Publié par Pierre-André Taguieff le 25 novembre 2016

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On assiste, depuis quelques années, à la construction d’un nouvel ennemi quasi mondial, baptisé «le populisme».

Passons sur l’indétermination du terme dans ses usages ordinaires et polémiques. Il fonctionne habituellement en tant que synonyme approximatif d’expressions telles que «extrême droite», «droite extrême», «droite radicale», «droite autoritaire», «droite réactionnaire». Certains l’emploient même comme substitut lexical de «fascisme». La confusion sémantique s’accroît du fait que certains ex-communistes prétendent défendre un «populisme de gauche». Il est temps de sortir de la pensée-slogan.

Les nations résistent aux processus censés les conduire à la mort. Qu’elles le fassent d’une façon imparfaite, en suivant ou en applaudissant des démagogues, est une autre question

La défense des identités nationales oscille entre le front de l’identité culturelle et celui de la souveraineté. L’élection de Donald Trump, placée sous le signe du protectionnisme et du nationalisme économique, est devenue emblématique d’un mouvement mondial paraissant stopper la vague libre-échangiste. S’il est hâtif de parler d’une «démondialisation», il s’agit cependant d’un véritable défi. La renaissance du nationalisme offre un démenti aux promesses de la mondialisation heureuse, célébrant une humanité réconciliée en marche vers la prospérité planétaire et la démocratie cosmopolite. Ce qui se heurte à la réalité historique déplorablement têtue, c’est l’utopie du passage irréversible au postnational sous l’égide des droits de l’homme en vue d’assurer la paix perpétuelle. Les nations résistent aux processus censés les conduire à la mort. Qu’elles le fassent d’une façon imparfaite, en suivant ou en applaudissant des démagogues, est une autre question.

Ce qu’on appelle «populisme» devrait désigner en toute rigueur l’appel au peuple sans médiations et le rejet des élites dirigeantes accusées de confisquer la démocratie.

Sur la scène médiatique, la «menace populiste» largement fantasmée entre en concurrence avec la «menace islamiste» dont le visage est dessiné par les djihadistes, nouveaux fanatiques aux comportements barbares. L’analogie est à l’évidence trompeuse. On ne saurait mettre sur le même plan la menace incarnée par les tenants d’une nouvelle barbarie totalitaire et le risque de voir arriver au pouvoir, par les urnes, des démagogues plus ou moins autoritaires. Ce qu’on appelle «populisme» devrait désigner en toute rigueur l’appel au peuple sans médiations et le rejet des élites dirigeantes accusées de confisquer la démocratie, ce qui définit une orientation hyperdémocratique – instrumentalisée souvent par de nouveaux démagogues de droite ou de gauche. Or, la mise en scène du populisme en tant qu’ennemi consiste à l’opposer globalement à «la démocratie». Les partisans de la démocratie directe sont par là diabolisés en tant qu’ennemis de «la démocratie». Il est à craindre que, sous la «démocratie» ainsi invoquée, ne se cachent les membres et les bénéficiaires de systèmes oligarchiques, soucieux de défendre leurs privilèges ou leurs intérêts.

La marche de l’Histoire n’a rien d’un long fleuve tranquille

Ce qui fait peur aux antipopulistes, c’est donc l’aventure. Le non-programmé les désarçonne. L’imprévisible les angoisse.

Le nouveau discours des élites installées, en Europe comme aux États-Unis, privilégie le thème de la démocratie menacée par le populisme.

Tel est le topos principal de la rhétorique antipopuliste : «Le populisme contre la démocratie.» On observe la diffusion de l’une de ses variantes : «Le populisme contre l’Europe», qui présuppose que l’Union européenne incarne «la démocratie». Il est aussi reproché aux «populistes» d’être imprévisibles. Il faut donc croire que leurs adversaires sont hautement prévisibles dans leurs décisions, c’est-à-dire rassurants.

Illusion dangereuse : ceux qui sont trop prévisibles croient volontiers que le cours des événements est lui-même prévisible, et se montrent désorientés à la moindre averse imprévue. La marche de l’Histoire n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle n’a rien non plus du trajet linéaire d’un train qu’il suffirait de prendre à l’heure, comme le croient tous les esprits non tragiques.

Ce qui fait peur aux antipopulistes, c’est donc l’aventure. Le non-programmé les désarçonne. L’imprévisible les angoisse.

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Le risque les déprime. Dès l’automne 2007, à propos du «virage populiste» pris par la Pologne, avec Lech Kaczynski président et Jaroslaw Kaczynski premier ministre, la presse s’inquiète, n’ayant pas la moindre idée de ce que pourront faire au pouvoir les «imprévisibles jumeaux», ces «agitateurs» qu’on juge «virtuoses dans l’art de la guerre mais incapables de gérer la paix». Après le traumatisme du Brexit, la victoire électorale «imprévisible» de Trump «l’imprévisible» est venue alimenter l’imaginaire antipopuliste, tout comme l’idée d’une possible victoire de Marine Le Pen en 2017.

Le cliché est dans toutes les têtes : «la montée des populismes», une «montée» jugée irrépressible, voire inéluctable. C’est la grande menace dénoncée par la gauche. La peur de la submersion affecte particulièrement ceux qui font profession de dénoncer les peurs et l’exploitation des peurs par les «populistes».

La fierté nationale n’est pas chose du passé, même dans les pays européens soumis à la pression des valeurs et des normes antinationales

Dans une interview publiée le 20 novembre 2016, Lech Walesa opposait l’apathie des «démocrates» à l’activisme démagogique des «populistes». L’ironie de l’histoire, c’est que Walesa a été lui-même naguère caractérisé par ses adversaires ou ses rivaux comme un leader populiste. Derrière les demandes de protection des citoyens, on discerne une inquiétude fondamentale, portant sur la survie de leur nation.

L’aspiration à la «grandeur» du pays est loin de n’être qu’un thème nationaliste réactivé par Trump dans sa campagne. La fierté nationale n’est pas chose du passé, même dans les pays européens soumis à la pression des valeurs et des normes antinationales. Quant aux dérives xénophobes, elles sont à rapporter à certaines mobilisations nationalistes privilégiant le rejet de l’immigration, et non pas au populisme comme tel. Mais cessons de baptiser «populisme» ce que nous n’aimons pas et ne comprenons pas, et qui nous effraie.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Pierre-André Taguieff. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox.

Directeur de recherche au CNRS. Pierre-André Taguieff a publié notamment Le nouveau national-populisme* (CNRS Éditions, 2012).

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