Publié par Abbé Alain René Arbez le 8 décembre 2016

Depuis l’expansion mortifère de Daesh, l’islam radical est quasiment parvenu à éradiquer les chrétiens de cette terre ancestrale où ils furent si nombreux. Cela devrait inciter à mieux connaître le passé de ce pays meurtri, afin de comprendre à quel point l’avenir est problématique.

L’Irak a été créé sur le dos des chrétiens autochtones présents sur place depuis l’antiquité

L’Irak est en effet un Etat récent : c’est une création des Occidentaux voulant répondre à la conjoncture du début du 20e siècle, après l’effondrement de l’Empire ottoman et face à un nationalisme arabe en effervescence. Anglais et Français ont alors cherché à imposer une transition à la région en arbitrant la concurrence interne à l’islam entre musulmans turcs et arabes, entre sunnites et chiites, mais cela s’est fait sur le dos des chrétiens autochtones présents sur place depuis l’antiquité.

C’est donc au début du 20e siècle – époque marquée par le génocide arménien et chaldéen perpétré par les Ottomans (près de 2 millions de victimes chrétiennes) – que fut créée la Jordanie sur 70% de l’ancienne Palestine historique, et qu’à l’instigation de Churchill, furent dessinées, sur des territoires assyro-chaldéens, arabes, kurdes et perses, les frontières de l’Irak actuel …

Si cela eut pour effet de calmer le jeu des revendications nationalistes arabes, au prix injuste de l’oubli des Kurdes et de leur ancien territoire, le Kurdistan, la communauté historique des chrétiens autochtones (assyro-chaldéens) fut encore davantage marginalisée et condamnée dès lors à la disparition progressive.

Alors qu’il avait été projeté de donner naissance à un état assyro-chaldéen pour assurer la survie des autochtones chrétiens, la SDN en 1925 n’eut pas le courage de donner suite à cette solution relativement équitable. Ainsi, le Hakkâri avait été ce bastion montagneux de repli salutaire pour les chrétiens qui – on l’oublie trop souvent – ont été séculairement harcelés par les Kurdes qui les ont spoliés de leurs territoires fertiles et de leurs économies locales. Le Hakkâri, devenu ghetto chrétien, fut donc rattaché à la Turquie.

Ce problème spécifique de survie pour les chrétiens indigènes a commencé à vrai dire à une époque déjà ancienne : car il y a environ vingt siècles, la Mésopotamie était un vaste territoire de riche civilisation héritée de l’antiquité. Une population nombreuse, composée de Juifs depuis l’exil à Babylone, et de Zoroastriens présents depuis longtemps, avait vu se développer sur ce terreau favorable de très nombreuses communautés chrétiennes dynamiques : Assyriens, Chaldéens, et Nestoriens, parlant tous une langue hébraïque semblable à celle du temps de Jésus: l’araméen.

L’invasion brutale de l’islam au 7e siècle dans cette région judéo-chrétienne florissante a (malgré quelques rares périodes tolérantes) provoqué le déclin inexorable des non-musulmans. En raison du djihad, fer de lance de la colonisation islamique, les chrétiens ainsi que les juifs disparurent progressivement au gré des persécutions, mises en esclavage, expropriations, conversions forcées, etc.

Le premier ouvrage d’ophtalmologie écrit en arabe le fut par le chrétien Youhanna Ibn Massawayh

Pourtant, sous l’empire abbasside aux 8e et 9e siècles, Bagdad était devenue un centre islamique réputé. Mais on a souvent occulté le fait que cette gloire revendiquée par l’islam était essentiellement due aux chrétiens locaux enrôlés par les califes et les sultans. C’est en raison de leurs connaissances bibliques (hébreu et grec) que les nestoriens furent appelés à traduire en arabe les œuvres majeures de la science et de la philosophie gréco-romaine. Humaïn al Hishaq, célèbre intellectuel chrétien, animait la “maison de la sagesse” (Beit a hikma) du calife de Bagdad Al Mamoun. Le premier ouvrage d’ophtalmologie écrit en arabe le fut par le chrétien Youhanna Ibn Massawayh, médecin personnel d’Haroun al Rachid.

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Mais les chrétiens, utilisés par les califes comme ressources d’appoint pour développer leur domination, étaient d’abord des “dhimmi“, citoyens inférieurs pour lesquels la considération était très aléatoire. De nombreux épisodes sanglants marquèrent donc cette région au fil des décennies, par exemple avec Tamerlan, qui enterra vivants des milliers de chrétiens, ou encore le féroce Sélim 1er et d’autres sultans qui massacrèrent très massivement les populations chrétiennes de Mésopotamie occupée.

Ainsi, cette terre qui avait été spirituellement et culturellement rayonnante devint peu à peu, sous domination arabe puis turque, le plus grand champ de ruines de monastères et d’églises, et aussi le plus grand cimetière chrétien du Moyen-Orient, selon l’expression d’un spécialiste incontestable : l’historien jésuite, le père J.M. Fiey.

Les Européens ignorent ces étapes historiques.

Les médias ne leur mettent sous les yeux que les parties émergées de l’iceberg, amnésie sélective qui victimise les uns au détriment des autres. Qui aujourd’hui – en voyant les ruines et les clichés de désolation quotidiens – aurait la moindre idée du rayonnement pluriséculaire de cette région du Moyen Orient ? Les désastres successifs ont été totalement occultés par une arabisation forcée au temps de la dictature de Saddam Hussein, sous les yeux d’une Europe plus soucieuse de ses alliances commerciales et de ses moyens énergétiques, que des fondements d’anciennes valeurs humanistes et spirituelles aujourd’hui reniées.

Les martyrs musulmans d’aujourd’hui sont certes des victimes de la furie sanguinaire des clans islamiques adverses. Leurs morts et leurs blessés méritent considération.

Qu’ils ne fassent cependant pas oublier le passé massivement tragique des chrétiens désormais effacés de ce qui reste du paysage de leurs ancêtres.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez prêtre, pour Dreuz.info.

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