Publié par Dreuz Info le 8 janvier 2008

INTERVIEW EXCLUSIVE “LE BLOG DRZZ”

Nom : 

Laurie MYLROIE


CV ; 

Laurie Mylroie est docteur en sciences politiques de l’Université de Harvard, avec spécialisation sur le Moyen Orient  /

Elle a enseigné à Harvard au sein du Government Department /

Elle voyage régulièrement au Moyen Orient a étudié l’arabe à l’Université américaine du Caire /

Elle a été professeur associée au US Naval War College /

Elle a travaillé pour le Washington Institute for Near East Policy /

Laurie Mylroie a été la conseillère du Président Bill Clinton sur l’Irak lors des présidentielles de 1992 /

Aujourd’hui, Laurie Mylroie est adjunct fellow à l’American Enterprise Institute, le très influent institut néoconservateur de Washington DC /

Elle a publié plusieurs best-sellers dont  Saddam Hussein & the Crisis in the Gulf. Random House (1990), Study of Revenge: Saddam Hussein’s Unfinished War Against America. The AEI Press (2000) et Bush vs. the Beltway: How the CIA & the State Department Tried to Stop the War on Terror. ReganBooks (2003) /

Ses articles ont paru dans The American Spectator, Atlantic, Monthly, Commentary, Los Angeles Times, The New Republic, New York Times, Newsweek, Wall Street Journal, Washington Post, notamment /

L’analyse de Laurie Mylroie a été saluée par le responsable du FBI de New York, Jim Fox, et par l’ancien directeur de la CIA, R. James Woolsey, tous deux convaincus que l’Irak était impliquée dans les attentats de 1993 contre le World Trade Center /

A noter encore que Laurie Mylroie a témoigné devant plusieurs commissions sénatoriales et devant la commission du 11 septembre. 


DRZZ : Pourriez-vous résumer votre parcours pour les lecteurs du blog drzz ?

MYLROIE : Je suis une spécialiste du Moyen Orient titulaire d’un doctorat sur la question de l’Université de Harvard. J’ai travaillé sur le sujet durant toute ma carrière, d’abord à Harvard, puis à Washington. Vous pouvez trouver plus d’informations sur mon site, www.lauriemylroie.com 

DRZZ : Comment avez-vous mené l’enquête sur les attentats de 1993 ?

MYLROIE : J’ai étudié les dossiers des enquêteurs présentés à la justice entre 1993 et 1994, soit des milliers de pages de documents, écoutes téléphoniques passeports, tickets d’avions… Normalement, ces dossiers auraient dû demeurer secrets mais ils ont été rendus publics suite au procès. Tout cela est décrit dans l’article du 17 janvier 1995 du Boston Globe, que vous citez dans l’une de vos vidéos.

Mon travail a été soutenu par le directeur du FBI de New York à l’époque, Jim Fox, qui a expliqué  que ses enquêteurs soupçonnaient l’Irak dans les attentats de 1993 contre le World Trade Center,

J’ai également reçu le soutien d’un ancien chef des opérations clandestines de la CIA, Vincent Cannistraro, qui m’a écrit pour me dire que mon livre comme “l’un des travaux de recherches et d’analyse les plus brillants que j’aie jamais lus.”

Cependant, l’adminstration Clinton ne voulait pas entendre parler de l’implication de Saddam dans les attentats parce que le public aurait exigé de sérieuses mensures à l’encontre du régime irakien. 

Ainsi, il m’a fallu quelques années pour publier mon livre. Lorsqu’il est paru en 2000, Study of Revenge, le procureur en chef du procès des attentats de 1993 l’a décrit comme “le travail qu’aurait dû accomplir le gouvernement américain” et l’ancien directeur de la CIA a déclaré publiquement qu’il s’agissait là d’un livre “brillant et courageux”.

DRZZ : En novembre 2001, vous avez confié à PBS que le Pentagone pensait que l’Irak était impliquée dans les attentats du 11 septembre mais que beaucoup d’officiels du gouvernement américain ne voulaient pas l’admettre pour ne pas entrer en guerre. Pourriez-vous préciser ?

MYLROIE : Rumsfeld pensait le 11 septembre que l’Irak était derrière les attaques. Le jour-même, il a donné des ordres dans ce sens, des ordres qui, depuis, ont été rendus public.

Les objections sont venues de personnes comme Richard Clarke, principalement, qui était responsable du contre-terrorisme à la Maison Blanche, de George Tenet et de nombre d’officiels de la CIA sans compter Colin Powell et le Département d’Etat.

DRZZ : J’ai lu que Ramzi Youssef [le jihadiste des attentats de 1993, arrivé aux Etats-Unis avec un passeport irakien] et son oncle Khalid Cheikh Mohammed étaient originaires de la province du Baluchistan, au Pakistan. Quels renseignements cela nous apporte-t-il ?

MYLROIE : Parmi les spécialistes de cette région, il est connu que les Irakiens recrutaient des agents dans le Baluch pour mener des opération contre l’Iran. En fait, le New York Times l’avait rapporté à l’époque de l’arrestation de Ramzi Youssef [en 1995] et je l’ai 
réécrit dans une note récente envoyée au New York Times [et publiée le 7 octobre 2007].

DRZZ : Khalid Cheikh Mohammed a avoué à Guantanamo avoir été le cerveau non seulement des attentats du 11 septembre, mais aussi de ceux de 1993 contre le World Trade Center. N’est-ce pas le lien manquant entre l’Irak et les attentats du 11 septembre ?

MYLROIE : Oui. C’est la raison pour laquelle il est si important de comprendre les attentats de 1993 contre le World Trade Center. Il est plus facile de déceler la coopération irakienne en 1993 parce que le processus d’intoxication était moins développé. Mais le même cerveau – Khalid Cheikh Mohammed – est à l’origine des attentats [de 1993 et de 2001]. 

DRZZ : Quelle est à votre avis la véritable histoire des attentats du 11 septembre ?

MYLROIE : La clé réside dans le cerveau derrière les attentats : Khalid Cheikh Mohammed. Qui est-il ? Où a-t-il reçu l’entraînement pour préparer des attentats aussi minutieux ? De qui a-t-il obtenu l’argent pour financer ses actions ? Certains officiels américains prétendent qu’il est l’oncle de Ramzi Youssef et que, comme lui, il est né et a grandi au Koweit. J’ai traité de ce point dans un autre livre, Bush vs the Belway, et dans un article du American Spectator qui reprend les points essentiels.

DRZZ : Quelle est donc la véritable histoire de Khalid Cheikh Mohammed [KSM], le cerveau des attentats de 1993 et 2001 ?

MYLROIE : Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur lui. La plus importante néanmoins est que Khalid Cheikh Mohammed était Baluch, et non Arabe, comme l’ont confirmé des sources officielles américaines. Selon le gouvernement des Etats-Unis, KSM aurait fourni une petite somme d’argent pour organiser les attentats de 1993. Il a été impliqué pour la première fois dans des attentats de grande envergure deux ans plus tard, en 1995, lorsqu’il prévoyait de faire sauter une dizaine d’avions commerciaux américains au-dessus des Philippines – un plan qui a échoué parce que son collistier Ramzi Youssef, le meneur des attentats de 1993, a accidentellement bouté le feu à sa cuisine de Manille en préparant des explosifs. 

Ce qui est très important de comprendre est que ni KSM ni son neveu Youssef n’étaient à l’époque des membres d’Al-Qaeda. Les gens attribuent souvent les attentats du début des années 90 à Al Qaeda, mais comme le journaliste d’investigation Jack Cashill l’a démontré, Oussama Ben Laden n’était impliqué dans aucun attentat de grande envergure avant 1998 !

Lorsque Ben Laden a été expulsé vers l’Afghanistan en 1996, KSM s’est allié avec lui et a aidé la nébuleuse islamiste à conduire des attaques de grande envergure, à commencer par les attentats de 1998 contre les deux ambassades américaines.

DRZZ : Je veux être sûr de bien vous comprendre. Affirmez-vous que l’Irak a précédé Al-Qaeda dans l’histoire du terrorisme de masse des années 90 ?

MYLROIE : Oui. Je l’ai expliqué plus en détails dans un article  au American Spectator. Al-Qaeda n’était pas impliquée dans les attentats de 1993 contre le World Trade Center.

Le terrorisme de masse a commencé avec le réseau “Baluch” auquel appartenaient KSM et Youssef. Lorsqu’Oussama Ben Laden a été expulsé du Soudan vers l’Afghanistan en 1996, le réseau Baluch a infiltré Al-Qaeda et les attentats de masse au nom de Ben Laden ont commencé à cette période. Malheureusement, les officiels américains ont brossé un faux portrait lorsqu’ils se sont interrogés sur les liens entre l’Irak et Al-Qaeda. Ils auraient dû se pencher au contraire sur les liens entre l’Irak et le terrorisme, et auraient réalisé alors que les liens entre l’Irak et Al-Qaeda révélaient seulement une partie d’un réseau beaucoup plus développé.   

DRZZ : Que pensez-vous de ces collusions de dates :

1. Attentat contre le World Trade Center, 6 morts, 1’042 blessés
26 février 1993 : deux ans jour pour jour après le début du 
retrait
 des troupes irakiennes du Koweit, le 26 février 1991

2. Attentat d’Oklahoma City, 168 morts, plus de 800 blessés
19 avril 1995 : quatre ans, jour pour jour, après la 
création des commissions de désarmement de l’ONU pour l’Irak, le 19 avril 1991

3. Attentat contre les tours Khobar, 20 morts, 372 blessés
25 juin 1996 : trois ans jour, pour jour, après l’attaque par l’USAF du quartier-général des services secrets irakiens (en riposte à la tentative d’assassinat par les Irakiens du Président Bush), le 25 juin 1993 

4. Attentat du 11 septembre : 2’970 morts, plus de 3’500 blessés
11 septembre 2001 : onze ans, jour pour jour, après le discours
majeur de George H.W. Bush au Congrès le 11 septembre 1990 déclarant l’occupation du Koweit illégale, un discours qui a mené à la Guerre du Golfe 

MYLROIE : C’est très intéressant. Je n’avais jamais réalisé que le 19 avril marquait le début des inspections de l’UNSCOM. 

DRZZ : Qu’en est-il de la rencontre entre Mohammed Atta et l’officier du renseignement irakien Al-Ani, en avril 2001 ?

MYLROIE : Je pense que cette rencontre s’est bel et bien déroulée, mais ni le FBI ni la CIA ne veulent en entendre parler. Si l’on peut démontrer que l’Irak était impliquée dans les attentats du 11 septembre, ce serait une grande humiliation pour les deux agences parce que cela démontrerait leur incapacité à dominer des espions étrangers depuis les premiers attentats de 1993 contre le World Trade Center. 

La même chose est vraie pour l’anthrax. Cette arme biologique était extrêmement complexe, et il était absurde de la part du FBI de prétendre qu’un Américain pouvait en produire. Les Fédéraux ont prétendu que tout le monde pouvait en obtenir, ce qui est totalement faux. Notez que le FBI n’a toujours pas déterminé la provenance de l’anthrax. Si celui-ci avait été fabriqué aux Etats-Unis, il aurait été facile pour les Fédéraux d’en déterminer la source, parce que le matériel nécessaire pour transformer de l’anthrax en poudre est très rare. 

DRZZ : Vous avez travaillé comme conseillère de Bill Clinton lors de la campagne présidentielle de 1992. Savez-vous si l’ancien Président suspectait l’Irak après les attentats de 1993 ?

MYLROIE : Le FBI de New York soupçonnait l’Irak, et je pense que plusieurs officiels à la Maison Blanche l’ont appris. Durant la campagne présidentielle de 1992, Clinton était plus incisif à l’égard de Saddam que Bush 41, arguant que les Etats-Unis auraient dû renverser le régime irakien durant la guerre de 1991. Mais dès qu’il a été élu, Clinton ne voulait plus s’occuper de ce dossier. 

Le 25 juin 1993, Clinton a ordonné des frappes avec missiles de croisière contre le quartier-général des services secrets irakiens, en représailles à la tentative d’assassinat menée par Saddam contre l’ancien Président Bush, en avril. La version officieuse veut que ces frappes aient été également une réponse aux attentats de 1993 contre le World Trade Center. L’administration Clinton pensait que l’Irak était derrière les attentats de 1993 et jugeait que quelques missiles de croisière dissuaderaient Saddam de recommencer.

DRZZ : Quel était le but des attentats de 1993 ? Une vengeance de la guerre du Golfe ?

MYLROIE : En partie. C’était surtout une guerre d’usure menée par Saddam Hussein pour alléger les sanctions décidées contre son régime, une guerre dans laquelle la violence et l’intimidation étaient nécessaires. Je décris cette stratégie et son extension dans le temps dans Study of Revenge.  

DRZZ : Ci-joint deux vidéos créées par le blog drzz [la première est visible en fin d’interview, la seconde ici]. Votre opinion ?

MYLROIE : Merci beaucoup. Quelles formidables vidéos ! De l’excellent travail ! J’ai étudié la question depuis près de vingt ans mais certaines de vos découvertes étaient nouvelles pour moi. Merci, vraiment merci pour ces informations. Où avez-vous trouvé la citation de Haitcham Rashid Wihaib ? Et celle du journal Watan al-Arabi ?

Vous avez tout à fait raison : dire que le régime de Saddam Hussein était laïc n’a aucun sens. Une alliance entre différents partis très différents l’un de l’autre est une récurrence dans l’histoire. De plus, comme l’a écrit Bernard Lewis, il n’existe pas de division entre l’Eglise et l’Etat en Islam. Cette division – plutôt notre besoin d’en bâtir une – est presque uniquement le résultat des années Clinton. 

DRZZ : Pourquoi le gouvernement américain nie-t-il l’implication de l’Irak dans le terrorisme de masse de la décennie 1991-2001 ?

MYLROIE : Tout dépend de quelle administration vous parlez. Les membres de l’ancien  gouvernement Clinton ne veulent pas que ce dossier sorte au grand jour parce que leurs réponses ont été à l’époque inadéquates – mener une guerre contre du terrorisme d’Etat en arrêtant des individus et en les jugeant ! – et ont gravement affaibli les Etats-Unis jusqu’au 11 septembre. Clinton n’a rien fait pour stopper Saddam, et par le biais des sanctions, lui a même procuré une couverture idéale. 

Les buraucraties – le FBI, le Département d’Etat et les agences de renseignement – ne veulent pas, elles non plus, reconnaître leurs erreurs, puisqu’elles ont commis les mêmes. Pour la majorité de la soi-disante “élite” américaine, la carrière compte plus que les vies humaines, et le 11 septembre n’a pas modifié cet état de fait. 

Il y a un autre facteur, toutefois. Quelques américains ont pensé qu’ils pouvaient utiliser le 11 septembre pour transformer le Moyen Orient. Ils n’avaient pas conscience de la complexité de cette région et utilisaient des modèles datant d’une guerre précédente, de la guerre froide. Ils ne sont pas souciés de connaître les détails de l’implication irakienne dans le 11 septembre parce qu’ils tenaient à entreprendre bien plus que seulement punir l’Irak. Malheureusement, cette stratégie ambitieuse a négligé l’étude la plus basique et les Etats-Unis ont fini par mener une guerre en violation de l’axiome de Sun Tzu : “connais ton ennemi”.

DRZZ : Vous avez témoigné devant la Commission du 11 septembre. Pensez-vous que cette dernière était objective, ou a-t-on assisté à une tentative de blanchir l’administration Clinton, comme certains l’ont prétendu ?

MYLROIE : La commission du 11 septembre était “bipartisane”. Elle avait convenu avant les auditions que personne ne tiendrait ni les Démocrates ni les Républicains pour responsables du 11 septembre. Aussi a-t-elle fini par blâmer “le système”. 

Qui a déjà entendu pareille dénomination ? Notez par ailleurs que personne parmi les officiels américains n’a reçu de réprimande après le 11 septembre. 

Il est intéressant de comparer le débat américain qui a suivi le 11 septembre avec celui qui a suivi Pearl Harbor. Après Pearl Harbor, le gouvernement américain a mené plusieurs enquêtes officielles, la première étant une commission sous l’égide du Président. L’un des principaux défauts de Bush est son refus de discipliner les bureaucraties du système américain, lesquelles entretiennent aujourd’hui une sorte de chantage à l’encontre des décisions présidentielles.  

DRRZ : Laurie Mylroie, merci beaucoup pour cet interview.

MYLROIE : C’est moi qui vous remercie de traduire mes remarques afin que vos lecteurs aient une vue plus juste de la situation avant la guerre en Irak et comprennent l’absolue nécessité pour les Etats-Unis de renverser Saddam Hussein.

 

LISEZ LE rapport SUR L’IRAK

 

Saddam’s secrets
envoyé par drzz

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