Publié par Magali Marc le 23 avril 2017

Le président Trump s’est plaint, lors d’une visite dans le Wisconsin, à propos des règlements canadiens concernant les importations de produits laitiers américains.

Tandis que le Premier ministre canadien a réagi de façon modérée et relativement sereine, les commentateurs dans les médias canadiens, pour la plupart, insistent pour montrer à quel point ce président est imprévisible, instable, irrationnel et dangereux pour le Canada. Pourtant, la vérité c’est que ce problème de réglementation concernant le lait avait aussi été évoqué à plusieurs reprises par Barack Obama. Mais les médias n’en avaient tout simplement pas parlé.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit ce texte d’Alexander Panetta de l’agence Canadian Press paru dans le Toronto Sun le 19 avril.

« Lors d’une réunion privée à la Maison-Blanche, le président des États-Unis s’est plaint des pratiques laitières canadiennes auprès d’un Premier ministre en visite, Justin Trudeau, alléguant que les changements réglementaires nuisent aux exportateurs américains. Le président qui se plaignait ainsi c’était Barack Obama.

Alors que la critique de Donald Trump à l’égard du lait canadien cette semaine a peut-être a été plus bruyante, et certainement plus publique, elle avait un accent de familiarité pour le cercle restreint des personnes qui ont assisté aux réunions de Trudeau avec Obama.

Les interventions répétées concernant cette question, du fait qu’elles viennent de deux présidents très différents montrent clairement que cette irritation n’est pas nouvelle. Elle ne disparaîtra pas facilement et elle est susceptible de faire partie d’un différend plus large concernant les produits laitiers dans les prochaines négociations de l’ALENA.

Cela n’a pas été signalé à l’époque, mais le règlement canadien sur le lait diafiltré (NdT: Le lait diafiltré est un concentré liquide utilisé pour faire du fromage. Il n’est pas soumis aux règles de quotas et n’est pas taxé comme les produits laitiers lorsqu’il arrive des États-Unis) était une note discordante rare lors du Sommet de bonne entente qualifié de “Bromance” par les médias, un beau matin de printemps ensoleillé au début de 2016, lorsque Justin Trudeau (nouvellement élu) est arrivé pour sa première visite au Bureau Ovale.

Des sources indiquent qu’Obama était revenu sur cette question lors de sa dernière visite à Ottawa.

Une fois de plus, la question avait été soulevée sans tambour ni trompette, et avait été facilement occultée (alors que les médias montraient au public) la réception tapageuse accordée au président par les parlementaires canadiens.

“La Maison-Blanche de Trump ne se distingue pas de la Maison-Blanche d’Obama en ce qui a trait aux produits laitiers”, a déclaré un fonctionnaire canadien. “(Obama) y a consacré beaucoup de temps autant à Washington qu’à Ottawa. Ils (l’Administration Trump) sont (maintenant) en train de reprendre la ligne d’Obama.”

L’ancien ambassadeur d’Obama au Canada se souvient de ces conversations.

Lors d’une interview, Bruce Heyman a expliqué l’importance de cette question en politique intérieure américaine. Il se trouve que les législateurs de rang supérieur de chaque parti viennent d’un État de production laitière : Chuck Schumer de l’État de New York est le leader des Démocrates au Sénat, et Paul Ryan, le président de la Chambre républicaine, vient du Wisconsin.

Schumer avait exhorté Heyman d’insister sur cette question. “Ce n’est rien de nouveau”, a déclaré Heyman. “Et ce n’est pas une question partisane. Ça ne concerne pas seulement le parti républicain, ou le parti démocrate. C’est un problème qui dure depuis longtemps.”

Ce n’était donc pas un hasard si Trump a critiqué le voisin du Nord lors d’une visite au Wisconsin, l’État de Ryan, et du gouverneur Scott Walker, lequel a collaboré à la rédaction de la lettre sur les produits laitiers, envoyée au président, avec son homologue démocrate de New York.

“Au Canada, des choses très injustes sont arrivées à nos producteurs laitiers”, a déclaré Trump. “C’est encore cet accord toujours unilatéralement dirigé contre les États-Unis et ça ne durera pas longtemps. Nous allons appeler le Canada et nous allons dire : ‘Qu’est-ce qui se passe?. . . Nous n’allons pas seulement chercher des réponses, mais aussi une solution.’
Selon Michael Von Massow, économiste alimentaire de l’Université de Guelph, en Ontario, la source de cet irritant est un changement majeur dans les goûts des consommateurs. En bref, les graisses naturelles sont de nouveau à la mode, elles ont été remplacées par le sucre, le nouvel ennemi numréo 1 de la santé humaine.

Selon le Centre fédéral d’information laitière du Canada, la demande américaine de beurre a augmenté de près de 20 % par habitant de 2010 à 2015.

‘Auparavant, vous vous cachiez derrière les rideaux si vous mangiez du beurre. On disait : ‘Tu n’es pas en train de manger du beurre, n’est-ce pas ? Maintenant, le beurre est cool. Tout le monde dit que c’est sain. Le beurre est de retour. Mais cela pose un problème’, dit Von Massow : que faire avec tout le liquide restant du traitement du beurre ? Les producteurs ont réagi en créant de nouvelles boissons et des fromages innovants avec ces ingrédients. Et ces ingrédients se rendaient de plus en plus au Canada, en contournant les contrôles étroits des produits laitiers traditionnels.

Les agriculteurs canadiens ont insisté pour que les décideurs se battent — et ils l’ont fait. Les composants laitiers ont été reclassés, ce qui a permis de vendre ces ingrédients à des taux de marché moins chers que les prix du lait selon les termes de contrôle de la gestion de la production canadienne.

Le gouvernement des États-Unis, quant à lui, a cité cette pratique comme étant un irritant majeur avec le Canada dans son rapport annuel sur les obstacles au commerce extérieur.

Un avocat spécialisé en affaires commerciales, Mark Warner, affirme que les producteurs laitiers canadiens vont finir par regretter ces interventions gouvernementales.

‘Cette querelle concernant le lait diafiltré finira par être mêlée à une conversation plus large portant sur les termes de l’ALENA et les contrôles de gestion de l’offre par le Canada en général’, selon lui.

‘C’est comme agiter un chiffon rouge devant un taureau’, a déclaré cet avocat spécialiste des échanges commerciaux canado-américains.

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L’économiste, Von Massow, reconnaît que les prochaines négociations concernant l’ALENA amèneront un élargissement des discussions sur les produits laitiers.

Cela s’est déjà produit lors des négociations sur des accords commerciaux récents. Les contrôles des importations du Canada ont été remis en question dans une certaine mesure, d’abord lors de l’accord avec l’Europe, puis avec le partenariat Trans Pacifique.
Le leader sur les questions commerciales sous l’Administration Obama, qui a mené les négociations de l’APT (l’Accord de Partenariat Trans Pacifique), Michael Froman, a dit que parce que Trump a dénoncé cet accord jugé trop faible et l’a essentiellement démoli, il s’attend à ce que le nouveau président cherche à obtenir encore plus d’exportations de produits laitiers américains vers le Canada.

Le diplomate Heyman conseille aux Canadiens de ne pas se prendre la tête avec cette histoire : ‘Ne vous fiez pas trop au drame quotidien. Cela inclut le coup de gueule présidentiel au Wisconsin’.

Selon Heyman les négociations ont tendance à commencer de cette façon : on tient un langage dur au début afin d’obtenir un compromis plus avantageux. Personnellement, sa préférence va à des négociations à huis clos. ‘Vous ne devriez pas vous laisser impressionner par chaque péripétie et retournement’ a-t-il déclaré.

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