Publié par Guy Millière le 24 juin 2010

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Comme l’a noté Jean Patrick Grunberg sur ce site, une manifestation demandant la libération de Guilad Shalit a eu lieu mardi 22 juin, à Paris, sur la place du Trocadéro. Elle a rassemblé quinze mille personnes.


Pas un seul quotidien national n’a consacré à l’événement le moindre article. Pas un seul journal télévisé n’a procédé à la moindre évocation, même sur les chaînes d’information continue.

 

Il y avait, bien sûr, des sujets plus importants à traiter. La décomposition de l’équipe de France de football. Les déboires de l’épouse d’Eric Woerth dans ses activités de gestionnaire de fortune. La fabrique d’espadrilles au Pays Basque. Ou l’élevage de baudets dans le Poitou.  

 

On pourrait rétorquer que Guilad Shalit est français, qu’il a été victime d’une prise en otage par un groupe terroriste, et que cela fait quatre ans que cela dure.  

 

Il est arrivé  qu’il y ait des mobilisations face à ce genre de situation. Il est arrivé que ces mobilisations soient relatées et relayées dans les médias. On a même vu des décomptes s’opérer dans un coin d’écran pour certaines personnes. On a vu des portraits affichés place de la Nation ou devant l’Hôtel de ville de Paris.  

 

Je ne vois pas beaucoup d’explications au traitement très particulier subi par Guilad Shalit dans les médias français, et au traitement tout aussi particulier de ceux qui le soutiennent. J’en trouve néanmoins quelques-unes : 


-d’abord Guilad Shalit n’est pas seulement français. Il a une double nationalité. S’il était franco-algérien, franco-gabonais, ou s’il avait de la famille chez Chavez ou chez les frères Castro, cela ne poserait aucun problème. Mais sa seconde nationalité n’est pas présentable : il est Israélien. Imaginez ! Israélien. C’est quasiment indéfendable un Israélien, sauf, à la rigueur, s’il écrit un livre disant que le peuple juif n’existe pas, comme Shlomo Sand. Etre Israélien est en soi aussi grave, aussi criminel pour un journaliste français moyen qu’être un Américain qui vote républicain. Et c’est beaucoup plus grave qu’être un supporter d’Ahmadinejad, qui est sans doute un bien brave homme, comme dirait Laurence Ferrari.  


-ensuite, Guilad Shalit, comme si être Israélien ne lui suffisait pas, faisait son service militaire et portait l’uniforme de l’armée israélienne. Comment voulez-vous que des journalistes qui ne cessent de dire que les soldats israéliens tuent des enfants palestiniens pour le plaisir puissent s’émouvoir du sort d’un jeune français qui est aussi Israélien et qui ose porter l’uniforme de l’armée la plus détestée du monde et, aux yeux d’un journaliste français, la plus criminelle ?  


-enfin Guilad Shalit est prisonnier du Hamas. En un temps où  on ne cesse de répéter que les pauvres gens de Gaza souffrent du blocus israélien, qui devrait être levé, n’ont que des intentions pacifiques et où les dirigeants du Hamas sont présentés comme des gens, finalement, très fréquentables qu’il faudrait inclure dans un « processus de paix », comment voulez-vous qu’on puisse dire largement que des gens du Hamas pratiquent la prise d’otage ? Mettre le doigt dans ce genre d’engrenage peut entraîner loin : pour un peu, des journalistes pourraient en venir à dire que les gens du Hamas se conduisent comme des barbares et des bêtes brutes, ou, qui sait, qu’il n’y a aucun problème d’approvisionnement à Gaza. Comment pourraient-ils obtenir ensuite la possibilité de réaliser un reportage exclusif sur des tunnels de contrebande ? Ou un entretien avec Ismaïl Haniyeh ? 


A ces explications, s’en ajoute une autre. Une synergie pathologique et pathogène existe désormais entre les grands médias français et la très grande majorité de la population. La très grande majorité de la population pense qu’effectivement, la décomposition de l’équipe de France de football, les déboires de l’épouse d’Eric Woerth, la fabrique d’espadrilles ou l’élevage de baudets sont des sujets très importants puisque c’est ce qu’on dit à la télévision et dans les journaux. Et la télévision et les journaux peuvent dire qu’en les traitant, ils répondent aux attentes du public.  


Quinze mille personnes rassemblées place du Trocadéro, c’est tout à la fois beaucoup, car ce n’est pas un nombre insignifiant, et très peu, par comparaison avec les manifestations en faveur de l’islam radical par exemple, telles celles organisées en soutien au Hamas lors des opérations de l’armée israélienne en janvier 2009.  


Ces quinze mille personnes, il faut le dire, de surcroît, étaient essentiellement juives. Les non juifs représentaient, tout au plus quatre cent, cinq cent personnes. Les intellectuels à la tribune, Bernard-Henri Levy, Alain Finkielkraut, Marek Halter, Claude Lanzmann, étaient des intellectuels juifs, et, pour qu’ils soient tous là, il valait mieux ne pas aborder certains détails, tels l’appel J Call, qu’un seul intervenant a cité, fort heureusement. Les hommes politiques présents étaient juifs pour la plupart : à l’exception de Claude Goasguen, dont les positions sur le sujet sont exemplaires de courage, mais qui me semble se faire des illusions lorsqu’il affirme que la République française est derrière lui. Une autre exception était Anne Hidalgo, représentant la mairie de Paris, venue tenir un discours politicien, souligner que Guilad Shalit était citoyen d’honneur de la Ville de Paris, situation qu’il partage avec un assassin de policier, Mumia Abu Jamal, et qui ne changera strictement rien à son sort.  


Les propos de tous les intervenants, particulièrement Gil Taieb, pour qui j’ai une vive estime, et qui a été l’organisateur de l’événement, mais aussi ceux de Richard Prasquier, pour qui j’ai également une très profonde estime, ont été nobles et auraient pu donner à réfléchir, s’ils avaient été relayés.  


Je cite quelques phrases de Richard Prasquier que je pourrais pleinement reprendre à mon compte : « les Droits de l’Homme élémentaires sont entièrement déniés à Gilad Shalit, ces Droits de l’Homme dont bénéficient les prisonniers palestiniens en Israël, qui, eux, ont été arrêtés et jugés pour des actes criminels. Comparer leur sort à celui de  Guilad est proprement obscène. De la même manière renvoyer dos-à-dos l’armée israélienne et la cohorte des tueurs du Hamas est une ignominie ».  


Puis : « certaines organisations ont affrété sous couvert d’action humanitaire une flottille pour Gaza, pour dénoncer une catastrophe alimentaire dont évidemment Israël serait responsable,  et dont tous les observateurs neutres savent qu’elle n’existe pas. On aurait pu penser que ces organisations en profiteraient au moins, comme elles en avaient été priées, pour faire de modestes demandes au Hamas en faveur de Guilad Shalit, de respecter un peu la loi internationale et d’autoriser des visites de la Croix Rouge. Elles ont refusé. Pour elles, les droits de l’homme ne sont apparemment exigibles que sur une moitié de l’échiquier, la moitié israélienne ; car un israélien est forcément du mauvais côté de l’histoire, celui des oppresseurs, et le Hamas est par contraste dans le camp des héros de la liberté ». 


Enfin : « ces mises en cause, par ces mensonges, par ces campagnes illégales de boycott, c’est la sournoise musique de la délégitimation d’Israël. Tentation pathétique et munichoise, dont on espère qu’elle résoudrait tous les problèmes du monde, mais qui ne ferait que les aggraver. Délégitimer Israël, c’est délégitimer une part de nous-mêmes. Nous ne le laisserons pas faire ». 


Qu’ajouter ? Que les droits les plus élémentaires sont effectivement déniés à Guilad Shalit, dans un contexte où Israël est de plus en plus présenté comme le bouc émissaire de tous les maux de la planète, et où le peuple israélien est en passe de devenir le peuple le plus détesté de la terre et où l’ignominie se banalise.  Que les pseudo-humanitaires ne devraient plus jamais, si les mots doivent garder leur sens, être appelés « pro-palestiniens », mais « pro-terroristes » ou « pro-totalitaires.


Que ce qui est en cause me semble bien plus grave qu’une délégitimation d’Israël : en faisant d’Israël el pays à haïr et du peuple israélien le peuple à détester, on accoutume les esprits à l’idée que la destruction d’Israël serait acceptable. On entend marginaliser ceux qui défendent Israël, les diaboliser eux-mêmes, les étouffer, les réduire à n’être que quelques membres de la communauté juive qui, dira-t-on bientôt, se conduisent comme de mauvais Français en soutenant un Etat ignoble et indéfendable.  


Ce qu’on délégitime est effectivement une part de nous-mêmes, et ces paroles de Richard Prasquier, je les reprends à mon compte en tant que non juif : quand on bafoue les droits de l’homme, quand on accepte la prise d’otage et la barbarie, quand on banalise le terrorisme et le totalitarisme, c’est la liberté et la dignité de tous les hommes qu’on bafoue et qu’on foule au pied. En faisant d’Israël le pays à haïr et du peuple israélien le peuple à détester, c’est le droit, la démocratie et les valeurs les plus nobles et les plus fécondes de la civilisation occidentale qu’on assassine.  


Ce que vit Guilad Shalit est atroce. Ce que vit Israël n’a pas de nom. Ce que subit le peuple israélien est répugnant.  


Le climat qui règne en Europe en général, en France en particulier, et dans lequel les grands médias jouent un rôle non négligeable devient suffocant. Ou plus exactement, il n’est respirable encore que par des gens qui, parce qu’ils pensent que l’important, c’est l’équipe de France, l’épouse d’Eric Woerth, les espadrilles, les baudets, les manifestations de la CGT ou la dernière phrase débile de Martine Aubry, veulent, en fait, ne penser à rien. 


Lorsque j’ai commencé à écrire, il y a plus de trente ans, la France n’en était pas à ce point de dégradation, même si certains signes étaient visibles, déjà. J’écris désormais comme lorsqu’on est en résistance. Mes valeurs n’ont pas changé, le pays et le monde, eux, ont beaucoup changé. 


Internet permet l’émergence de médias à même d’informer dans des contextes où, sur un mode qui a des parentés avec l’esprit totalitaire, l’information s’absente et en vient à ressembler à une drogue douce. De tels médias existent aux Etats-Unis où l’arrivée au pouvoir d’Obama et la démission des grands médias d’information ont impliqué l’émergence et le déploiement d’une résistance. Nous oeuvrons ici pour que de tels médias existent aussi dans le monde francophone. Goebbels disait qu’un événement dont on ne parle pas n’existe pas. Les grands médias font qu’il est des événements dont on ne parle pas. Ces événements si personne n’en parle n’existeront pas. A nous de les faire exister.  


Pourquoi ai-je cité  Goebbels, en fait ? Parce que Amin al Husseini était très apprécié de Goebbels peut-être. Parce qu’Ismaïl Haniyeh cite Amin al Husseini sans doute, Mahmoud Abbas aussi. Mais imaginez qu’on dise cela dans les grands médias français ! Imaginez ! Non, vous ne pouvez pas, je sais. Moi non plus. 


Guy Millière

 

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