Publié par Magali Marc le 25 juin 2017

Hunter Stuart, journaliste américain, raconte comment la réalité sur le terrain à Jérusalem, Ramallah et la Bande de Gaza a complètement modifié sa perception initiale du conflit israélo-palestinien.

Pour les lecteurs de Dreuz, j’ai traduit cet article de Stuart, publié en exclusivité par le site HonestReporting, le 22 juin dernier.

Comment le fait de vivre en Israël a changé ma vision du conflit

J’ai toujours voulu être journaliste.

Le journalisme m’est toujours apparu comme un travail important dont le but est de remettre en question les préjugés du public, de lui apporter des vérités difficiles à admettre, de l’informer honnêtement.

Depuis qu’adolescent j’ai passé deux semaines en Égypte — en janvier 2001, moins d’un an avant le 11 septembre — j’ai rêvé d’être un journaliste indépendant au Moyen-Orient.

J’étais fasciné par le terrorisme, par l’idée que quelqu’un puisse croire à quelque chose au point d’être prêt à donner sa vie.

Tout journaliste veut couvrir les événements importants, et je pensais que le Moyen-Orient était l’endroit le plus intéressant sur Terre.

J’ai donc décidé d’y aller.

les médias d’information considèrent «l’histoire d’Israël» comme étant l’histoire de l’échec moral juif. Les événements qui vont à l’encontre de ce dogme sont souvent ignorés

En 2015, alors que j’avais 32 ans, j’ai regardé avec ma femme une carte du Moyen-Orient et nous avons choisi de nous installer à Jérusalem. Non seulement la ville est occidentale et relativement sûre, mais elle est à un jet de pierres du conflit le plus connu au monde. Cet été-là, nous avons tous deux démissionné de nos emplois à New York et nous sommes allés vivre en Israël.

L’appétit du public pour les nouvelles émanant d’Israël est presque sans fond, et il ne m’a pas été difficile de trouver du travail après notre installation à Jérusalem.

J’ai rapidement commencé à vendre des reportages aux agences de presse des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Australie, ainsi qu’à Al Jazeera English, basée au Qatar.

Il est devenu immédiatement évident pour moi que la plupart de ces agences voulaient des reportages qui mettraient en évidence la souffrance des Arabes et feraient porter sur Israël la responsabilité de cette souffrance.

Tout comme Matti Friedman, l’ancien éditeur du bureau de l’Associated Press (AP) à Jérusalem, l’a écrit dans The Atlantic en 2014, les médias d’information considèrent «l’histoire d’Israël» comme étant l’histoire de l’échec moral juif. Les événements qui vont à l’encontre de ce dogme sont souvent ignorés.

Je me suis contenté de suivre, moi aussi, cette ligne pendant mes premiers mois en Israël, parce que j’y croyais.

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Comme je l’ai écrit récemment dans The Jerusalem Report, j’avais une vision profondément négative de l’État juif jusqu’à ce que j’aille y vivre.

J’ai grandi dans une ville de WASP (White Anglo-Saxon Protestants) de la Nouvelle-Angleterre où tout le monde est démocrate de gauche.

Pour une raison quelconque, l’hostilité vis-à-vis d’Israël est un réflexe automatique de la gauche aux États-Unis (aussi dans une grande partie de l’Europe).

Influencé par mon environnement, je croyais qu’Israël était la brute de la région et constituait le principal obstacle à la paix au Moyen-Orient.

Mais les Affaires étrangères semblent toujours différentes lorsqu’on adopte le point de vue local, et nulle part cela n’est plus vrai qu’en Israël.

J’ai pris conscience de cela lors d’un bel après-midi ensoleillé, peu de temps après mon arrivée à Jérusalem.

Ce jour-là, je suis allé couvrir une manifestation arabe devant une prison israélienne près de Ramallah. Un journaliste du journal The Independent et moi y sommes allés en voiture. Nous sommes tombés sur un groupe d’environ 100 manifestants arabes qui marchaient vers la prison.

Quand ils sont arrivés, environ une demi-douzaine de soldats israéliens sont venus à leur rencontre. Les Arabes ont rapidement mis en place un barrage de pneus brûlés pour bloquer la fuite éventuelle des Israéliens.

De plus en plus de manifestants sont arrivés, je ne sais d’où. Je les ai vus se regrouper rapidement sur les collines surplombant la prison, vêtus de masques et de keffiehs.

C’était comme une scène de Game of Thrones. Certains avaient des couteaux dans leur ceinture. D’autres avaient apporté des ingrédients pour fabriquer des cocktails Molotov. Ils ont pris position sur les collines et ont commencé à lancer des pierres et des morceaux de béton vers les six soldats israéliens situés plus bas.

Les Israéliens étaient tellement peu nombreux que je ne pouvais m’empêcher de remettre en question l’idée selon laquelle Israël jouait le rôle de Goliath et les Arabes le rôle de David dans ces affrontements, car là devant moi, c’était exactement le contraire qui se produisait.

Lorsque j’ai visité la bande de Gaza quelques mois plus tard, j’ai encore vu la différence entre la façon dont les journalistes présentent cet endroit et la réalité.

Quand vous voyez les reportages aux nouvelles, vous pensez que Gaza ressemble à un tas de décombres à l’instar de Homs ou d’Alep. En fait, Gaza n’est guère différente de l’ensemble du monde arabe.

En huit jours passés dans la Bande de Gaza, je n’ai pas vu un seul bâtiment endommagé par la guerre jusqu’à ce que je demande expressément à mon guide de m’en montrer un.

En réponse, elle m’a conduit à Shujaya, un quartier de la ville de Gaza qui est un bastion connu du Hamas et reste visiblement endommagé par la guerre de 2014.

La destruction de Shujaya était-elle choquante ? Oui. Mais elle était très localisée, et pas du tout indicative du reste de Gaza.

Le reste de Gaza n’est pas si différent de nombreux pays en développement : les gens sont pauvres, mais ils parviennent à se ravitailler et même à s’habiller et à être heureux la plupart du temps.

je trouve bizarre que de temps à autre, les agences de presse étrangères ne voient pas la nécessité de présenter ne serait-ce qu’un seul reportage sur les quartiers riches de Gaza

En fait, il y a des parties de la Bande de Gaza qui sont assez agréables. Je suis allé manger dans des restaurants où les tables sont en marbre et où les serveurs portent des gilets et des cravates. J’ai vu d’énormes villas sur la plage qui ne seraient pas déplacées à Malibu et, juste en face de ces villas, j’ai visité une nouvelle mosquée dont la construction a coûté 4 millions de dollars.

Est-ce que les Gazaouis subissent des privations ? Certainement.

La plupart d’entre eux vivent-ils dans des bâtiments détruits, ouverts aux éléments tels que les médias les présentent ? Pas du tout.

Je ne leur reproche pas les tables en marbre ou les villas à côté de la plage. Comme tout le monde, ils veulent vivre à l’aise et profiter de la vie.

Mais je trouve bizarre que de temps à autre, les agences de presse étrangères ne voient pas la nécessité de présenter ne serait-ce qu’un seul reportage sur les quartiers riches de Gaza ou sur les mosquées qui valent des millions de dollars.

Elles préfèrent se concentrer sur la partie réduite de la Bande de Gaza qui est encore endommagée par la guerre contre Israël en 2014 (une guerre que le Hamas a provoquée) parce que cela confirme le dogme selon lequel Israël est une superpuissance qui brutalise les Arabes à des fins égoïstes et parce que c’est ce que nombre de gens veulent entendre.

Peu importe le fait que la liberté de la presse à Gaza et ailleurs dans le monde arabe est pratiquement inexistante.

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À bien des égards, tenter de faire des reportages à partir de Gaza demeure une entreprise absurde et dangereuse. Au cours d’une seule semaine à Gaza, j’ai eu à deux reprises des problèmes avec le Hamas pour avoir enfreint leurs règles strictes concernant la couverture médiatique.

La première fois, mon guide et moi étions sur la promenade de la plage dans la ville de Gaza, interviewant les gens au sujet d’une prochaine élection (qui a été annulée par la suite, ce qui n’est pas étonnant étant donné que la plupart des dirigeants arabes détestent la démocratie).

Après environ 15 minutes, un jeune homme vêtu en pantalon cargo et T-shirt s’est approché de nous et a eu une conversation désagréable en arabe avec mon guide. Après quoi, mon guide m’a dit que nous devions partir immédiatement parce que l’homme, un agent de renseignements du Hamas, était mécontent de nous voir poser des questions politiques aux gens.

La deuxième fois, mon guide et moi photographions des bâtiments détruits à Shujaya lorsque deux soldats du Hamas, dont aucun n’avait plus de 25 ans, ont couru vers notre voiture, ont confisqué nos cartes d’identité et mon appareil-photo et nous ont escortés dans une caserne militaire où un groupe de fonctionnaires du Hamas nous a longuement interrogés sur qui nous étions et sur ce que nous étions venus faire.

Ils ont examiné toutes les photos de mon appareil avant de nous laisser partir.

Mon guide était visiblement ébranlé. Je ne peux pas lui en vouloir : le Hamas arrête souvent, bat et parfois même torture les journalistes dont les reportages les font mal paraître.

* * *

Lors de mon séjour en Israël, j’ai constaté que beaucoup de journalistes semblent se considérer comme des défenseurs [de la cause «palestinienne»].

Ils parlent du journalisme comme d’un moyen de faire l’éloge des opprimés et, pour beaucoup d’entre eux, les Arabes sont les opprimés.

Un bon journaliste n’est pas censé défendre un côté ou l’autre. Il dit la vérité, peu importe qui paraît bien et qui paraît mal, parce que la vérité est neutre.

Compte tenu de cela, il n’est peut-être pas surprenant que les journalistes en Israël et dans les territoires occupés par les Arabes aient tendance à être proches des membres des ONG humanitaires. Ils fréquentent les mêmes milieux, vont manger et boire ensemble.

Cela explique peut-être la raison pour laquelle presque tous les articles sur Internet concernant Israël citent des militants des Nations Unies, d’Amnesty International, de Human Rights Watch ou d’autres ONG de ce genre.

En tant que reporter, il est facile de citer ces groupes car ils fournissent toutes les informations dont on peut avoir besoin, de manière accessible et facilement compréhensible.

J’admire beaucoup le travail que font ces ONG.

Le problème, c’est qu’elles s’expriment la plupart du temps contre Israël.

Trop souvent, c’est Israël qui est blâmé pour la souffrance des Arabes, plutôt que l’insensibilité et la corruption des dirigeants arabes, qui sont manifestement en grande partie responsables des difficultés que connaît la population.

Ces groupes ont leurs propres objectifs, mais comme ils présentent au public un visage attrayant quand ils se projettent en porte-parole des opprimés, la plupart des gauchistes vivant aux États-Unis et en Europe les croient sur parole.

* * *

la génération des enfants du millénaire préfère voir ses propres opinions validées plutôt que de lire des articles équilibrés et impartiaux. Ils ne veulent pas que leurs préjugés soient remis en cause

Travailler en tant que journaliste en Israël pendant un an et demi n’a pas détruit ma foi dans le journalisme.

Mais cette expérience a augmenté mon scepticisme quant à son apport positif pour l’humanité.

Huit ans de travail comme reporter m’ont alerté de plus en plus sur la façon dont les médias prennent parti.

Les éditeurs visent aujourd’hui la génération des enfants du millénaire sur les réseaux sociaux. Ces derniers préfèrent voir leurs propres opinions validées plutôt que de lire des articles équilibrés et impartiaux. Ils ne veulent pas que leurs préjugés soient remis en cause.

Si les médias n’existent que pour nous conforter dans ce que nous croyons déjà, nous n’en serons que plus divisés et il y aura de plus en plus de conflits dans le monde. »

*******

Conclusion

La question qu’on pourrait se poser, c’est comment se fait-il qu’en moins d’un an et demi, Hunter Stuart a pu faire une telle prise de conscience alors que plus de 700 correspondants étrangers ont couvert la même région durant les mêmes événements sans piper mot sur les pressions exercées par le Hamas ? (voir l’article de Jared Malsin publié en décembre 2014 dans la Columbia Journalism Review [archives.cjr.org], où il est dit que les reporters nient avoir subi des pressions du Hamas, leur excuse étant qu’ils n’avaient pas accès aux militants du Hamas et qu’ils n’en ont vu aucun !)

L’exemple de Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem pendant 34 ans, est un exemple d’aveuglement.

Enderlin continue de prétendre, même après avoir pris sa retraite en 2015 (lejdd.fr), que Mohamed al Dura est mort des suites de tirs venus de la position israélienne comme il l’a raconté dans son reportage mensonger en 2001, en dépit de la démonstration de Philippe Karsenty et d’autres qui montrent que c’était faux et impossible.

Enderlin a toujours refusé d’avouer qu’il a été manipulé par son cameraman arabe.

Là où Stuart a vu clair, Enderlin qui est si intelligent n’a vu que du feu.

 

Reproduction autorisée avec la mention suivante : traduction Magali Marc (@magalimarc15) pour Dreuz.info.

* Hunter Stuart est un journaliste et écrivain qui a plus de 8 ans d’expérience professionnelle. Il travaille actuellement en tant qu’éditeur principal chez Dose Media à Chicago. Il a été journaliste et rédacteur en chef au Huffington Post à New York de 2010-2015. Plus récemment, il a travaillé pendant un an et demi en tant que reporter indépendant au Moyen-Orient, où il a écrit pour Vice, The Jerusalem Post, Al Jazeera English, International Business Times entre autres.

Ses reportages sont également apparus sur CNN, Pacific Standard, Daily Mail, Yahoo News, Slate, Talking Points Memo et The Atlantic Wire.

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