant pas signé la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, elles ne commettent aucune violation du droit international» en fermant la porte aux Syriens.

Cela dit, pour ces deux spécialistes du monde arabe, les principales raisons de la passivité des pétromonarchies à l’égard des réfugiés syriens sont évidemment à chercher ailleurs.

Crainte de la dilution

La première est la crainte de la «dilution» des autochtones dans la masse des étrangers. Dans des pays où la proportion de ces derniers atteint 80 à 90% de la population, c’est une véritable obsession. C’est le cas des monarchies du Golfe, à l’exception de l’Arabie saoudite – la plus peuplée, avec 30 millions d’habitants – où le ratio est de 60-30.

«Cette crainte n’est pas nouvelle, explique Beligh Nabli. Elle est omniprésente dans ces pays tout à la fois jeunes et très conservateurs, qui craignent pour leur ordre social.» C’est pourquoi «leurs autorités ont toujours eu une politique d’immigration hypersélective, poursuit Fabrice Balanche, choisissant avec soin les étrangers munis d’un contrat de travail auxquels ils ouvrent leurs portes: des Occidentaux ou des Japonais pour les cadres et les professions très qualifiées, des Pakistanais, des Indiens ou des Bangladais pour les travaux les moins qualifiés. Exclu d’accepter des Syriens, qui parlent arabe et ont la même culture. Ils se laisseraient moins faire!»

Peur des idées et du djihad

Toutefois, quatre ans après le début des printemps arabes, c’est la peur de la contamination des idées et des comportements qu’ils ont engendrés qui fait le plus peur. «Chacun a en mémoire le cas de Bahreïn, où l’on a vu, en 2011, les Saoudiens envoyer des troupes pour aider le pouvoir sunnite (minoritaire) à mater la contestation chiite», rappelle Fabrice Balanche.

Pour les régimes en place, il est exclu de prendre le risque d’importer une telle contestation par l’intermédiaire des réfugiés syriens. A cette peur de la contagion des idées, il faut évidemment ajouter celle du radicalisme islamiste, qui, d’Al-Qaida à Daech, est devenu un ennemi mortel de monarchies qui l’ont parfois nourri. Du coup, la crainte que des djihadistes se cachent parmi des réfugiés n’est pas non plus étrangère à cette politique de fermeture.

Sur la défensive

Face à ces accusations d’indifférence, les gouvernements mis en cause se défendent en affirmant qu’en plus des centaines de millions de dollars d’aide qu’ils ont distribués, ils ont accueilli ou prolongé le visa de nombreux Syriens depuis le début de la guerre. Les chiffres qu’ils avancent (2,5 millions pour l’Arabie saoudite, 100 000 pour les Emirats arabes unis, notamment) ne sont pas confirmés par le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU, qui estime toutefois à plusieurs centaines de milliers les Syriens établis dans ces pays. A quel titre et à quelles conditions, puisqu’ils ne reconnaissent pas le statut de réfugiés? Toute la question est là.

Reste que, comme l’affirme Amnesty International, les six monarchies ne font aucune promesse d’accueil alors que la crise des réfugiés est à son comble et que les pays voisins de la Syrie sont au bord de la rupture.

Les priorités sont ailleurs

«A part quelques mesurettes symboliques prises avec l’aide de cabinets de communication pour redorer leur blason et calmer les réseaux sociaux, je vois mal les gouvernements du Golfe changer d’attitude», assure Fabrice Balanche. «Le désintérêt des Saoudiens et de leurs alliés sunnites pour les réfugiés syriens tient aussi au fait qu’ils ont d’autres priorités, dont la première est la lutte contre l’expansionnisme chiite dans la région, comme le montre dramatiquement la guerre qu’ils mènent au Yémen», conclut Beligh Nabli.

Le «fantasme» de l’infiltration djihadiste

Des djihadistes peuvent-ils s’être infiltrés parmi les réfugiés fuyant la guerre en Syrie et en Irak? Plusieurs dirigeants et médias d’extrême droite du Vieux-Continent ont agité cette «menace» ces dernières semaines, alors que les membres de l’Union européenne tentent de s’entendre sur la répartition des demandeurs d’asile en provenance du Moyen-Orient. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a lui aussi estimé qu’il «peut y avoir des combattants étrangers, des terroristes qui se cachent, se mêlent aux migrants».

Pourtant, même si le risque zéro n’existe jamais, pour la plupart des spécialistes des filières djihadistes, la possibilité que des militants radicaux accompagnent des exilés dans le but de commettre des attentats en Europe tient surtout du «fantasme». Mathieu Guidère, professeur d’études islamiques et de géopolitique à l’Université de Toulouse, estime ainsi que «Daech n’a aucun intérêt à envoyer ses combattants par des routes si longues et si dangereuses. S’il veut vraiment faire venir des djihadistes en Europe, il est beaucoup plus facile et moins risqué pour ces derniers de voyager en train ou en avion avec de faux papiers plutôt que de s’infliger la traversée de la Méditerranée sur des embarcations précaires et de marcher des milliers de kilomètres à travers les Balkans.»

Interrogées sur la question, les autorités françaises avaient elles aussi affirmé que la «route des migrants» n’était de loin pas idéale pour d’éventuels terroristes. D’autant plus que les milliers de personnes qui sont actuellement accueillies le sont sous le statut de requérants d’asile, qui implique de se faire enregistrer, photographier et de donner ses empreintes.

«S’il faut redouter des attaques, je crains surtout que leurs auteurs soient des convertis ou des islamistes possédant le passeport européen et vivant déjà parmi nous, comme ça a été le cas avec Mohammed Merah, les frères Kouachi ou Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat de Bruxelles», affirme Mathieu Guidère.

http://www.tdg.ch/monde/La-troublante-retenue-des-pays-du-Golfe/story/15722339

© Gaïa pour www.Dreuz.info

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