Publié par Ftouh Souhail le 16 janvier 2016
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Khemaies Jhinaoui

Ce mardi, 12 Janvier 2016, un ancien fonctionnaire diplomatique tunisien, qui fut en poste à Tel-Aviv, a pris ses fonctions comme ministre des Affaires étrangères en Tunisie.

Une polémique grandissante s’est déclenchée à Tunis suite à la nomination de Khemaies Jhinaoui (en photo) en tant que ministre des Affaires étrangères. Durant le vote de confiance aux ministres du nouveau gouvernement tunisien, Mr Jhinaoui a obtenu le score le plus bas : 134 pour, 23 abstentions et 29 contre.

L’opposition reproche à M. Jhinaoui sa nomination en avril 1996 par décret présidentiel, au poste de chef de bureau des intérêts de la République tunisienne à Tel Aviv allant même jusqu’à considérer cette nomination comme étant un début de normalisation.

En réponse à ces accusations, Mr Jhinaoui a tenu à expliquer que sa désignation au poste susmentionné en Israël s’est effectuée dans le cadre de l’accord d’Oslo en 1993 entre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien, et ce, sous la recommandation même du dirigeant palestinien Yasser Arafat.

En effet, le lendemain des négociations de paix d’Oslo, la Tunisie avait alors entamé des démarches dans le même sens que l’Autorité Palestinienne. Cette démarche était supposée aider la politique entamée par les Palestiniens à l’époque dans la mesure où elle pouvait encourager les parties israélo-palestiniennes à poursuivre des négociations pour le fondement de l’Etat palestinien indépendant en 1999. D’ailleurs, l’évolution de cette ébauche de relations était conditionnée par le degré d’avancement positif dans le processus de paix entre Palestiniens et Israéliens.

Les deux présidents Zine El Abidine Ben Ali et Yasser Arafat avaient alors convenu d’une telle démarche qui pouvait aider fortement la politique entamée par le président Arafat à l’époque. Cette démarche a été positive et avait facilité le rapprochement entre Israël et la Tunisie avec des échanges touristiques.

Dans le même contexte, le syndicat du corps diplomatique a affiché son soutien à M. Jhinaoui à travers un communiqué rendu public en réponse à la polémique déclenchée suite à sa nomination en tant que ministre des Affaires étrangères.

La polémique actuelle à Tunis autour de cette nomination n’est pas sans rappeler une autre polémique, il y a deux ans, au cours de la séance plénière tenue le 28 janvier 2014, à l’Assemblée nationale constituante pour la présentation et l’octroi de confiance au nouveau gouvernement de Mehdi Jomâ. Plusieurs députés avaient pointé du doigt Amel Karboul, ministre du Tourisme, pour son un voyage en Israël qui, selon eux, l’incriminait et faisait d’elle une coupable de « normalisation avec l’entité sioniste ».

Mme Karboul avait alors fait l’objet de nombreuses attaques à cause d’une biographie publiée sur son site internet faisant état de visite en Israël, dans le cadre de son travail. Plusieurs députés l’avaient accusée d’avoir collaboré avec ”l’entité sioniste”.

Mme. Karboul avait même décidé de démissionner suite à la polémique au sujet de ce séjour en Israël. Mais le Chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, avait refusé sa démission, qu’elle avait présentée le 29 janvier 2014.

En choisissant un fonctionnaire qui était en poste en Israël, la Tunisie veut tenter de retrouver son image sur la scène internationale

En choisissant en 2016 un ancien fonctionnaire qui avait été carrément en poste en Israël comme un nouveau ministre des Affaires étrangères, la Tunisie veut cette fois tenter de retrouver son image d’antan sur la scène internationale. Cette image a pris, effectivement, un sacré coup, notamment, à cause de son attitude systématiquement hostile à Israël.

Une Tunisie complexée et intolérante sur la scène internationale

Depuis la révolte de 2010 et la chute du régime modéré du Président Zine El Abidine Ben Ali qui avait fait de la Tunisie le pays le moins islamisé et le plus proche des occidentaux, la diplomatie tunisienne avait pris une tournure de haine stérile de l’État hébreu. Une Constitution criminalisant la normalisation avec Israël était même sur le point d’être approuvée.

En décembre 2011, le ministère israélien des Affaires étrangères avait même organisé une réunion dirigée par Aviva Raz-Schechter, députée et directrice générale de la Division du Moyen-Orient au sein du ministère, pour étudier le cas tunisien, évaluer la montée des dangers de la criminalisation de la normalisation et ses effets sur les intérêts de l’État hébreu et des juifs en Tunisie et dresser un plan d’action afin de contrer ces dangers.

Parmi les recommandations du plan d’action, le ministère israélien des Affaires étrangères demandait l’assistance de pays occidentaux pour qu’ils fassent pression sur la Tunisie via l’OCDE ou des organismes méditerranéens. Il prévoyait aussi d’inciter les institutions et des personnalités américaines à faire pression sur le leader du parti islamiste tunisien Rached Ghannouchi.

En février 2014, Tunis avait même boycotté pour la première fois les travaux de l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne (ARLEM) à cause de la présence d’une délégation israélienne.

Et il y eut le cas, très médiatisé, des touristes israéliens – une vingtaine – à bord du bateau de croisière «Norwegian Jade» qui avaient été empêchés de débarquer lors d’une escale à La Goulette en mars 2014, et avaient été «forcés» de rester à bord, tandis que les touristes non israéliens avaient été autorisés à débarquer. L’affaire avait pris une telle ampleur en Tunisie que l’ambassade canadienne et américaine avaient exprimé leurs regrets au ministre des Affaires étrangères tunisien. Une campagne médiatique mondiale avait même débuté pour dénoncer la discrimination contre les personnes de confession juive.

Le 13 mars 2015, un tribunal de Première Instance, à Sousse, prononçait une décision sans précédent d’annuler deux vols touristiques programmés par un tour-opérateur local en direction d’Israël.

Le Front populaire (un parti extrémiste de gauche) a même déposé, le 11 novembre 2015, au bureau d’ordre de l’Assemblée des représentants du peuple, un projet de loi criminalisant la normalisation avec Israël. C’est un projet qui comporte six articles de loi, a indiqué l’élu Ahmed Seddik. Ce projet définit les actes punissables par cette loi, le délai de prescription ainsi que les peines encourues. Celles-ci peuvent atteindre 5 ans de prison.

« immuniser la Tunisie contre toute ingérence étrangère, et en particulier contre la normalisation avec Israël »

Lors d’une déclaration à l’agence de presse officielle à Tunis (TAP), Mr Seddik avait affirmé que ce projet s’inscrit dans la droite ligne des positions défendues par sa formation politique et qui visent à « immuniser la Tunisie contre toute ingérence étrangère, et en particulier contre la normalisation avec Israël ». Le président du bloc parlementaire a souligné que ce projet traduit une volonté de véritable soutien « à la cause palestinienne, qui s’est souvent résumé aux mots ».

Seddik avait jugé que ce projet est apte à susciter une « large adhésion, même s’il s’avère dérangeant pour certains ». Sauf que Khemaies Jhinaoui, qui est connu pour son pragmatisme dans son approche du conflit israélo-palestinien, va sans doute s’opposer à cette initiative en tant que nouveau ministre des Affaires étrangères.

En crise économique, la Tunisie sera poussée à modérer ses positions envers Israël

La diplomatie tunisienne a la délicate mission de contribuer au développement économique grâce à une collaboration avec les différents pays. D’ailleurs c’est le premier dossier important qui est sur la table du nouveau ministre des Affaires étrangères. Le président Barack Obama a assuré son homologue tunisien Béji Caïd Essebsi de la volonté des États-Unis d’aider à la relance de l’économie tunisienne.

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La Tunisie veut renforcer ses relations avec les États-Unis, premier allié d’Israël. Mais dans le futur, toute initiative de criminalisation de la normalisation avec Israël risque de mettre en péril tous les plans d’aide américaine.

La nouvelle loi américaine, signée par Obama en juin 2015, la “Trade Promotion Authority” (TPA) prévoit des dispositions qui font du rejet du boycott d’Israël une priorité absolue pour les négociateurs américains lorsqu’ils travailleront sur un accord de libre-échange avec n’importe quel pays. Les lignes directrices de la nouvelle législation, espèrent les Sénateurs américains, dissuaderont les gouvernements qui négocieront avec Washington de participer aux activités hostiles envers Israël en tirant parti de l’incitation que représenterait un accord de libre-échange avec les États-Unis.

Bien que les dispositions aient commencé comme une législation autonome, elles ont été adoptées à l’unanimité dans les versions de la Chambre et du Sénat de la loi TPA en avril 2015.

En novembre 2015 la Tunisie, qui avait accueilli la 2e phase du dialogue stratégique Tunisie-USA, était informée de la nouvelle législation. L’agence américaine pour le développement international (USAID), qui appuie le gouvernement tunisien, sera la première à appliquer cette loi.

Le gouvernement tunisien avait déjà ressenti les répercussions négatives de sa diplomatie hostile à Israël. En octobre 2015, les États Unis avaient accordé la somme de 55 millions de dollars d’aide pour l’évolution économique et démocratique de la Tunisie. Initialement prévue à 134 millions de dollars, une somme requise par l’administration Obama, cette aide avait été revue à la baisse par le Sénat américain à cause de l’attitude hostile de Tunis envers Jérusalem.

Ileana Ros-Lehtinen
Ileana Ros-Lehtinen

Le Congrès américain a émis un jugement sans appel. Sa commission pour les Affaires étrangères s’est réunie le 14 juillet 2015 pour discuter de l’aide à Tunis. La présidente de la commission, Ileana Ros-Lehtinen (en photo), n’a pas ménagé les reproches à Tunis :

« la Tunisie continue à suivre un double langage qui ne trompe personne. La Tunisie voudrait recevoir des touristes mais humilie les quelques Israéliens embarqués dans une croisière à Tunis. »

La sanction est immédiatement tombée de la part du Sénat américain qui a bloqué les 2/3 de l’aide des États-Unis à la Tunisie. Alors que le Département d’État et la commission des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants avaient opté pour le doublement de l’aide économique et militaire à la Tunisie, le Sénat américain a décidé de ramener l’aide de 134 millions de dollars promis par Obama à seulement 55 millions de dollars. Les Sénateurs ont estimé que le Département d’État ne les avait pas suffisamment convaincus.

La Tunisie n’a pas beaucoup d’appuis au Sénat américain qui voit d’un mauvaise œil les provocations tunisiennes. Pour un pays jadis qualifié de modéré, ses positions de pointe pour soutenir le combat terroriste des Palestiniens indispose les éléments pro-israéliens parmi les Sénateurs. La persistance à interdire aux titulaires d’un passeport israélien d’entrer en Tunisie est mal perçue par ceux qui voudraient que la Tunisie adopte une position plus pragmatique au lieu de camper sur des positions anti-israéliennes.

De plus, la nouvelle loi américaine contre le boycott d’Israël va aussi obliger l’Overseas Private Investment Corporation (Opic), à observer et évaluer l’attitude de la diplomatie tunisienne envers Israël avant d’honorer l’Accord tuniso-américain en faveur des PME et des entreprises de franchise signé le 5 mars 2015 en marge de la conférence internationale sur «l’investissement et l’entrepreneuriat» à Tunis.

L’OPIC, qui est une institution de financement du développement du gouvernement des États-Unis, va faire réfléchir le gouvernement tunisien à deux fois avant qu’il engage une initiative de boycott contre Israël. L’OPIC mobilise des capitaux privés pour aider à résoudre des problèmes critiques de développement. Elle aide aussi les entreprises américaines à prendre pied sur les marchés émergents, en catalysant les revenus, les emplois et les facteurs de croissance à la fois à l’intérieur et à l’étranger.

L’aide financière militaire est quant à elle à hauteur de 20.5 millions de dollars. Celle-ci permettra au pays de faire face aux organisations terroristes comme Ansar Al Chariaa, Al Qaeda et l’État islamique. La Tunisie est le 2e pays africain-à profiter de l’aide militaire américaine en 2015 après l’Egypte. Elle est le premier bénéficiaire de cette aide au Maghreb, le 9ème au monde.

La Tunisie, qui a était désignée pompeusement comme « Allié stratégique des USA, en dehors de l’OTAN » sera obligée d’atténuer son attitude négative envers Israël, croit le nouvel ambassadeur des États-Unis en Tunisie, Daniel H.Rubinstein, qui a servi comme directeur de l’Office d’Israël et des affaires palestiniennes au sein du Département d’Etat de 2004 à 2005. M. Rubinstein a également servi comme consul général et chef de mission à Jérusalem de 2009 à 2012.

En effet, par les temps qui courent, la politique étrangère tunisienne est appelée à être plus pragmatique. La situation économique et financière désastreuse du pays, le désespoir des jeunes sans emplois, doit faire réfléchir les autorités vis-à-vis d’Israël.

Il est temps pour la Tunisie, si elle veut entrer dans les bonnes grâces américaines, de montrer sa volonté de normaliser ses relations avec Israël en rejoignant l’alliance informelle de la Jordanie et de l’Égypte avec Israël, avec toutes les retombées économiques et financières qui suivent (accords de libres échanges avec les États-Unis, augmentation des aides américaines, investissements massifs américains, accès plus facile aux capitaux US, un appui plus fort des milieux d’affaires et de la finance internationaux et bien d’autres…)

Les diplômés tunisiens, qui sortent en surnombre des universités créées par le leader Habib Bourguiba peuvent, en remisant les haines dans les poubelles de l’Histoire, travailler avec l’industrie israélienne pour créer, d’égal à égal, en Tunisie, la première «Silicon Valley» au Maghreb.

L’État Juif est réputé pour être la plaque tournante des start-up, pour être devenue le vivier de compagnies high tech prospères.

En tout état de cause, il est indéniable que le nouveau titulaire du portefeuille de la diplomatie tunisienne optera pour la réduction de l’influence du lobby anti-israélien dans son département. Aujourd’hui, la Tunisie doit frapper à toutes les portes pour surmonter sa crise économique dramatique. Elle doit abandonner ses rancœurs pour être pragmatique comme l’ont été la Jordanie, l’Égypte (et la Turquie récemment) qui ont décidé de nouer des relations avec Jérusalem.

La Tunisie n’est pas belligérante dans le conflit au Moyen Orient et aurait tout à gagner d’un tel rapprochement !

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Souhail Ftouh pour Dreuz.info.

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