Sur fond d’une montée du courant islamiste , le débat s’est ouvert en Tunisie après un appel visant à légaliser à nouveau la polygamie comme une solution aux problèmes sociaux tels que les liaisons extraconjugales et les célibats malheureux.
La polygamie est devenu un sujet brûlant en Tunisie, où respect des traditions et style de vie moderne s’affrontent de plus en plus.
Dalanda Sahbi, une membre d’un parti conservateur, qui a lancé son appel le 11 août dernier lors d’un séminaire consacré aux acquis obtenus par les femmes de Tunisie, s’est dite favorable à la polygamie par suite de ce qu’elle décrit comme “l’augmentation du nombre de femmes non mariées et en état de dégénérescence morale et de libertinage excessif qui favorisent les affaires extraconjugales“.
“Nous devons autoriser la polygamie parce que nous ne nous en sortons pas mieux que les autres pays arabes“, a ajouté Sahbi, une femme extrémiste de la nouvelle génération . “Plus important encore, l’Islam le permet et le Prophète Mahomet nous en fournit un bon exemple.”
La Tunisie avait interdit la polygamie il y a de cinquante ans aux termes de son Code sur le statut personnel. Depuis 1957, cette pratique est punissable de peines de prison pouvant aller jusqu’à six mois. Une exception jusqu’ici unique et avant-gardiste par rapport aux restes des pays de la Conférence islamiques qui comptent 56 Etats.
L’idée de Sahbi lui a valu un accueil très froid de nombreux autres participants à ce colloque, organisé par le Parti d’opposition Socio-Libéral à l’occasion de la Journée nationale de la Femme, le 13 août dernier, et pour parler des progrès des femmes en Tunisie depuis l’adoption du Code sur le statut des personnes.
“Cet appel isolé n’a reçu aucun soutien des participants à ce colloque“, a déclaré Roda Al Saibi, membre du bureau politique du parti. “Au contraire, il s’est heurté à une forte opposition de nombreuses femmes, qui ont insisté sur le respect du Code sur le statut des personnes, dont les femmes tunisiennes sont fières.” dit –t-elle.
L’idée de la polygamie a rencontré les sarcasmes de Nissrine, une participante à ce séminaire, qui a demandé si les Tunisiens étaient tellement capables de satisfaire une femme qu’ils étaient désormais prêts à en épouser une deuxième, puis une troisième.
En fait, le célibat semble préférable pour d’autres comme Khadija, une femme non mariée dans la cinquantaine, qui a déclaré : “Je préfèrerais rester célibataire toute ma vie que d’être une seconde épouse.”
Le journaliste indépendant Mokhtar Tlili, qui était présent à ce séminaire, a expliqué que la polygamie avait été définitivement rejetée avant même l’adoption du Code sur le statut des personnes. Toutefois, dans le contexte de la résurgence du fondamentalisme islamique en Tunisie, la question est revenue à l’ordre du jour.
“Les femmes, comme à l’accoutumée, sont transformées en un outil d’un conflit qui, s’il apparaît en surface religieux, est une réalité politique“, a affirmé Tlili, ajoutant que de nombreux Tunisiens “sont désormais obsédés par [la polygamie] pour des raisons bestiales et instinctives. Mais ils n’oseront jamais l’avouer en public.”
Hors des murs de ce colloque, les opinions sur la polygamie varient, allant d’une attitude favorable à un rejet immédiat.
“En dernier ressort, la polygamie est une chose permissible et autorisable, à condition que les hommes soient capables et justes”, explique Ramzi Al Badaoui un participant au séminaire.
“Mais parce que la polygamie est condamnable, la situation est devenue plus complexe“, poursuit-il. “Il y a certaines situations humaines qui obligent les hommes à épouser une seconde femme — par exemple, pour avoir des enfants parce que leur première femme est stérile.”
Mais Al Badaoui ajoute qu’il serait injuste “de divorcer et d’abandonner sa première femme après avoir vécu avec elle pendant longtemps, pour la seule raison d’en épouser une autre“.
Samira Laouati, une femme voilée et mariée dans la trentaine, critique le Code sur le statut des personnes, y voyant une manifestation de la volonté de l’ancien Président Habib Bourguiba, opposée à celle des femmes tunisiennes. Elle estime que cette loi a aidé à répandre la décrépitude morale et à encourager au divorce.
Selon les chiffres récents officiels, la Tunisie a enregistré un chiffre record de 9 127 divorces en 2008, contre 16 000 mariages. Le pays est classé désormais comme le quatrième au niveau mondial dans le nombre des divorces proportionnellement aux mariages et aussi le premier dans le rang des pays arabes !
Parmi les principales causes de ces divorces se trouvent la violence domestique et les différences de niveaux culturels et sociaux ; les causes moins fréquemment citées sont la stérilité, le handicap, la perte de la virginité avant le mariage, la tromperie, le manque de confiance et la jalousie.
“J’espère que les lois interdisant la polygamie en Tunisie seront abolies, afin que nous puissions lutter contre la tendance des femmes au libertinage arrogant qui ne respecte ni le mari ni aucune règle“, a affirmé Laouati qui porte le voile islamique. “J’espère que la polygamie les remettra sur le bon chemin.” poursuit t-elle.
“Je n’affirme rien de nouveau“, a ajouté Laouati. “Notre religion le permet, et il n’y a aucun doute possible à ce sujet.”
Toutefois, Ahlam Bouchaouel, célibataire, s’interroge sur la pertinence de la polygamie dans la résolution des problèmes sociaux dans le monde arabe. “La polygamie dans les pays du Golfe a-t-elle mis un terme à la corruption morale et au célibat ?“
L’appel à légaliser la pratique interdite de la polygamie suscite la controverse en Tunisie, en particulier chez les femmes occidentalisées, qui craignent d’y voir un coup porté à leurs acquis sociaux. Ce appel intervient après la recrudescence du nombres des femmes voilées en Tunisie, qui a débuté depuis septembre 2001, et qui a constitué une rupture avec toutes les traditions vestimentaires du pays et une valorisation d’un modèle fanatique très répandu dans les pays où les femmes continuent de subir la torture, la répudiation, le divorce unilatéral, la tutelle matrimoniale et bien d’autres discriminations.
Ftouh Souhail, Tunis