Publié par Dreuz Info le 13 août 2009


Entretien avec

Konstantin PREOBRAZHENSKY

Agent des services de renseignement extérieur de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (KGB) entre 1976 et 1991.

 

Lieutenant-colonel, il a terminé sa carrière dans le renseignement comme conseiller sur la Japon, la Chine et la Corée pour Leonid Zaitsev, n-2 du KGB et chef du Département de Renseignement Technique et Scientifique (Département “T”) du Premier Directorat du KGB. 

 

Devenu commentateur pour le Moscow Times à la chute du Mur de Berlin, Mr. Preobrazhensky a dû fuir la Russie en 2003 sous les menaces du régime de Vladimir Poutine. Dans les années qui ont précédé sa fuite, les services secrets russes ont tenté de le faire taire à plusieurs reprises, y compris par l’arrestation arbitraire. 

 

Lorsqu’il travaillait en URSS, Mr. Preobrazhensky occupait le bureau à côté de celui de Vladimir Vetrov, le plus célèbre des agents doubles du KGB qui trahit au profit de la France au début des années 80 (“affaire Farewell”). Ils étaient de proches amis. 

 

Mr. Preobrazhensky était également un proche d’Alexandre Litvinenko, l’agent du FSB assassiné en 2006 à Londres.

Installé aux Etats-Unis, Mr. Preobrazhensky a depuis été maître de conférence à l’Université Columbia, John Hopkins et Georgetown. Auteur de plus de dix ouvrages sur le KGB, il est l’un des spécialistes les plus renommés sur le renseignement russe et sa mutation post-guerre froide en deux services, le FSB et le SVR.

 

 

 


 

PREMIERE PARTIE

 

 

 

drzz.info : La Russie est donc un ennemi ?

 

PREOBRAZHENSKY : Il faut faire une distinction entre les attitudes américaine en russes face au terrorisme. Alors que les Etats-Unis voient dans les islamistes une menace extérieure, la Russie voit le terrorisme comme un outil de manipulation et un moyen de porter le conflit à l’étranger. Le terrorisme islamiste n’est qu’une infime partie de l’histoire du terrorisme mondial. Avant que les islamistes ne deviennent une menace globale, le KGB utilisait le terrorisme pour faciliter la victoire du communisme sur la planète.

 

Si vous comprenez cette filiation entre services secrets russes et terrorisme, le lien entre Russes et islamistes devient évident. Feu Alexandre Litvinenko, empoisonné en novembre 2006 à Londres, m’a expliqué que son service, le FSB, a assuré l’entraînement de Ayman al-Zahawiri et Juma Namangoniy entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Al-Zahawiri a ensuite rejoint Al-Qaeda. Namangoniy, né en Ouzbekistan, a lui aussi rejoint la nébuleuse et est devenu bras-droit de Ben Laden sur le front nord afghan.

 

En 1996-1997, mon ami Alexander Litvinenko a fait partie de la section assurant la sécurité d’al-Zahawiri durant son voyage d’instruction au Daghestan, dans le nord du Caucase.


A cette époque Litvinenko était directeur de la Sous-Division du Terrorisme International du Premier Département du Directorat Investigation-Renseignement de la cellule antiterroriste du FSB.  Il a reçu l’ordre de superviser une mission délicate : empêcher la police russe d’apprendre l’existence du voyage d’al-Zahawiri. Même si ce dernier avait voyagé en Russie sous une fausse identité fournie par le FSB, la police était tout de même en mesure de le repérer et en informer Moscou. Un tel procédé pouvait lever la couverture d’al-Zahawiri comme collaborateur du FSB. Afin de prévenir une telle éventualité, Litvinenko a visité un panel de hauts fonctionnaires de police et leur a dit de l’avertir à l’avance, et en priorité, s’ils entendaient parler d’un groupe d’Arabes suspects en visite dans le Caucase. Al-Zahawiri a pu voyager sans encombres.

 

Juma Namangoniy pour sa part a été étudiant au Centre de Sabotage du Premier Directorat du KGB en 1989-1991. Un grand nombre de célèbres terroristes ont passé par cette école [NdT : notamment Ali Hassan Salameh, qui organisa le massacre de Münich en 1972, et Carlos « le chacal » de triste réputation]. L’établissement est aujourd’hui tenu par le FSB. A l’époque du KGB, seuls les officiers supérieurs pouvaient y être formés. La présence de Juma Namangoniy suggère qu’il était plus qu’un simple collaborateur civil.

 

 

drzz.info : Litvinenko a-t-il été éliminé parce qu’il connaissait la connexion entre la Russie et Al-Qaeda ?


PREOBRAZHENSKY : Non. Poutine ne pardonne aucune révélation, insulte ou moquerie le concernant. Bien avant 2006, Alexander m’avait révélé que Poutine avait donné l’ordre de sa mort. Poutine ne discute pas.


 

drzz.info : Quelles révélations Poutine craint-il ?


PREOBRAZHENSKY : Il existe un blanc dans sa biographie. Elle sert à cacher dans quelle division inférieure il travaillait avant d’être posté à l’étranger : dans la « Cinquième Ligne » du Directorat du KGB de Leningrad. La « Cinquième Ligne » était connue pour être la branche du service qui combattait les dissidents et l’église.

 

Poutine était un partisan de la ligne dure contre les anticommunistes. Même aujourd’hui, il ne cache pas ses vues pro-communistes. Il voue un culte à l’histoire soviétique et à Staline. Dès son arrivée au Kremlin, il a ruiné les ébauches de démocratie construites par son prédécesseur. Poutine déteste la démocratie. Son premier objectif est la restoration du système soviétique. Il veut revenir aux années staliniennes et replonger le monde dans la guerre froide. 

 

En réalité, Poutine n’a jamais fait du renseignement. Il travaillait pour le 5ème Directorat y compris lors de son déploiement à Dresde, en RDA. Il devait surveiller la « Maison de la Culture » fréquentée par le personnel soviétique. En d’autres mots, sa mission consistait à traquer les Russes qui, à Dresde, s’écartaient de l’idéologie communiste : ceux qui échangeaient des propos antisoviétiques ou pro-américains, ceux qui cherchaient à fuir à l’Ouest ou ceux, plus simplement, qui se moquaient du système. 

 

Pourtant, même cette affectation mineure ne lui a pas réussi. Au terme de son service en RDA, au lieu d’être affecté à Moscou comme tout officier méritant, Poutine a été humilié puisqu’on l’a renvoyé à Leningrad. Pire encore, là-bas, il a terminé comme Directeur du Département de Relations Internationales de l’Université de Leningad où, « sous couverture », il devait surveiller les étudiants dissidents. C’était le plus bas du plus bas, la pire des pires affectations. Je pense que le KGB l’a puni pour provoqué un scandale en Allemagne, un scandale qui n’a pas encore été révélé au grand jour.

 


drzz.info : Et Medvedev ?


PREOBRAZHENSKY : Medvedev est un non-sujet. Il n’est pas président. C’est devenu évident à mes yeux durant la guerre en Géorgie l’année passée. Medvedev a démontré qu’il n’aspirait pas au pouvoir supreme, alors que c’est le premier rôle d’un président russe. Medvedev a pour rôle d’abuser l’Occident et de le laisser croire que la Russie élit ses dirigeants. Medvedev a renoncé à ses fonctions présidentielles pour les calquer sur les décisions de Poutine.

 

drzz.info : Cette “soviétisation” de la Russie menace-t-elle ses voisins?

 

 

PREOBRAZHENSKY : L’Ukraine est d’abord en ligne de mire. Poutine en parle comme d’une partie légitime de la Russie. Il est possible que le Kremlin ordonne une opération militaire dans un futur proche pour détourner les Russes de la crise économique. Pour l’instant, c’est la Géorgie qui joue ce rôle. L’armée russe cherche l’escalade à la frontière.

 


drzz.info : Et sur le plan intérieur ?


PREOBRAZHENSKY : Natalia Etermirova [enlevée et exécutée le 15 juillet 2009] a été éliminée pour deux fautes rédhibitoires : elle était journaliste, et militante des droits de l’homme. Ces gens sont haïs dans la Russie de Poutine. Et leur élimination est une routine : sur les six dernières années, le pouvoir russe a exécuté 315 journalistes. Seuls 36 sont morts durant le conflit tchétchène. Les autres ont été éliminés en « temps de paix ».

 

Natalia Etermirova avait un défaut supplémentaire : elle était Tchétchène. Selon la nouvelle politique de Poutine dans le Nord du Caucase, toutes les personnes importantes de cette region doivent être exécutées. C’est une tactique très efficace puisque les Tchétchènes et les Ingush sont des peuplades à faible densité et donc difficilement renouvelables.

 

Le pouvoir russe a testé cette politique d’abord sur la mafia. Durant la décennie des années 90, le FSB et la police exécutaient systématiquement tous les chefs de la mafia. Les résultats ont suivi : la mafia est passée sous contrôle des services secrets. Aujourd’hui, la mafia russe prospère en Occident grâce au renseignement russe.

 

Malheureusement, les assassinats de journalistes russes se poursuivront. Il est mortellement dangereux d’être dissident dans la Russie de Poutine. J’ai choisi l’exil pour cette raison.

 

 

drzz.info :  Terminons par la France. Comment la Lubianka voyait-elle Paris alors, et aujourd’hui ?

 

PREOBRAZHENSKY : La nouvelle tactique du renseignement post-guerre froide est de recruter parmi les nationalistes russes installés à l’étranger. Ils sont la « cinquième colonne » de l’Occident. Depuis sa prise de pouvoir, Poutine a relancé l’infiltration massive de l’Ouest. Les moines orthodoxes, les oligarques russes, les journalistes….

 

En Europe, les émigrants russes d’Allemagne sont les plus discrets. Londres est une  vraie plaque tournante.

 

L’un des pays où cette situation est la plus dramatique est la France. L’émigration forcée de milliers de Russes suite à la révolution communiste de 1917 a créé une importante communauté russe dans ce pays. Et le KGB l’a travaillée au corps pour la démoraliser. La communauté russe française est parmi la plus infiltrée du monde, et cela dure depuis près d’un siècle. Des familles françaises ont travaillé de génération en génération pour le KGB.

 

Triste ironie de l’histoire, les descendants de glorieuses familles aristocratiques, jadis expulsées par les Bolchéviques, se prosternent aujourd’hui devant ceux qui ont torturé et exécuté leurs parents et grands-parents.  Bien sûr, il faut ajouter la gauche et l’extrême-gauche, qui a une grande influence en France, et dans laquelle le renseignement russe puise ses agents.


Il existait un adage dans le service : « là où il y a des communistes, il y a le KGB ». Cela vaut aussi pour la France.

 

Poutine connaît le système, et prend part aux opérations d’intoxication contre la France. Prenez cet exemple que m’a rapporté Vladimir Bukovsky, un célèbre dissident russe établi à Londres. Le Kremlin est fasciné par Sarkozy, qui descend d’une famille de l’ex-Union Soviétique. Pour l’approcher, les services secrets russes ont établi une méthode spéciale. En 2008, Bukovsky a rencontré Sarkozy, et ce dernier lui a dit à propos de Poutine : « Un homme qui aime autant les femmes et la belle vie ne peut pas être mauvais ! » 

 

Or, il se trouve que Poutine n’a absolument pas la réputation d’être un homme à femmes. C’est même un sujet tabou parmi ses sympathisants. Cela signifie que cette fausse image de Poutine a été créée spécialement par les services secrets russes pour plaire à Sarkozy. Le profil psychologique de Sarkozy montre qu’il aime les belles choses et les belles femmes. En collant à Poutine cette même réputation, le renseignement russe a réussi son pari : Sarkozy est aujourd’hui convaincu d’avoir beaucoup en commun avec son homologue russe.

 

C’est là que réside la différence de taille entre l’ère soviétique et l’ère poutinienne : aujourd’hui, la plupart des dirigeants occidentaux voient Poutine comme un ami. Ils cherchent absolument à plaire au Kremlin. Et la première conséquence de cette attitude, c’est que les services secrets russes peuvent infiltrer l’Occident sans craindre la riposte.

 

 

 

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