Publié par Dreuz Info le 22 février 2010

 

Bernard Kouchner veut imposer l’Europe au Proche-Orient et la France dans le jeu mondial. Le ministre des Affaires étrangères réforme la diplomatie française et défend son rôle et sa politique dans cette interview vérité au Journal du Dimanche.

 


Israël est-il un Etat voyou, qui utilise des passeports de pays amis pour exécuter ses ennemis?

Nous condamnons les exécutions ciblées et l’utilisation de faux. Les agents n’ont pas usurpé l’identité d’un de nos ressortissants, contrairement aux Britanniques, mais ont utilisé un faux passeport français et un faux nom. Notre condamnation est sans nuance.


Jusqu’où peut aller cette crise avec Israël?

Ce qui doit faire dépasser cette crise, c’est l’affirmation du rôle politique de l’Europe pour imposer, vite, le chemin de la paix et la création d’un Etat palestinien. Recevoir Mahmoud Abbas, le président palestinien, avec qui je dîne dimanche, c’est soutenir l’homme qui porte la solution des deux Etats. La question qui se pose, en ce moment, c’est la construction d’une réalité : la France forme des policiers palestiniens, des entreprises se créent en Cisjordanie… Ensuite, on peut envisager la proclamation rapide d’un Etat palestinien et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières. Je serais tenté par cela. Des pays européens. Je ne suis pas sûr d’être suivi, ni même d’avoir raison.


Mais cette affaire dit-elle quelque chose sur ce que devient Israël?

Elle dit la nécessité de la paix et d’un Etat palestinien, immédiatement. Un Israël en paix retrouverait pleinement les valeurs qui l’ont fondé et pour lesquelles nous tenons à sa sécurité et à son existence – pour lesquelles nous tenons à lui.


«La diplomatie française nourrit la politique»

En France, vous réformez l’organisation de la diplomatie, par une loi au Parlement. Pourquoi se préoccuper d’intendance quand on est au front?
Parce qu’il ne s’agit pas d’intendance mais des moyens de notre puissance et de notre influence. Nous avons décidé, en France, de garder un système diplomatique universel, donc d’être représentés dans tous les pays. Mais pour que ce réseau soit performant, il faut repenser ses missions. Les rapports entre les chefs d’Etat, entre les ministres se passent directement…


Et les ambassades ne servent plus à rien?

Elles sont indispensables, mais l’art diplomatique a changé. Il intègre l’économie. Il intègre l’écologie, dorénavant. On en a eu besoin avec Copenhague, on aurait pu insister encore plus. La culture et la science aussi. C’est cela que nous renforçons, en créant un réseau culturel, qui pourrait être baptisé “Victor Hugo”, un établissement public qui refondera les 143 centres culturels français à l’étranger. Nous créons une agence, comme l’ont fait les Espagnols, les Allemands avec le Goethe-Institut. Nous répondons à une demande de la France, qui est de plus en plus importante. Pas seulement l’histoire… Mais ce que dit la France aujourd’hui, et ce qu’elle inspire des pays avec qui elle dialogue.


Créer cette agence, c’est dépouiller les ambassades?

Non. Pendant trois ans, les ambassadeurs auront ce réseau “Victor Hugo”, fort de 6.500 personnes à leur disposition. Si ça ne marche pas, on fera le point. C’est une chance extraordinaire pour les diplomates. Et les moyens de notre puissance. Dans le dernier centre où je suis allé, on a projeté le dernier film de Yann Arthus-Bertrand sur le réchauffement climatique et la mondialisation, avec la participation des femmes sénégalaises. On était au cœur de ce que veut dire la France.


C’est ça, le rôle des représentations diplomatiques? Faire vivre des débats?

La diplomatie française nourrit la politique. Quand le Président va en Haïti. C’est nous qui travaillons d’arrache-pied pour préparer le voyage.


Vous êtes l’intendance…

Non, nous sommes les inspirateurs. Haïti, par exemple. Nous sommes arrivés les premiers là-bas. Toutes les décisions qui structurent l’avenir d’Haïti, nous y avons pris part. Avec Hillary Clinton, nous nous sommes téléphoné constamment. Avec Bill aussi !


«Notre diplomatie est un travail collectif»

Chacun sait la centralisation de la diplomatie à l’Elysée, la part prise par le secrétaire général, Claude Guéant… C’est une illusion?
C’est une réalité que je connais, à laquelle je participe. Je reçois toutes les semaines Jean-David Levitte, le chef de la cellule diplomatique du Président ; et je vais toutes les semaines voir Guéant. Notre diplomatie est un travail collectif. Guéant fait un travail particulier que lui seul peut faire. Je sais qu’il va en Algérie, approcher certains milieux. J’irai après. Entre les hommes, ce n’est jamais simple. Mais il y a beaucoup plus de connivence qu’on ne le croit. Ensuite, quand nous sommes en désaccord, ça arrive, c’est le Président qui décide. Mais il est plus facile de ne pas être d’accord avec ce Président qu’avec Chirac ou Mitterrand. Avec Nicolas Sarkozy, la discussion est ouverte. Mais le Quai d’Orsay inspire notre politique.


Par exemple?

La Guinée, c’est nous. Nous n’avons pas accepté ce massacre dans un stade. Nous avons dit non à tout accommodement. Immédiatement. J’ai convaincu en France, je l’ai dit trois fois en Conseil des ministres, contre ceux qui prônaient un faux réalisme, suggéraient qu’on allait récupérer la Guinée, ce pays riche…


A l’intérieur du pouvoir, d’autres prônaient l’accommodement?

A l’intérieur et à l’extérieur, certains pensaient qu’on en faisait trop sur les droits de l’homme. Prenez le Rwanda. On a renoué. J’ai convaincu le Président de prendre ce chemin. Il m’a écouté, aussi parce que j’étais au Rwanda à l’époque du génocide. ça n’a pas été facile. L’armée redoutait d’être mise en accusation. Il ne s’agit aucunement de cela. On est allé par étapes, Nicolas Sarkozy a rencontré Paul Kagamé. Il va en voyage officiel cette semaine. Et on parlera d’une commission d’historiens, pour établir ce qui s’est passé alors… ça prendra des mois et des années, mais ça se fera…


Et si le pouvoir rwandais accuse la France ou demande des excuses? Nicolas Sarkozy est contre le principe de repentance.

J’ai rencontré souvent Paul Kagamé, il n’est pas sur cette demande. Notre politique est une politique réfléchie et déterminée, qui prend ses risques et les porte avec une obstination intéressante. Et Nicolas Sarkozy n’est pas opposé à ce que la France regarde son histoire. En Haïti, il a parlé des méfaits de notre colonisation. Deux siècles après, c’était bien le moins, mais il l’a fait, et ce qui nous intéresse, c’est la reconstruction.


Il faut un tremblement de terre pour retrouver Haïti.

Nous sommes un pays qui a une grande histoire. Et qui met du temps à la considérer. Il s’enorgueillit d’événements lointains, et a du mal à regarder des événements récents moins glorieux : le colonialisme. Ça changera. Ça change.


«L’anticolonialisme est mon premier engagement»

Quand va-t-on se retrouver avec l’Algérie?
Nos rapports avec l’Algérie ont été à ce point sentimentaux, violents et affectifs que tout est très difficile et très douloureux. L’Algérie a été vécue comme française en France, quand elle était une colonie de peuplement. L’anticolonialisme est mon premier engagement. La génération de l’indépendance algérienne est encore au pouvoir. Après elle, ce sera peut-être plus simple.


L’Algérie n’a pas aimé être placée sur une liste de pays à risques en matière de terrorisme. Vous comprenez cette humiliation?

C’est une norme de sécurité, et l’Algérie n’est pas seule en cause. Les Algériens sont choqués, et c’est vrai qu’ils se battent courageusement contre Al-Qaida. Mais nous appliquons des règles de sécurité.


Vous voulez porter le rayonnement français… Quand l’ancien Premier ministre belge qualifie de quasiment pétainiste notre débat sur l’identité nationale, c’est compliqué?

J’ai répondu à cela. Je souhaite à nos amis belges d’aussi bien gérer leur identité que nous.


Et au-delà de cette pique, vous admettez que ce débat a abîmé notre image?

Le débat n’est pas terminé. Il a été très critiqué en France aussi. Cela dit, il y a une identité de la France. Il y a un besoin de France, une demande de France et en même temps parfois un rejet, parce que nous avons été des colonisateurs… C’est pour répondre à cette demande et conjurer ces rejets que nous créons ce réseau culturel. Cette identité française est inséparable de ce qu’on attend de la France. Cette attente je la vois tous les jours dans le regard des autres. Ce que je vois, c’est une identité fondée sur l’histoire ; sur la littérature, la culture ; sur les droits de l’homme, et les french doctors, pardonnez-moi, en font partie ; et aussi sur un système social qui nous a protégés pendant la crise.


Pour un anticolonialiste qui a inventé les médecins globe-trotters, un débat se concluant sur La Marseillaise à l’école, c’est franchouillard?

Non. La Marseillaise à l’école, oui. Et je regrette même les tabliers à l’école, pas par nostalgie mais parce que ça gommait les différences sociales. Mais bien sûr, je sais que cela ne résume pas l’identité nationale…


Quand le gouvernement auquel vous appartenez expulse des sans-papiers, ça rend votre tâche de “vendeur de la France” plus difficile?

J’ai dit que j’étais contre les expulsions d’Afghans. Je voudrais, comme le Président, que s’installe une politique européenne en matière d’asile et d’expulsions. Maintenant, au Mali, par exemple, nul ne m’a reproché notre politique. Il y a une réalité du monde, qui ne m’amuse pas. Les habitants des pays pauvres vont continuer à venir chez nous. Et nous sommes amenés à expulser ceux qui ne sont pas dans le cadre de la loi. J’espère que viendra un peu plus d’égalité. Mais cela prendra du temps.

http://www.lejdd.fr/International/Actualite/Kouchner-Vite-un-Etat-palestinien-173756/

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