Par Michel Gurfinkiel
« La carte n’est pas le territoire », disait le logicien américano-polonais Albert Korzybski. Géologique, d’état-major, routière, politique, elle « représente » l’espace de façon sélective, donc approximative. Mais le plus souvent, nous oublions cette vérité d’évidence. Le réveil, au détour du chemin, est rude.
Un premier exemple, emprunté à l’actualité : la crise belge. Nos cartes nous disent que l’Union européenne est un vaste espace de paix, de démocratie, de liberté et de fraternité. Et que Bruxelles en est la capitale.
Mais le territoire dit autre chose. Que Bruxelles est aussi la capitale de la Belgique, pays qui a peu à peu implosé dans la seconde moitié du XXe siècle sous la double pression des féodalités politiciennes, syndicales, idéologiques, des nationalismes linguistiques flamand et wallon, de la démographie et d’obscures pulsions de revanche et de lutte des classes remontant au moins au Moyen-Age. Que, du fait de ce délitement progressif de l’Etat belge, Bruxelles est devenue une enclave francophone dans une région flamingante. Que le cœur de l’agglomération – Bruxelles-Capitale – , pour des raisons purement idéologiques, sinon démagogiques, a été déclaré bilingue. Que quelques quartiers francophones subsistent à proximité immédiate, mais en zone flamande. Que les Flamands n’en finissent pas d’exiger leur « normalisation », c’est à dire leur défrancophonisation forcée. Que, l’un dans l’autre, cette crise conduit à la chute du gouvernement belge, et à la remise en question, une fois de plus de l’existence même de la Belgique en tant que nation. Et surtout, que l’Europe n’en peut mais. Ni les Flamands ni les Wallons ne pensent à elle dans cette querelle. Ni sa Commission, ni son Parlement, tout bruxellois qu’ils soient, n’osent s’en mêler, même quand les extrémistes flamingants violent le plus naturel des droits de l’homme, celui de parler sa langue natale.
Deuxième exemple d’actualité, la Kabylie. La carte nous dit que c’est une petite région montagneuse située au nord de l’Algérie, où la population parle un dialecte berbère.
Le territoire dit que c’est un pays de quelque 40 000 kilomètres carrés (une fois et demi la Belgique, trois fois la Flandre, trois fois la Wallonie) situé au nord de l’ « Etat failli » par excellence, mi-totalitaire, mi-mafieux, et totalement non-fonctionnel, l’Algérie « arabo-islamique » . Mais aussi une nation de dix millions d’âmes. Cinq millions d’habitants, tous Kabyles, en Kabylie. Deux autres millions de Kabyles dans le Grand Alger, sur cinq millions. Un à deux millions de Kabyles en France. Historiquement, la Kabylie fut le principal foyer de résistance à la colonisation française. Pendant la guerre d’indépendance, de 1954 à 1962, les maquis kabyles ont fourni 80 % de la force de frappe du FLN. Mais après l’indépendance, ce dernier, rallié sous l’influence d’Ahmed Ben Bella au nationalisme arabo-islamique, a mis la Kabylie au pas, pendant une guerre civile de plus d’un an, de l’automne 1963 à l’été 1964. La langue berbère était interdite. Le rôle de la Kabylie dans la guerre d’indépendance, nié. La réalité d’un peuple qui se voulait profondément algérien, bafouée.
Les Kabyles se sont réveillés voici trente ans, quand l’Etat-FLN commençait à se désintégrer sous le poids de son ineptie, au printemps 1980. Manifestations, répression : des centaines de morts. Depuis, la Kabylie vit en état de sécession virtuelle. Un puissant mouvement autonomiste, dirigé par un chanteur-poète, Ferhat Mehenni, milite de manière non-violente pour la création d’un Etat kabyle laïque, doté d’une large autonomie, qui pourrait être à l’Algérie ce que le Québec est au Canada. Mehenni procède par étapes depuis le début de l’année. Voici dix jours, pour célébrer les trente ans du printemps kabyle ou berbère, il a proclamé un gouvernement provisoire kabyle. Des dizaines de milliers de personnes manifestaient au même moment en sa faveur à Tizi-Ouzou et dans les grandes villes de Kabylie.
Mais la carte dit : Algérie. La classe politique européenne, et notamment la classe politique française, qui devrait être un peu mieux informée, voient donc le problème kabyle sans le voir. Au mépris de leurs principes. Au mépris de leurs intérêts aussi. Un Etat kabyle laïque et non-violent apporterait de la sérénité au Maghreb et par voie de conséquence à la France et à l’Europe. Mais « il n’est pas sur la carte ». Et pour les princes qui nous gouvernent, c’est la carte qui vaut. Jusqu’à ce que le territoire se venge, bien entendu.
La carte avait déjà été invoquée contre le territoire à Munich, en 1938, contre la Tchécoslovaquie. Avec les conséquences que l’on sait. La leçon ne cesse d’être rabâchée, mais personne ne croit qu’elle s’applique à lui. Comment l’Union européenne, qui ignore ce qui se passe littéralement sous ses yeux à Bruxelles, ose-t-elle préconiser un « partage » de Jérusalem ? Comment la même Union, aveugle devant les Kabyles, ose-t-elle se mêler du droit des Juifs à Israël ?
© Michel Gurfinkiel, 2010
les leçons du passé,
une chose trop dur a apprendre pour des politiques qui ne regardent que l’avenir
(et encore pas plus loin que la prochaine éléctions ! )
En ce qui concerne la Belgique, le problème ne tardera pas à se régler parce-que sous peu l’Arabe sera la seule langue admise. C’est exactement l’histoire que raconte La Fontaine dans la fable “Les voleurs et l’âne”.
“le reveil,au detour du chemin ,est rude”… certes!…mais l’essentiel est de se reveiller!…merci en tout cas aux”Veilleurs”et a leur analyse…essentielle!
Intéressant article, qui parle de mon pays bien aimé. que dire si ce n’est que le survol du problème est plus que parcellaire (il ne peut en être autrement en quelques lignes), tenter d’expliquer les querelle intestines à ce pays prendrait des milliers de pages, déjà que ceux qui le vivent au quotidien ont bien du mal à s’y retrouver.
Pour l’édification de mes compatriotes français (je peux revendiquer cette nationalité également), j’ai envie de m’y coller comme je l’ai déjà fait très souvent…
Tout d’abord il faut savoir que ces querelles sont majoritairement des querelles de politique politicienne et n’ont que peu à voir avec le sentiment général de la population, bien que sous l’influence des médias mais aussi des annonces des partis politiques ce sentiment évolue vers une radicalisation, due je le répète uniquement à la volonté des partis, principalement au nord du pays.
Les problèmes linguistiques ont réellement commencé à apparaître après la première guerre mondiale, la piétaille flamande se trouvant sous les ordres d’officiers francophones (mais flamands) et se plaignant de ne pas les comprendre (le problème était similaire bien que moindre en walllonie, où la population était wallonophone plutôt que francophone). En effet dans tous le pays la bourgeoisie parlait le français, tandis que la population parlait le wallon et le flamand (La Wallonie s’est considérablement “francophonisée” depuis l’instruction obligatoire).
La francophonophobie flamande est donc en réalté plus proche d’une lutte antibourgeoise, à l’origine tout au moins.
Sans omettre bien entendu une certaine rancoeur doublée d’un certain complexe d’infériorité des flamandophones (ils ne parlent pas le néerlandais, mais différents patois flamands) que le Français est une langue internationale (même si elle n’a plus sont niveau d’avant la première guerre mondiale) alors que la langue parlée en flandre et au delà du 150ème rang, ce qui conduit évidemment les wallons à choisir préférentiellement l’anglais ou l’allemand comme seconde langue, alors qu’en flandre le besoin de parler français (le tourisme n’est pas non plus étranger à ce choix) est plus pressant. Ce qui explique aussi qu’une majorité de politiciens flamands parlent le français, mais que peu sont les wallons à maîtriser la langue de Vondel.
À cela il convient d’ajouter que jusqu’au milieu des années septante, c’est la Wallonie qui est le moteur économique du pays, la situation s’étant plutôt inversée suite à la fermeture des charbonnages et de nombres d’industries lourdes qui y étaient rattachées et au fort développement du secteur tertiaire en Flandre.
Ce rôle économique de moteur que la Flandre tient depuis une trentaine d’années a conduit cette région a vouloir plus d’autonomie financière afin de jouir de sa production, faisant totalement fi de la solidarité passée de la Wallonie (solidarité de l’impôt).
Toutefois la situation économique actuelle présente de fortes tendances à une nouvelle inversion qui va prendre cours dans les deux prochaines décennies (vieillissement de la population en Flandre, reconversion des entreprises en Wallonie, développement des technologies de pointe).
Ce qui se passe entre Wallons et Flamands ne sont que des querelles familiales, et quant à ce type de querelles il vaut mieux laisser les protoganistes entre eux règler leurs problèmes, cela n’empêche pas la maison d’être tenue et chacun de se rendre à son travail et d’y accomplir sa tâche (future présidence de l’UE).
Une séparation des deux régions conduirait à deux États non viables, le rattachement à d’autre pays européens (France, Pays-Bas) n’est pas crédible pour des raisons historiques évidentes.
L’union en un seul pays de la Flandre et de la Wallonie est comme un mariage de raison, l’amour n’en est pas nécessairement absent et la passion non plus, mais la raison reste…
La seule option crédible en dehors d’un état unitaire Belgique (remontant à 1787, avec une interruption de 4 décennies suite à la révolution française), serait un retour à une forme de confédéralisme englobant ce qui furent les 17 provinces, resterait à déterminer qui porterait la couronne des Oranges ou des de Belgique (ex- Saxe Cobourg Gota).
Enfin rectificatif, Bruxelles n’est pas devenue une enclave francophone, Bruxelles est depuis longtemps, avant la naissance du pays, à majorité francophone, cfr ce que j’ai dit sur la bourgeoisie.
Ce pays, mon pays, à donné au monde Clovis, Charles Martel, Charlemagne (né à Aix la chapelle dépendant de l’évêché de Liège), Pierre Lhermitte, Godefroid de Bouillon, Adolphe Sax, Zénobe Gramme, Maurice Grètry, César Franck et des centaines d’autres sans qui le monde actuel serait très différent et sans doute ien moins beau (même s’il est loin d’être idéal, je vous l’accorde).
Ce pays a toujours affronté les tyrans et refusé les diktats émanant des grandes puissances, France, Espagne, Hollande, Grande-Bretagne, Autriche, Prusse…
Il se sortira de cette crise comme il l’a toujours fait par le passé, entre autre (;) à A.E. Van Vogt qui m’a fait découvrir Korzybski)
@ Atikva En l’occurrence je trouve “La Lice et sa compagne” plus proche de ce que nous vivons en Belgique (mais aussi en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, au Danemark…)
@François Lallemand
C’est en effet une autre analogie, mais la compagne de la lice au bon cœur a au moins l’avantage de l’unité devant la lutte à entreprendre pour obtenir justice et récupérer son territoire – mais pas nous. Nos divisions, politiques et autres, épuisent nos forces et éparpillent l’énergie que nous devrions employer à combattre le danger majeur qui nous menace. L’ennemi en est conscient, bien content de pouvoir tranquillement poursuivre son but pendant que nous nous chamaillons. Si encore c’était la première fois que la division conduit à la défaite, notre aveuglement serait excusable !
Bonjour,
@ Atikva, je ne serais pas si affirmatif si j’étais vous car la révolte des vrais Belges commence à gronder et je ne serais pas étonné d’une immense surprise lors des prochaines élections.
Quel “parti”, digne de ce nom, s’il existe encore en Belgique, aura assez de “couilles au cul” pour nous offrir un “référendum” et sur les mosquées et sur BHV ???? Car là je crois qu’il y aura de sérieuses “baffes” qui seront distribuées !!!
Monsieur Lallemand, votre exposé est assez clair et très juste, je voudrais simplement ajouter ceci, beaucoup de Belges sont des “alvenalves”, c’est à dire pour ceux qui ne comprennent pas qu’ils sont à moitié Flamands et à moitié Wallons… Et que s’ils se “tapent sur la gueule” pour le moment c’est tout simplement parce qu’ils n’ont personne d’autre sur qui taper… Patience, car ça peut pas rester durer et bientôt “ils” sauront avec certitude sur qui taper et je vous jure que ça va faire très mal… A bon entendeur salut…
Bonne nuit,
Yves
En parlant de cartes j’attends l’écrit qui m’instruirait sur l’immense apport des cartographes
juifs doublés du rôle d’agent de renseignement. Ils nous ont montré la planète dans ses
moindres détails et éveillé les grands de ce monde à la dimension ronde de notre univers.
Les satellites font ressortir l’incroyable précision des anciennes cartes qui sont en majorité
le fruit du travaille besogneux de Juifs souvent inconnus.
Bravo pour votre article. Il a, certes, besoin d’être plus documenté côté Kabylie mais l’idée de montrer le poids de la carte face aux aspiration du territoire n’est pas mal.
Bonne continuation.
De Kabylie
@ Yves Edouard Nestor
Rien ne me ferait plus plaisir que de voir vos prédictions se réaliser.
@François Lallemand
Très bien, votre message, optimiste et tout.
Dieu vous entende et nous aide, parce que nous n’avons pas besoin de ce problème supplémentaire. Comme vous le dites, ce sont des querelles familiales, puisqu’il n’ya pas de famille wallonne qui ne se soit alliée à des Flamands, ni de famille Flamande qui ne se soit alliée à des Wallons. Ces querelles sont consternantes et font le jeu de nos ennemis.
Et vous êtes un exemple édifiant, François … Lallemand…, belgo-français.
A vos exemples historiques, j’ajouterai la phrase de César, disant que de tous les Gaulois, les Belges sont les plus braves (en substance).
Le même César a dit aussi que si les Gaulois étaient capables de s’entendre, ils domineraient le monde. En plus de 2000 ans, les Gaulois n’ont tj pas compris…
Et à propos de La Fontaine, vous pouvez ajouter “les loups et les brebis”…
Et pour finir sur une note de véritable optimisme, les Amazighs, “hommes libres” : Hommes libres, libérez-vous de la soumission !!!!
“@ Yves Edouard Nestor
Rien ne me ferait plus plaisir que de voir vos prédictions se réaliser. “
Et à moi aussi.