Publié par Sidney Touati le 5 janvier 2017

Deux graves évènements occupent le devant de la scène en Israël : le suicide d’une femme et de ses quatre enfants et le procès d’un jeune soldat accusé d’homicide volontaire qui risque jusqu’à 20 ans de prison.

Ces deux évènements semblent n’avoir d’autre rapport entre eux que de s’être produits simultanément.


A y regarder de plus près, il est pourtant possible d’y déceler une causalité commune.

Que dit le premier drame ? Qu’une famille a choisi la mort. Pour en arriver à une telle option, il faut être dans une situation de détresse extrême. Le fait saillant de ce drame est que cette mère de famille n’a pas jugé utile d’appeler au secours, de crier son désespoir. Dans son for intérieur, ce cri était inutile, car elle pensait à tort ou à raison, que personne ne pouvait l’entendre. Bettelheim explique que dans les camps de concentration, à Buchenwald notamment où il a été interné, lorsqu’une personne était habitée par l’intime conviction que sa vie n’avait de prix pour personne, elle devenait instantanément folle et se suicidait en allant au-devant des balles allemandes, sans crainte aucune de la mort.

Ce drame exprime une situation que tout un chacun ressent avec plus ou moins de force, une situation qui fait que, ceux qui ont pour vocation de représenter le peuple, de prendre en charge les problèmes du pays, sont de plus en plus coupés de celui-ci, ne sont plus capables ni de parler de ses problèmes, ni d’entendre ses cris. Le mur de verre derrière lequel ils se sont enfermés rend nos cris parfaitement inaudibles à leurs oreilles délicates et fines. Ils sont dans une tour d’ivoire, fonctionnent avec leurs propres critères. Inaccessibles, intouchables, ils regardent du haut de leur suffisance, avec une sorte de recul voire de dégoût, les «gueux» se débattre dans les affres d’un quotidien impitoyable. Tout élu qui se permettrait d’évoquer leur souffrance serait immédiatement voué aux gémonies, serait accusé de faire du «populisme», voire de faire partie de l’extrême droite. Car pour les biens pensants, pour la plus grande partie de l’intelligentsia, parler aujourd’hui des problèmes ressentis par le peuple, c’est être d’extrême droite ! C’est tomber dans le «populisme » !

Cette dictature de la bien-pensance impose aux élus, aux responsables de tous niveaux, le silence sur les souffrances du peuple. Face à ce mur de l’indifférence calculée, dans les situations de détresse extrême, ne reste que le suicide. Suicide d’une famille. Souffrance d’un jeune soldat désespéré que l’on lynche en public, que l’on est incapable d’entendre ; dont on déforme le drame qu’il a vécu, profitant du désarroi dans lequel on le plonge pour le condamner, le suicider.

D’un côté, des castes dirigeantes, concentrant entre leurs mains l’essentiel des richesses, des pouvoirs, des savoirs et de la culture ; de l’autre une masse de plus en plus pauvre, confrontée aux difficultés d’une vie quotidienne de plus en plus dure ; de plus en plus enfermée dans sa détresse muette.

De la surdité de nos «élites»

Cette incapacité des «élites» à entendre est à l’œuvre dans le drame épouvantable que vit ce jeune soldat et à travers lui, toutes les mères qui ont confié à l’armée leurs enfants chéris.

Un jeune homme que des responsables ont précipité dans le chaudron d’une guerre atroce est accusé d’avoir commis un crime affreux, un homicide. Comme si c’était lui qui avait choisi d’être là, comme s’il avait tiré sur cet homme au sol pour «se venger». L’accusation fait porter sur ce jeune homme tout le poids d’une chaîne de responsabilité qui traverse tout l’appareil de commandement et par delà la société israélienne tout entière.

Ce jeune homme n’a pas fait le choix d’être là. On lui a collé un habit de soldat après une formation plus ou moins adaptée à la situation à laquelle il allait être confronté.

Celui qui l’a recruté, celui qui lui a donné une formation, celui qui l’a armé, celui qui l’a jugé apte à affronter des situations de guerres, celui qui l’a envoyé sur le terrain… toute la chaîne du commandement est responsable de l’acte de ce jeune homme. Lui arrive en bout de course, il est le dernier maillon de cette longue mécanique du pouvoir. Ce jeune soldat ne décide et n’a décidé de rien. Il subit. Il est brutalement confronté à une situation que manifestement il ne maîtrise pas. Il est sous le choc d’un traumatisme épouvantable. Tout comme la société israélienne, il baigne dans une sorte de climat d’épouvante ; dans la hantise de l’agression ; plus grave : il vient de vivre, d’assister à l’agression de son ami. Le film montre bien que c’est au moment où il voit la voiture transportant celui qui vient d’être agressé, son copain, c’est à ce moment qu’il se retourne vers l’agresseur et qu’il tire sur lui. Il ne voit pas un homme au sol, un blessé sans défense comme nous le voyons nous, confortablement installé dans notre salon. Lui, voit un assassin, un terroriste qui a poignardé son ami.

C’est le climat d’horreur qu’il vit depuis de longs mois, c’est la scène de l’agression qu’il vient de vivre à l’instant qui le fait agir. Croit-on qu’on se débarrasse d’un épouvantable choc émotionnel comme on se débarrasse d’un habit ?

Lorsque l’on subit une agression, l’impact de cet acte ne disparaît pas instantanément.

On recrute des enfants qui sont la prunelle des yeux de leurs parents, qui ont été élevés dans le confort, dans la douceur et on voudrait, on exige que ces enfants soient des guerriers, des héros ou des saints quasiment du jour au lendemain.

L’empreinte que laisse dans le cerveau l’agression dure bien au-delà de l’instant où l’acte a eu lieu. On est enfermé dans la structure, dans la constellation émotionnelle du drame. Tous les grands traumatisés continuent à vivre perpétuellement l’agression qu’ils ont subie. Ils continuent à se battre, à réagir pendant des années contre l’agresseur qui n’est pourtant plus là. Et on voudrait que ce jeune soldat, à chaud, reprenne immédiatement la maîtrise totale de lui-même. On voudrait qu’il soit un soldat aguerri, professionnel. On recrute des enfants qui sont la prunelle des yeux de leurs parents, qui ont été élevés dans le confort, dans la douceur et on voudrait, on exige que ces enfants soient des guerriers, des héros ou des saints quasiment du jour au lendemain.

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On exige de cet adolescent qu’il se conduise en soldat professionnel. Et on lui fait porter le poids de la responsabilité de toute l’armée et de toute la société. En un mot, on le charge au maximum. Cette fonction porte un nom précis. C’est celle du bouc émissaire. Une classe dirigeante, des élites dirigeantes qui ne se sentent plus responsables des conséquences prévisibles de leurs décisions font porter sur le plus faible, le plus exposé, le pauvre soldat confronté du jour au lendemain à la guerre, les conséquences de leurs décisions. Ceux dont la mission est d’être précisément des responsables, ceux-là désignent celui qui est en bas. Le plus vulnérable, le plus faible comme responsable. C’est le monde à l’envers. C’est un renversement de toutes les valeurs.

Quelle règle de droit et quelle règle liée à l’échelle des responsabilités applique-t-on dans ce procès ?

A travers cette condamnation du soldat, nous assistons en direct à un phénomène qui n’a pas de précédent ; un phénomène unique : la démission massive des élites qui conduit à faire porter le chapeau à celui qui est au bout de la chaîne décisionnelle. Ce renversement de l’ordre des responsabilités est un crime autrement plus grave que celui dont il est question.

Au nom de la morale, nos responsables disent : «Ce n’est pas moi, c’est lui.» Ce n’est pas moi qui donne des ordres, qui recrute, qui organise, qui décide qui suis responsable ! C’est le petit soldat !

Le plus grand des crimes moraux n’est-il pas dans cette démission générale des vrais responsables rejetant la faute sur le plus faible ?

Car si ce soldat est coupable de crime, alors Churchill qui ordonne de faire bombarder nuit et jour la ville de Dresde, tuant plus de 100 000 civils par définition innocents, Churchill serait selon cette jurisprudence, un assassin de masse !

Alors ce soldat russe qui tue un soldat allemand pendant son sommeil, serait non pas un héros, mais un criminel ?

Et celui qui deviendra un véritable héros en France, le Colonel Fabien qui tue d’une balle dans le dos un soldat allemand dans le métro, qu’est-il ? Un lâche, un assassin ? Quelqu’un qui a commis un homicide volontaire ?

Juger ce jeune soldat comme s’il avait choisi d’être là ; comme s’il avait décidé froidement de tuer ; comme s’il n’était pas en mission, comme s’il ne luttait pas contre le pire des fléaux, le terrorisme… ce procès repose manifestement sur un déni des réalités.

Seule la négation des réalités qui sont celles du jeune soldat ; celles du contexte de guerre ; celle de la chaîne du commandement… permet d’aboutir à la condamnation du soldat et cela dans le but unique de décharger de toute responsabilité les vrais responsables.

Cette jurisprudence risque d’avoir des conséquences incalculables en ce qu’elle repose sur le renversement de toutes les valeurs et de toute la hiérarchie des responsabilités.

C’est une véritable catastrophe pour Israël, mais également pour toutes les démocraties confrontées au phénomène du terrorisme islamique.

Espérons que cette décision sera renversée.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Sidney Touati pour Dreuz.info.

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