Publié par Dreuz Info le 2 décembre 2008

 

Par Masri Feki

 

Paru dans Hürriyet (quotidien turc libéral) du 2 décembre 2008

Traduction de Lyn Julius

 

Dans un article intitulé « Les droits des minorités ? Non merci ! » paru dans le Guardian du 19 septembre, Brian Whitaker a commenté une conférence que j’ai donné la veille au London Middle East Institute. M. Whitaker a réduit le problème minoritaire au Moyen-Orient à la question de l’autoritarisme des régimes en place sous prétexte que tout le monde est opprimé dans cette partie du monde, et pas une communauté plus qu’une autre. Il a pris pour exemples des régimes autoritaires soit-disant issus de minorités (alaouites en Syrie, sunnites Bahreïn). Je suis en désaccord total avec cet argument.

 

D’abord les exemples avancés sont inexacts, puisque les régimes évoqués sont à la fois arabes et musulmans et se revendiquent comme tels. Ils n’incarnent par conséquent pas les angoisses et les difficultés que ressentent les minorités dont il a été question lors de notre conférence.  Les clivages qui les distinguent du reste de leurs sociétés sont plutôt d’ordre clanique et tribal que national ou religieux. Enfin, nous constatons qu’outre le problème de gouvernance dont souffre l’ensemble des sociétés de la région, il existe des problèmes spécifiques aux minorités, c’est-à-dire à ceux qui ne se retrouvent pas dans le schéma « arabo-musulman » qui nous a été imposé au lendemain de la chute de l’Empire ottoman et dont les deux pôles (l’islamisme et l’arabisme) sont décrits dans les lignes qui suivent.

 

L’islam politique est incompatible avec la citoyenneté

 

L’islamisme est une idéologie exclusiviste par définition. En rejetant la conception moderne de la citoyenneté, il écarte l’hypothèse d’une participation civique non-musulmane. Sa constitution est immuable (droit divin), son programme ne peut être remis en cause puisqu’il émane du Créateur du monde. Absolutiste par nature, son discours exclut les incroyants et par conséquent les non-musulmans. En contradiction apparente avec les principes constitutionnels des gouvernements en place, ces derniers ont beaucoup cédé pour éviter de s’attirer les foudres de l’opposition islamiste alors qu’ils manquent d’assise populaire et de légitimité.

 

Même les régimes arabes se revendiquant du socialisme progressiste (Egypte, Syrie, ancien Irak) ont contribué, par leur passivité, à l’essor de l’islam politique. En Egypte par exemple, c’est avec Sadate que l’islam investit la sphère publique dans les années 70.




Les Frères musulmans connaissaient alors une véritable lune de miel avec celui qui se faisait appeler « le président croyant ». Certains d’entre eux trouvaient des postes importants dans l’administration et les universités. Militants d’une lecture littérale du Coran excluant les infidèles de la vie publique, ils serviront aux yeux de Sadate de bouclier contre le communisme tandis que les Coptes deviennent la cible privilégiée de la violence islamiste et l’objet d’une discrimination diffuse. Ces 15% des Egyptiens n’occupent désormais que 1.5% des emplois dans la Fonction publique, ne détiennent qu’un seul siège au Parlement (sur 444) et sont quasiment exclus des hauts échelons de l’armée et de la magistrature. L’interdiction de pratiquer l’obstétrique ou d’enseigner l’arabe, les contraintes légales et administratives liées à la construction et à l’entretien des lieux de cultes chrétiens, la faible visibilité des communautés chrétiennes sur la scène politique et dans les médias officiels sont autant de preuves non seulement des discriminations bien réelles auxquelles celles-ci doivent faire face mais aussi du manque d’empressement des autorités d’y mettre fin, ce qui est régulièrement dénoncé dans les rapports annuels du Comité des droits des l’homme des Nations unies.

 Cérémonie copte.

Les arabophones ne sont pas tous Arabes

 

Certes, une langue commune est un facteur d’unité capable de rapprocher les membres disparates d’une nation donnée. Mais tout comme la religion n’est pas la caractéristique d’une ethnie, la langue n’est pas un critère objectif suffisant pour créer une nation. De nombreux peuples dans le monde partagent une même langue sans pour autant constituer une seule et même nation. En réalité, les Egyptiens ne sont pas plus Arabes que ne sont Espagnols les Mexicains et les Péruviens. Ce qui fonde la nation, c’est la référence à une entité géographique, le partage de mêmes valeurs, une communauté de convenances politiques, d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et de rêves communs. A contre-courant de toutes les expériences nationalistes venant couronner des faits nationaux, objectifs et observables, le nationalisme panarabe est plus le créateur que la création de la nation arabe. Sa conception arbitraire de la nation qui veut que l’on soit Arabe malgré soi, pour la simple raison que l’on fait usage de la langue arabe met à l’écart d’importants récits historiques et de légitimes revendications nationales.

 

Ce n’est pas pour autant qu’il faut rejeter la légitimité de l’identité arabe. Le nationalisme arabe (l’arabisme) n’est pas illégitime en soi, mais la définition extensive qu’il revendique (le panarabisme) dénie les identités nationales des peuples non-arabes qui ont adopté l’arabe comme langue nationale (Egyptiens, Soudanais, Somaliens), mais aussi de ceux qui ne l’ont pas adopté. L’arabisation forcée des populations kurdes en Irak et en Syrie,

la persécution permanente des minorités coptes en Égypte, assyriennes et chaldéennes en Irak, le harcèlement continu des dernières communautés juives des pays arabes de la région (Yémen, Syrie, Irak), et le recours à la violence, l’intimidation et la négation culturelle à l’encontre de toute minorité qui refuse d’être à la botte du panarabisme exprime le chauvinisme belliqueux de cette idéologie.


 Chaldéens “nestoriens ou assyriens”


Le Moyen-Orient est une « aire de diversité »

 

Cette conception étonnante de l’identité nationale et religieuse, est pourtant en totale contradiction avec les grandes valeurs arabes et ne représente aucunement les revendications de la mosaïque culturelle, ethnique, religieuse et linguistique qu’a toujours été le Moyen-Orient. Il est temps de faire la distinction entre, d’une part, les Arabes les musulmans. Et de l’autre, entre l’arabité et l’arabophonie.

 

Si l’intervention militaire en Irak et le renversement du régime chauviniste de Saddam Hussein a apporté un quelconque résultat positif, hormis le déclenchement timide d’un processus politique démocratique, c’est sans doute le dévoilement de la grande diversité confessionnelle, ethnique et culturelle du Moyen-Orient qui demeure une réalité résiliente. Apprendre à accepter l’ « autre » avec sa différence et son identité est le vrai défi que nous devons affronter.

 


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