Publié par Daniel Frédéric Gandus le 18 octobre 2016

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Ce premier texte du philosophe Daniel Frédéric Gandus*, vient en réaction à celui de l’Abbé Arbez intitulé Ce que nous devons à nos frères aînés.


En tant que Juifs, il est vrai que nous devons peu de choses aux Chrétiens, puisque nous relevons de la racine de l’arbre sur lequel, ultérieurement, ils ont été greffés (cependant que l’Israël moderne, de l’aveu même de Netanyahu, n’aurait pas aussi bien réussi sans l’aide des Chrétiens qui l’ont soutenu depuis la déclaration Balfour jusqu’à ce jour).

…Encore que le projet civilisationnel de la Bible, en son commencement, se décrit lui-même comme l’union -pas simple et même délicate- à accomplir entre ‘la voix de Jacob’ et ‘les mains d’Esav’, c’est à dire l’Occident qui passera du paganisme au Judéo-Christianisme, même si l’inconscient originellement païen et violent de l’Occident resurgit régulièrement aux heures sombres de son histoire et sous des formes le plus souvent différentes.

Bernanos, écrivain catholique très conscient de cela, et qui fut un des premiers à dénoncer le régime de la collaboration vichyssoise, avait écrit que si les Français ne sont “pas un peuple de prophètes”, les Chrétiens en général – et d’après lui, ceux de France en particulier – sont ceux qui accomplissent le plus clairement les prophéties portant sur le combat des valeurs (du moins serait-ce là leur vocation).

Par ailleurs, le Dieu d’Israël évoque lui-même, à plusieurs reprises, l’idée que d’autres peuples feront aussi alliance avec Lui. Tantôt, cela apparaît comme un effet de son courroux contre l’esprit souvent rebelle d’Israël (et c’est une manière de rendre celui-ci jaloux d’un amour pour lequel Israël ne lui rendrait pas assez en retour), tantôt cela se révèle être en fait l’un des objectifs finaux et messianiques du projet divin.

Enfin, il existe des prophéties comme celles sur Jérusalem à la fin des temps, s’étonnant de découvrir que lui sont nés des enfants auxquels elle n’aurait jamais pensé avoir donné naissance.

Si on élargit la perspective, on s’aperçoit que le monde entier doit énormément aux Chrétiens

Et ces enfants sont autant les juifs retrouvés depuis des lieux improbables (Falashas d’Ethiopie, Bne-Menashe d’Inde…) au regard de l’histoire juive la plus certaine de par ses mémoires généalogiques ashkénazes et sépharades écrites, que les Chrétiens amis d’Israël, ces derniers étant souvent de meilleurs amis pour le pays que les juifs israéliens d’ultra-gauche.

Si par ailleurs on élargit la perspective, on s’aperçoit que le monde entier doit énormément aux Chrétiens.

Qui n’en est pas convaincu doit se reporter à l’excellente série ‘Un siècle qui veut croire**’ de Michel Clévenot aux Éditions Golias (lesquelles sont loin d’être philosémites mais en l’occurrence, les livres de Clévenot n’ont rien à voir avec l’orientation supposément “chrétienne” mais peu amicale de ces éditions envers les juifs).

Je me souviens avoir aussi consulté dans une librairie d’Oxford une magnifique bande dessinée sur l’histoire de la participation des Chrétiens aux grandes oeuvres sociales et politiques de l’Angleterre. Rien que pour ce seul pays, étaient rassemblées des centaines d’histoires toutes plus magnifiques les unes que les autres et à forte portée humaine sur la naissance des lois et grandes oeuvres caritatives qui ont structuré le pays.

De même, nombre d’oeuvres et d’avancées en tous domaine n’auraient pas été possibles sans les Chrétiens, et ce, jusqu’aux étapes en lesquelles les grandes vocations naissent.

Les Chrétiens doivent cesser l’auto-flagellation permanente et réaliser qu’il y a quelque chose d’une victoire qui leur fut volée dans la post-modernité

Ainsi, si Louis Pasteur, pionnier de la microbiologie, découvreur du vaccin anti-rage – parmi de nombreux autres services rendus à la nation – n’avait pas appris à lire, écrire et compter grâce aux moines qui l’ont pris en charge tandis que sa famille était trop pauvre pour lui donner ce minimum d’instruction, il n’aurait rien accompli de ses recherches qui ont sauvé de nombreuses vies.

Ce genre de parcours est infiniment plus répandu qu’on ne l’imagine à travers les lieux et les époques qu’a traversé le christianisme.

Ne serait-ce que pour tout ceci, les Chrétiens doivent cesser l’auto-flagellation permanente et réaliser qu’il y a quelque chose d’une victoire qui leur fut volée dans la post-modernité qui ne cesse de parler de liberté mais refuse toutes les valeurs de responsabilité et d’engagement qui ont donné naissance à cet amour inconditionnel de la liberté – aujourd’hui devenu une idolâtrie par déréliction et hypertrophie – et qui naît comme un fruit provient de l’arbre, mais qui perdrait la mémoire génétique dont la sève de l’arbre continue pourtant de le nourrir et de l’informer.

Et cette victoire volée par la post-modernité est très certainement une des explications majeurs de “La Sainte Colère” des jours derniers.

“Le monde est plein d’idées chrétiennes devenue folles” disait Chesterton, récemment relu par Finkielkraut précisant “chrétiennes, c’est à dire démocratiques”, ce en quoi il tout-à-fait raison.

À sa remarque, l’on pourrait ajouter la suivante :

Soyez certain que, malgré d’indéniables dérives de l’Église aux siècles passées, la liberté offerte par la laïcité est un produit quasi-direct de la tradition biblique avec sa séparation des pouvoirs entre prêtres et rois, notamment de par la libre-parole des prophètes qui s’ingéniaient à toujours les rééloigner l’un de l’autre, tandis que leurs intérêts se rapprochaient de trop.

Soyez tout aussi certains que lorsque Jésus dit de rendre à César ce qui est à César, il fonde le profil d’un citoyen à la fois honnête envers et résistant au pouvoir, ainsi que l’acte initiateur de la laïcité moderne séparant le politique du culte religieux qui lui est naturellement rendu par le paganisme d’immédiateté-au-monde (nombre de Chrétiens sont morts dans la fosse aux lions pour avoir refusé, comme précédemment les juifs, de rendre un culte à César) ; paganisme auquel se soumet naturellement tout homme n’ayant pas travaillé sur lui-même pour s’en distancier.

Enfin, Chers Amis Chrétiens, soyez certains que lorsque Jésus dit “(…) moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre”, cela n’a rien à voir avec un pacifisme béat et irresponsable mais qu’il s’agit-là d’une pédagogie par la provocation à l’étonnement. En effet, le fait de tendre l’autre joue dit la liberté intérieure de ne pas réagir comme l’adversaire l’attend afin d’ainsi forcer son respect.

Mais ceci – tenons-bien compte du contexte dans lequel Jésus agit – n’est possible et n’a de sens que face à une catégorie de violents qui n’ont pas pour autant sombré dans la barbarie (j’emplois ici “barbarie” au sens moral du terme mais suis bien conscient qu’historiquement, les peuples “Barbares” qui entouraient l’empire romain avant de le vaincre suite à sa décadence n’étaient pas systématiquement les pires).

Jésus fit face à des opposants juifs et romains.

Et parce que ces deux cultures étaient déjà des civilisations en elles-mêmes, l’action de Jésus porta ses fruits.

Aussi est-ce parce que les nazis savaient que la Germanie qui les précéda fut effectivement une grande culture, qu’il arrivait parfois – je dis bien “parfois” – que se produise une “conversion du regard” (au sens où en parlait déjà Ezekiel) du barbare envers sa victime, comme on peut le voir dansle film Le Pianiste de Roman Polanski (voici la scène où se produit une telle conversion du regard ) : youtube.com, voir au moins de 8:10 à 9:00).

 

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Mais face à des ennemis comme l’État Islamique, cela ne peut se produire car l’Islam, qui est né, a grandi et a acquis ses “valeurs” et leur radicalité au désert, n’a pas cette réminiscence platonicienne d’une époque où le Soi de l’Islam fut synonyme de civilisation, c’est-à-dire de valeurs à-priori partageables avec l’Autre.

Aussi, de la même manière que le rabbin du ghetto de Varsovie avait littéralement “interdit” à ses élèves d’imaginer que leur massacre à venir par les nazis serait un “sacrifice” ou “témoignage au nom de Dieu” – ce qui les fit soudain entrer dans l’histoire à la fois comme martyrs et héros après leur résistance -, je vous invite à ne voir aucun témoignage possible au nom du Christ en le fait d’être égorgé par ces gens-là : Ils ne sont pas mentalement outillés pour recevoir votre sacrifice comme le socle d’un éveil à leur propre sensibilité, à une humanité partagée ou à la Transcendance.

Point de possibilité de les voir “touchés par la grâce”.

Aussi le Christianisme doit-il revenir aux classiques fondateurs de sa relation rationnelle au politique (notamment avec Saint-Augustin et Thomas d’Aquin) comme définie par le concept de “juste guerre” et la limitation de la non-violence à la sphère des relations personnelles (et pratiquée entre personnes qui soient un minimum civilisées).

Amis Chrétiens, cessez-là l’idéalisme suicidaire qui, en tant que croyants judéo-chrétiens, nous attire tous.

Souvenez-vous qu’existèrent, en plusieurs périodes de votre histoire, des Moines-Combattants et autres profils équivalents qui furent assez responsables pour accepter de perdre ou limiter leur prétention à une totale innocence afin que, par eux, d’autres aient ainsi la vie sauve.

Admettez enfin que ce sacrifice-là n’est pas moins noble que l’acceptation de votre propre crucifixion.

Et ne dîtes plus “Amen” à ce qui nous arrive en tant que civilisation pour à nouveau changer le monde, comme vous y avez si souvent excellé.

Nous avons besoin des Chrétiens …vivants !

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Daniel Frédéric Gandus, pour Dreuz.info.

* Daniel Frédéric Gandus, Philosophe du Politique et de la Religion. Knowledge-Manager, il occupe aussi une fonction dans la sécurité israélienne.

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